Dire, ne pas dire

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Des trous dans la raquette

Le 1 juillet 2021

Extensions de sens abusives

Les hommes politiques et les journalistes aiment les métaphores sportives. On dit qu’untel a botté en touche pour ne pas répondre à une question embarrassante, qu’un autre a taclé son adversaire, qu’une campagne électorale est un marathon (ou une course d’obstacles) et que celui qui a les meilleurs résultats dans les sondages fait la course en tête quand ses adversaires sont dans le peloton des lâchés. On rencontre également depuis quelque temps l’expression des trous dans la raquette, empruntée de l’anglais holes in the racket, employée pour signaler qu’un dispositif règlementaire ou législatif est trop peu précis pour toucher toutes les personnes ou les catégories qu’il vise. Il conviendrait de ne pas faire de cette expression un tic de langage, d’autant plus que, à l’exception des raquettes de ping-pong ou de jokari, les raquettes sont en partie constituées d’un cadre tendu de cordes entrecroisées, et donc que la surface de la raquette compte essentiellement des trous. L’expression plus ancienne passer entre les mailles du filet est séduisante pour rendre compte de cette idée, mais des trous dans la raquette pointe la faiblesse d’un système mis en place, alors que passer entre les mailles du filet signale l’habileté de celui qui réussit à échapper à un dispositif de contrôle.

Des noms d’oiseaux

Le 1 juillet 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

Y a-t-il un lien entre le sens des mots et leur forme ? C’était le sujet du Cratyle de Platon. Une grosse vingtaine de siècles plus tard, dans son Cours de linguistique générale, Saussure tranchait en affirmant que le signe est arbitraire ; en diachronie à tout le moins puisque, en synchronie, une forme est un héritage. Ce point dérange d’ailleurs certains locuteurs qui aimeraient qu’il existât une corrélation entre signifiant et signifié. À ceux-là, nous pouvons dire que tous les mots ne sont pas soumis à cet arbitraire. Il y a une niche de résistance, ou mieux, un nid. En effet, le nom de certains oiseaux s’explique, après quelques modifications liées à l’histoire, par la transcription de leurs cris. Varron le notait déjà dans son De lingua latina (5. 75) : […] de his pleraeque ab suis vocibus ut haec: upupa, cuculus, corvus, ulula, bubo (« parmi ceux-ci [les oiseaux], la plupart tirent leurs noms de leurs cris, comme la huppe, le coucou, le corbeau, la chouette, le hibou »).

Intéressons-nous d’abord à la huppe : upupa (rappelons qu’en latin la lettre u se prononce « ou ») est bien une tentative pour transcrire le cri de cet animal. Cette onomatopée est donc à l’origine de notre huppe, mais aussi, en raison de la réputation de saleté qu’on lui prête, du mot salope, forme soudée de sale hoppe, altération de sale huppe. De son côté, coucou vient de cuculus, mot censé imiter le chant de ce volatile. Comme on avait observé qu’il avait coutume de pondre dans les nids des autres, cuculus désigna aussi un amant adultère et, par antithèse, le mari trompé : c’est à une variante de coucou que nous devons le nom cocu. C’est aussi d’une onomatopée imitant le cri de cet oiseau, kokku, que les Grecs avaient tiré la forme kokkux, pour nommer cet oiseau squatteur. La transcription en alphabet latin de ce mot grec est coccyx, nom qui vint à désigner un os semblable au bec de cet oiseau.

C’est sans doute aussi à une onomatopée que l’on doit le nom corbeau, venu du latin corvus, cousin du grec korax. Le nom de la chouette, ulula, est, comme l’écrivent joliment Ernout et Meillet dans leur Dictionnaire étymologique de la langue latine, « un mot imitatif ». On le retrouve d’ailleurs dans les noms scandinaves de cet oiseau : ugla en islandais, ugle en norvégien, uggla en suédois. Quant au français, il a gardé son dérivé hululer. Il en va de même avec le hibou, bubo en latin. Voyons maintenant le paon ; son nom est issu du latin pavo, qui imite le cri de cet animal (nous entendons plutôt léo(n), mais la forme leo, leonis désignait déjà le lion). Profitons de ce que nous l’évoquons pour en rappeler la prononciation. Si celle du nom du mâle est bien connue (« pan »), n’oublions pas que celui de la femelle paonne se prononce comme « panne », et celui du petit, paonneau, comme « panneau ».

