Dire, ne pas dire

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Débunker

Le 3 juillet 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

On pouvait lire il y a peu, dans un grand journal du soir : « Si la perspicacité de certains internautes a permis de débunker ce kangourou virtuel, il a lancé un véritable débat. » Nous oublierons le kangourou pour nous pencher sur cet anglicisme, débunker. C’est une transcription du verbe anglo-américain to debunk, qui signifie familièrement « tourner en ridicule », mais aussi « démystifier ». L’histoire de ce verbe n’est pas sans intérêt. C’est un dérivé de bunk, « foutaises », lui-même abréviation de bunkum, de même sens. Quant à ce dernier, il s’agit d’une altération de Buncombe, nom d’un comté de Caroline du Nord devant sa célébrité à son représentant, Felix Walker (1753-1828), qui prit longuement la parole au Congrès pour mettre en avant sa circonscription. Son discours, très long et plein d’incongruités, exaspéra tellement ses collègues que buncombe, plus tard transformé en bunkum, devint le nom de toute harangue politique sans intérêt puis, plus largement, de tout propos oiseux. Aujourd’hui l’anglicisme débunker, s’emploie avec le sens de « mettre au jour une supercherie », « dénoncer une supercherie », « tourner en ridicule », « démystifier », expressions et verbe que le français pourrait utiliser.

Il faut sauver le nom « semaine »

Le 3 juillet 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

1 000 ans ! Encore un quart de siècle et ce sera l’âge du nom semaine. Il a pour lui d’entrer dans le titre d’un roman de Jules Verne, Cinq Semaines en ballon, et d’Aragon, La Semaine sainte. La semaine des quatre jeudis fut naguère l’inaccessible Graal de générations d’écoliers. La semaine de quarante heures fut l’une des revendications majeures du Front populaire, suivie, bien plus tard, par la semaine de trente-cinq heures. Autant d’expressions qui ont donné à ce terme une assise temporelle, culturelle et historique qui devrait lui assurer une forme de pérennité. Le voici pourtant menacé. On parle depuis quelques années déjà de la fashion week, qui pourrait sans doute être remplacée, en pays francophone, par une « semaine de la mode », et voici qu’arrive maintenant l’étonnante France music week. Gageons qu’une « semaine de la musique » aurait été aussi compréhensible et sans doute préférable puisque, au nombre des temps forts de cette semaine, figurent des « sessions de création sur la thématique de la francophonie à la Cité internationale de la langue française ». Notons de surcroît qu’il existe déjà une semaine de la poésie, une semaine de la critique au festival de Cannes, et enfin une semaine de la langue française et de la francophonie qu’il serait bien malséant d’angliciser…

Arrête de flex !

Le 19 juin 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

L’anglais et le français flexible ont les mêmes sens. Aujourd’hui on fait parfois de flex, dans une langue familière ou technocratique, une abréviation de flexible, sans qu’il soit vraiment possible de décider si cette abréviation, qui peut autant qualifier un espace modulable qu’un employé qui sait aisément s’adapter à de nouvelles contraintes, est anglaise ou française.

Mais ce n’est pas le seul sens de cet anglicisme. En anglais, to flex signifie d’abord « fléchir, tendre, bander (un muscle, un arc, etc.) » ; par extension, il a aussi pris le sens de « faire étalage de sa force » et, de là, celui de « se mettre en avant », que l’on rencontre aujourd’hui en français dans des tours comme : « Je ne voudrais pas flex, mais … » ou « Arrête de flex ! » Notons, après avoir constaté que cette attitude pourrait facilement être désignée par des verbes ou locutions verbales comme « se vanter, vouloir en imposer » ou, plus familièrement, « crâner», etc., que, jusqu’à présent, quand un verbe anglais entrait dans notre langue, on lui donnait, à tout le moins, une terminaison propre au français : spoiler, briefer, chatter, etc., ce qui ne se fait même plus avec flex.

Latin ou polonais ? Anglais ou français ?

