Dire, ne pas dire

Penser, réfléchir

Le 3 octobre 2025

Nuancier des mots

Les verbes penser et réfléchir appartiennent au même champ sémantique, mais ils ne se construisent pas exactement de la même manière. Penser régit couramment une complétive (je pense que tu as tort) et peut se construire avec pour complément un nom de personne ou un pronom (je penserai à Julien, je penserai à lui). En revanche, réfléchir ne s’emploie pas avec un nom de personne et la construction avec la conjonction que, qui se lisait naguère chez de très grands auteurs, comme Flaubert, Hugo ou Martin du Gard, n’est plus en usage aujourd’hui. Mais, quand penser et réfléchir sont construits avec, comme complément, un nom de chose, ils sont très proches sémantiquement. La définition que donne notre Dictionnaire de réfléchir à permet cependant de saisir ce qui fait la spécificité de ce dernier. Voici ce qu’on y lit : « Arrêter sa pensée sur un sujet, fixer sur lui son esprit, son attention pour le considérer plus avant. Réfléchir à un problème, à une situation. » Réfléchir implique donc une intentionnalité que penser ne sous-entend pas. Contrairement à réfléchir, penser, employé par affaiblissement, peut d’ailleurs relever d’une forme de spontanéité ; on peut dire en effet j’y pense tout à coup, mais non j’y réfléchis tout à coup. Réfléchir implique, par ailleurs, une recherche active et l’attente d’un résultat. C’est ce qui explique que les sujets existentiels, qui peuvent occuper l’esprit mais sur lesquels on a peu de prise, se construisent ordinairement avec penser et non avec réfléchir : « penser à la maladie, aux aléas de la vie ». On utilise réfléchir quand on suppose avoir quelque latitude pour pouvoir modifier un état de fait. C’est la différence qui existe entre « je réfléchis à ta situation » et « je pense à ta situation » : dans le premier cas, on sous-entend qu’on espère pouvoir y changer quelque chose, dans le second, on signale simplement que cette situation nous préoccupe. Le sens de penser que donne notre Dictionnaire le montre bien : « Prendre pour objet de réflexion ; avoir l’esprit occupé par quelque chose ou quelqu’un. Penser à la mort, au salut. » Réfléchir est de fait parfois considéré comme une forme d’intensif de penser : les premières éditions de notre Dictionnaire vont dans ce sens, qui définissent ainsi réfléchir : « Penser mûrement & plus d’une fois à une chose. » De ce point de vue, l’étymologie s’avère éclairante : penser est issu du latin pendere, dont le premier sens est « peser », tandis que réfléchir est issu du latin reflectere, « courber en arrière », qui implique une notion d’effort qu’on ne trouve pas dans pendere. Mais penser, contrairement à réfléchir, peut se construire avec un complément d’objet direct ; il signifie alors « embrasser par la pensée, concevoir », et ce verbe évoque un processus de création qui n’est pas dans réfléchir. Il existe une forme d’absolu dans penser, qui n’est pas sans lui conférer une forme de majesté, que l’on retrouve dans le dérivé pensée, et qui n’est pas dans réflexion. On constate d’ailleurs que, dans des titres d’ouvrage, pensée s’emploie ordinairement seul (Les Pensées de Marc Aurèle, Les Pensées de Pascal), tandis que réflexion est généralement suivi d’un complément qui indique ce à quoi a réfléchi l’auteur, comme dans Réflexions sur la question juive, de Jean-Paul Sartre. Notons enfin que si le nom penseur est en usage, il n’en va pas de même avec réfléchisseur, attesté pourtant dans une lettre de Victor Hugo adressée à Eugène Pelletan, qui avait publié, en signant « l’Inconnu », un article sur les Rayons et les Ombres. On y lit : « Comme tous les réfléchisseurs éminents, vous avez deux grands côtés : par un de ces côtés, vous êtes philosophe ; par l’autre, vous êtes poëte. »