Il en est d’autres que donnent Varron et qui étonnent plus : item haec: anser, gallina, columba. (même chose pour anser, « oie », gallina, « poule, géline », columba « colombe »). Il est difficile de voir dans ces formes des onomatopées, mais souvenons-nous que la manière dont nous percevons les cris des animaux est aussi culturelle et que les coqs français font « cocorico », tandis que ceux d’outre-manche font « cock-a-doodle-doo », qu’en Allemagne c’est « kikeriki » que l’on entend et en Espagne « kikiriki »…

Il est d’autres oiseaux dont le nom vaut description : le rouge-gorge, l’engoulevent, (l’équivalent de l’anglais swallow wind) ou encore le hoche-queue, dont Varron avait déjà expliqué le nom : motacilla, […] quod semper movet caudam (« le hoche-queue parce qu’il remue toujours la queue »).

Du grec ?

Le 1 juillet 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

Dans la lettre XXX des Lettres persanes, Rica s’amuse des Parisiens qui s’exclament à son passage : « Il faut avouer qu’il a l’air bien persan. » Nombre de mots qui nous viennent du grec sont facilement reconnaissables, et l’on pourrait dire, nous aussi, à leur sujet « Il faut avouer qu’ils ont l’air bien grecs ». C’est particulièrement vrai quand ils contiennent les digrammes th, transcription de la lettre thêta, comme dans anathème ou théogonie ; ph, transcription de la lettre phi, comme dans philosophie ; ch, transcription de la lettre khi, comme dans choreute ; ou encore quand apparaît le bien nommé « i grec », y, comme dans analyse. Ces mots, nous les avons empruntés du grec, directement ou par l’intermédiaire du latin. On retrouve cet « air grec » dans des mots construits en français à l’aide de radicaux grecs mais qui n’existaient pas en grec ancien, comme hétérotherme, phacochère, chiromancien, nostalgie ou archéoptéryx. Mais nous ne sommes pas redevables aux Grecs que de ces formes plus ou moins savantes. Il est des mots, et ils sont nombreux, qui ont perdu leur vernis grec. Ce sont ceux que le latin et l’ancien français ont modifiés au point de les rendre parfois méconnaissables. Si les mots scialytique, « appareil qui supprime les ombres portées dans les blocs opératoires », formé à l’aide de skia, « ombre », et luein, « détacher », ou urodèle, qualifiant les batraciens qui, tels les tritons et les salamandres, conservent leur queue à l’âge adulte, formé à l’aide de ouros, « queue », et delos, « visible », font bien grec, il n’en va pas de même pour écureuil, « animal qui se fait de l’ombre avec sa queue », dans lequel les mots skia et ouros ne se retrouvent que dans les trois lettres -cur- (la finale -euil vient du diminutif latin -olus).

Nous savons qu’il existe des doublets linguistiques, en particulier quand, à partir d’une même forme latine, nous sont venus deux mots français, l’un d’origine populaire, l’autre d’origine savante, comme les couples poison-potion, évier-aquarium, poitrail-pectoral, etc. Le même phénomène s’observe avec les formes empruntées du grec et celles qui nous sont parvenues après un cheminement plus long. En passant de langue en langue, de bouche en bouche, elles se sont déformées jusqu’à être difficilement reconnaissables. C’est ainsi que si le grec sarkophagos, proprement « qui consume les chairs », est visiblement à l’origine de sarcophage, c’est à lui aussi que sommes redevables du nom cercueil ; si amugdalê est sans nul doute l’ancêtre d’amygdale, ce nom signifiait d’abord « amande » et c’est aussi de lui que nous vient ce mot. Daktulos, « dactyle » et, proprement, « doigt », désigne en poésie grecque et latine un pied composé d’une syllabe longue suivie de deux syllabes courtes (comme le doigt est composé d’une longue phalange suivie de deux courtes). Mais ce mot, par analogie de forme, est aussi à l’origine du nom « datte », fruit qui ressemble à un doigt. Doublets également que les formes, savantes : « crypte », « papyrus », « paradis », « lynx », et populaires : « grotte », « papier », « parvis », « once ». Il convient donc de se souvenir qu’il est des mots grecs qui se cachent sous des déguisements latins et il ne faut pas priver de leur origine première des formes qui nous semblent par trop uniquement latines ou uniquement françaises. Sachons donc, pour conclure, que, même s’il a perdu son ph, le « faisan » est le phasianos ornis, « l’oiseau du Phase », fleuve de Colchide sur les bords duquel s’est d’abord rencontré ce volatile, et que sous les « coings » se cachent les kudônia mêla, « les pommes de Kydonia », ville de Crète qui la première produisit ces fruits.