Le 19 juin 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

L’onglet « Emplois fautifs » de la rubrique Dire, ne pas dire a de nombreux ancêtres. Au nombre de ceux-ci, on trouve le livre d’Étienne Le Gal, paru en 1925, intitulé Ne dites pas… Mais dites… et sous-titré Barbarismes-solécismes-locutions vicieuses ; l’ouvrage que fit paraître Jean Ménudier en 1677, à Iéna, et au titre pour le moins détaillé, L’Art de faire des lettres, des billets et des compliments, ou les Étrangers trouveront dequoi fournir à une conversation serieuse & galante, & ou ils pourront apprendre en peu de tems par regles et par exemples, à faire toutes sortes de lettres & de billets & les difficultés de nôtre prononciation & de nôtre construction & plusieurs remarques curieuses ; et, enfin et surtout, un relevé de fautes établi au IIIe siècle avant Jésus-Christ par un grammairien latin sous le nom d’Appendix Probi (la liste de Probus), et qui fait depuis des générations le miel de tout apprenti philologue. Pour les anglicismes et néologismes, nous avons également depuis 1964 le fameux Parlez-vous franglais ? de René Étiemble.

Cela étant, à côté de ces publications savantes, on aurait tort d’oublier les ouvrages de fiction qui font droit au génie d’une langue. Le plus célèbre étant sans doute Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais, qui vante la langue anglaise et sa merveilleuse économie. Figaro y explique en effet au comte le pouvoir quasi universel de l’interjection God-dam : « Diable ! C’est une belle langue que l’anglais ! il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam, en Angleterre, on ne manque de rien nulle part. » Cet argument, agrémenté de quelques nuances, est repris, mutatis mutandis, en faveur du latin, dans Les Livres de Jakob, du prix Nobel de littérature, Olga Tokarczuk. Elle y met en scène un personnage, le révérend père Chmielowski, qui écrit, un quart de siècle avant Beaumarchais, cette lettre à la louange du latin :

« Vous me demandâtes, Madame, pourquoi ce latin ? À l’exemple des autres personnes du beau sexe, vous vous dites favorable à impliquer davantage notre langue polonaise dans les écrits. Je n’ai rien contre le polonais, mais comment pourrait-on formuler les choses, Madame, alors que pour tant de mots il défaille !

N’est-il pas préférable d’utiliser le terme Rhetoricae que de devoir écrire “art de la belle parole”, et Philosophia qu’“amour de la sagesse”, ou Astronomia plutôt que “science étoilée” ? Cela prend moins de temps et le langage ne s’en trouve pas altéré. […] Voudriez-vous utiliser “Chambre à coucher” plutôt que Dormitoir ? Je ne pourrais le croire. […] Le latin permet de s’entendre partout dans le monde. Seuls les païens et les barbares évitent la langue latine. »

Vigueur de la concision et universalité d’un côté, défaillances ou formes ampoulées de l’autre. Que l’on remplace le latin par l’anglais et le polonais par le français, le révérend père Chmielowski par quelque inconditionnel de l’usage de l’anglais en France et ce sont, à quelques détails près, les mêmes mots qui pourraient être employés.

Que les inconditionnels du français se rassurent cependant, puisque l’on constate que le polonais, malgré ses défaillances et ses lourdeurs supposées, a plutôt bien résisté au latin. Tout cela permet d’espérer que, en dépit de tous les manques et imperfections qu’on lui prête parfois, le français ne disparaîtra pas au profit de l’anglais.

Ça slay !

Le 15 mai 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le verbe anglais to slay signifie « tuer », mais aussi « impressionner ; être extraordinaire ». Le français connaît ce type d’hyperbole avec des mots du même champ sémantique. C’est ainsi le cas avec l’adjectif mortel quand il qualifie, dans la langue familière, quelque action, quelque spectacle particulièrement frappants : ce film est vraiment mortel ! Le verbe tuer peut s’employer de la même manière : il s’est d’abord rencontré dans des expressions comme c’est la phrase, le mot qui tue (c’est-à-dire qui frappe juste et apporte ainsi la victoire en empêchant l’adversaire de répliquer), puis de manière plus générale, avec une valeur emphatique : sa mauvaise foi m’a tué ! Il en va de même avec l’expression populaire c’est une tuerie, d’abord employée pour qualifier un aliment, un plat que l’on trouve délicieux, et qui s’est ensuite étendue à d’autres domaines.