Arnaud G. (Saint-Jean-en-Royans)

Le 1 juillet 2021

Courrier des internautes

Bonjour,

Pourquoi certains grands esprits mettaient-ils la préposition de comme premier mot du titre de leurs ouvrages : De la démocratie en Amérique, Du contrat social, De la guerre ? Est-ce juste un moyen d’embellir un titre ?

Arnaud G. (Saint-Jean-en-Royans)

L’Académie répond :

Monsieur,

Il s’agit d’un latinisme, conservé longtemps en français et dans d’autres langues (le titre original de l’ouvrage de Carl von Clausewitz, De la Guerre, est d’ailleurs Vom Kriege), en particulier dans la langue classique ou philosophique. Rousseau et plus encore Montesquieu étaient nourris de langue et de littérature latines, mais cette habitude a perduré au-delà du xviiie siècle. Ainsi Jean Jaurès soutint une thèse en latin intitulée De primis socialismi germanici lineamentis, proprement « Des premiers linéaments du socialisme allemand », que l’on traduit généralement par « Les Débuts du socialisme allemand », tandis que sa thèse principale, en français, avait pour titre De la réalité du monde sensible.

À tout latiniste débutant, on apprend à utiliser un ablatif précédé de la préposition de pour former les titres latins et on fait traduire le fameux De Bello Gallico, « La Guerre des Gaules », de Jules César. Par la suite, on lui enseigne que le titre peut-être une question ou la réponse à une question. Ainsi, en 1835, un jeune lycéen allemand nommé Karl Marx intitula sa composition latine de « maturité » (équivalent du baccalauréat), pour laquelle il obtint une très bonne note : An principatus Augusti merito inter feliciores rei publicae romanae aetates ? « Le principat d’Auguste peut-il être considéré à juste titre comme une des périodes les plus heureuses de la république romaine ? »

Nadine G. (Lyon)

Le 1 juillet 2021

Courrier des internautes

J’aimerais savoir s’il faut, ou non, une majuscule aux points cardinaux.

Nadine G. (Lyon)

L’Académie répond :

Madame,

Les noms des points cardinaux et de leurs composés (ainsi que midi, septentrion, orient, occident) prennent la majuscule lorsqu’ils désignent une région, une portion du territoire ou, par métonymie, leurs habitants : les pavés du Nord, les marches de l’Est, le soleil du Sud, l’Allemagne du Nord, l’Ouest américain, l’Afrique du Nord. Dans les autres cas (direction, orientation, exposition), ces noms gardent la minuscule : perdre le nord, façade exposée à l’est, aller vers le nord, la face ouest, le versant sud.

Absence de prépositions

Le 3 juin 2021

Emplois fautifs

L’usage des prépositions est une des caractéristiques de la langue française, et celles-ci sont d’autant plus nécessaires que le français n’est pas une langue à flexion. Malheureusement, depuis quelque temps, un jargon technocratique tend à supprimer ces prépositions et à juxtaposer des noms de manière étrange, et ce, même dans des documents à caractère officiel. Nous avons parlé, il y a peu, du malaise voyageur ; ce n’est hélas pas la seule raison de ralentir les passagers (et d’abîmer la langue française), puisque l’on nous informe parfois que ces retards sont provoqués par une panne réseau. Dans telle bibliothèque un panneau nous avertit accès cour interdit, tandis qu’ailleurs on nous propose des informations coronavirus. Aurait-ce vraiment été une perte de temps que de dire ou d’écrire panne de réseau, accès à la cour interdit ou informations sur le coronavirus ?