Il est donc loisible de préférer à l’étrange hybride ça slay ! ces tours hyperboliques pour exprimer l’extrême intensité d’une sensation, d’un sentiment.

Boomer asking

Le 3 avril 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Que les enfants du baby-boom se rassurent, ce ne sera pas d’eux qu’il sera question ici puisque, dans la locution boomer asking, boomer est une abréviation de boomerang et ne désigne en rien une personne née dans l’immédiat après-guerre. Le boomer asking, qu’on pourrait peut-être traduire par « interrogation, demande, question boomerang », « question miroir, question rebond », est une attitude qui consiste à poser une question en espérant que la personne interrogée posera à son tour la même question, ce qui permettra alors, du moins l’espère-t-il, au premier questionneur de se mettre en valeur. Il arrive même que le boomer asker, enchaîne, sans attendre la réponse de son interlocuteur, pour montrer que, dans le domaine en question, il fait mieux que celui-ci.

Shift, shifter

Le 3 avril 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

L’anglais shift signifie « changement » et le verbe to shift, « changer ». En fonction des contextes, ce nom peut aussi être traduit par « évolution », « passage », « modification », « altération ». On emploie ainsi, en phonétique historique anglaise, les termes shift et shifting pour désigner l’évolution des voyelles et des consonnes de l’indo-européen jusqu’à l’anglais. On le voit, ces formes ont des équivalents français ; ce sont eux que l’on pourra utiliser en français pour éviter l’anglais shift et l’étrange hybride shifter, et l’on préfèrera par exemple changer de sujet à shifter de sujet.

Les highlights de l’année

Le 6 mars 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le nom anglais highlight, composé de high, « haut, élevé, important », et de light, « lumière », pourrait être traduit, en fonction des contextes, par « summum », « point d’orgue », « moment phare », « grand moment », « apothéose »… Il peut aussi désigner l’évènement le plus marquant, le point culminant d’une cérémonie, d’une manifestation ou d’un spectacle. Notre langue dispose, on le voit, de mots ou locutions pour rendre cette idée. Aussi n’est-il pas nécessaire, en français, de parler des highlights de l’année. On évitera également d’employer l’étrange verbe highlighter en lieu et place de « souligner, mettre en valeur, mettre en lumière ».

« Temps d’arrivée estimé » pour « Heure d’arrivée prévue »

Le 6 mars 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

E.T.A. peut être, entre autres, le sigle abrégeant la locution anglaise estimated time of arrival, qui s’emploie dans le monde du transport aérien pour indiquer à quelle heure est prévu l’atterrissage d’un avion. On l’utilise aussi pendant certaines courses nautiques pour donner l’heure à laquelle est supposé arriver tel ou tel concurrent. Il est possible de traduire cette expression par « heure d’arrivée prévue », mais on se gardera bien de transcrire cette locution anglaise par temps d’arrivée estimé, puisque, en français, le nom temps, désigne une étendue et non un point. D’autre part, le verbe estimer ne peut s’employer qu’avec, comme complément de temps, une durée et non une date ou une heure précise : J’estime à dix heures la durée du trajet.

« Back-to-back » pour « De suite, à la suite »

Le 23 janvier 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

La locution anglaise back-to-back signifie proprement « dos à dos », mais elle a aussi le sens des locutions adverbiales « de suite » et « à la suite ». Enfin, elle peut désigner, surtout dans le monde du sport, le total cumulé des performances de deux compétitions consécutives. Un journal parlait ainsi, il y a peu, d’un basketteur qui avait réussi un « impressionnant back-to-back » puisqu’en deux matchs il avait marqué 104 points, pris 30 rebonds et réussi 16 passes décisives. On saluera la performance, en rappelant qu’on aurait aussi pu employer les formes série ou suite de deux matchs.

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