Faire que… suivi de l’indicatif ou du subjonctif ?

Le 3 juin 2021

Emplois fautifs

La locution verbale faire que… est suivie de l’indicatif quand elle introduit un constat, une conséquence. On dira ainsi : la porosité des sols fait que l’eau ne peut rester en surface ; son assiduité et son sérieux font qu’il a réussi brillamment son examen. Si le fait en question est à venir, on utilisera, en fonction du degré de probabilité qu'il se produise, l’indicatif futur ou le subjonctif présent : son assiduité et son sérieux feront qu’il réussira brillamment son examen ; la chance peut faire qu’il réussisse son examen. Mais la locution faire que… est toujours suivie du subjonctif quand elle a la valeur d’un souhait, d’une prière. C’est d’ailleurs ce qui explique que, d’une part, dans ces emplois le verbe est généralement à l’impératif : Mon Dieu, faites qu’il réussisse. Faites qu’il guérisse, qu’il revienne sain et sauf ; et que, d’autre part, il entre dans la locution : Fasse le ciel que… (fasse le ciel qu’il parvienne à bon port).

Ça se fighte pour On peut en débattre

Le 3 juin 2021

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le verbe débattre est dérivé de battre et, à l’origine, le préfixe dé- y avait une valeur intensive. Au xie siècle, débattre signifiait donc « battre fortement » et ce n’est que deux siècles plus tard que ce verbe a pris les sens de débattre, discuter, auxquels on pourrait ajouter celui de disputer. Il est donc inutile de remplacer ces verbes par l’anglais to fight, dans l’étrange monstre linguistique ça se fighte, employé en lieu et place de « cela se discute, on peut en débattre ». On n’emploiera pas non plus il y a du fight pour signaler un débat virulent, voire une rixe.

En situation de chômage, en situation de handicap

Le 3 juin 2021

Extensions de sens abusives

Une certaine langue technocratique, on l’a vu, semble oublier nos prépositions mais ce n’est hélas pas le seul grief que l’on puisse lui faire. Elle a aussi la fâcheuse habitude d’ajouter des mots qui ne semblent pas avoir d’autre utilité que de donner une manière de vernis scientifique aux propos tenus. C’est ainsi que les locutions au chômage ou en chômage sont fréquemment remplacées par en situation de chômage. Peut-être y a-t-il une volonté de ne pas dire il est chômeur et de ne pas faire de ce nom une qualité inhérente à tel ou tel ; mais dans ce cas, ajouter en situation de est inutile puisque chômage désigne déjà un état, une situation. Notons qu’en situation de… se rencontre aussi avec une valeur euphémistique dans la locution en situation de handicap, employée de plus en plus en lieu et place de l’adjectif handicapé.

Je vous joins le contrat signé au lieu de Je vous adresse, je vous envoie le contrat signé

Le 6 mai 2021

Emplois fautifs

Le verbe joindre peut avoir de nombreux sens : « être contigu à » (les terrains qui joignent la rivière), mais cet emploi est aujourd’hui désuet ; « approcher deux choses l’une de l’autre pour qu’elles se touchent ou se tiennent » (joindre des tôles avec des rivets, joindre les mains en signe de supplication) ; « réunir deux ou plusieurs choses pour former un tout » (joindre les pièces justificatives au dossier, joindre l’utile à l’agréable) ; « unir, allier deux personnes, deux familles » (ils sont joints par les liens du sang, se joindre aux manifestants). Dans tous les cas, on joint une chose à une autre, de même nature ou de nature proche, ou une personne en joint une autre. Il convient de ne pas ajouter à ces sens ceux de « faire parvenir, adresser, envoyer ». Rappelons cependant que vous trouverez ci-joint… est correct.

on dit

on ne dit pas

Je vous fais parvenir le document signé, je joins le document signé à mon envoi

Vous devez joindre une lettre de motivation à votre dossier, m’adresser une lettre de motivation

Je vous joins le document signé


Vous devez me joindre une lettre de motivation

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