Dire, ne pas dire

Rusé comme un renard

Le 7 octobre 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

Ruse et renard. Voilà deux mots qui semblent étroitement liés entre eux par le sens. La ruse est en effet la caractéristique essentielle du renard et celui-ci est le parangon de celle-là. Cet animal occupe une place à part dans notre imaginaire, tant pour le rôle qu’il y joue que pour son étymologie. Les latins l’appelaient volpes, ou vulpes, nom que Varron explique ainsi dans son De Lingua latina : « volpes […] quod volat pedibus » (« volpes […] parce qu’il vole avec ses pieds »). À son sujet, Ernout et Meillet écrivent dans leur Dictionnaire de la langue latine : « Le genre féminin que présentent plusieurs des noms de cet animal, est, comme dans le grec huaina, « hyène », un moyen de marquer du mépris pour une bête sans courage. » On lit chose à peu près semblable chez Chantraine qui, dans son Dictionnaire historique de la langue grecque, explique le genre féminin du grec alôpêx par le fait qu’il s’agit d’« un animal craint et méprisé ». L’allemand et l’anglais ont donné des noms différents au mâle et à la femelle de cette espèce, le premier avec Fuchs et Füchsin, le second avec fox et vixen, ce dernier désignant, outre une renarde, une mégère (sens qu’il partage, étonnamment, avec shrew, « musaraigne »). Alôpêx, qui ne nous a donné que le nom alopécie, affection cutanée caractérisée par la chute anormale des cheveux ou des poils, et qui fut d’abord observée chez les renards, est voisin du sanscrit lopasa, même si, dans les contes indiens et persans, le rôle de joueur de tours est plutôt dévolu au chacal. Du latin volpes/vulpes est dérivé la forme vulpeculus, « petit renard », d’où est issu le français goupil. Ce dernier mot, devenu rare dans la langue courante, survit dans l’onomastique. En effet, pour dénommer des personnes rusées, on a employé aussi bien Renard que Goupil ou, particulièrement dans l’Ouest, Lerenard et Legoupil, toutes formes devenues des patronymes. Cette substitution d’un nom commun usuel par un ancien nom propre est exceptionnelle et il a fallu pour cela l’extraordinaire succès du poème du Moyen Âge, Le Roman de Renard. Dans les versions allemandes de ce récit, le héros s’appelle Reginhart, « rusé, malin », et, proprement « fort au conseil ». Et force est de constater que, dans les différentes branches de cette œuvre, Renard, même s’il échoue parfois, passe l’essentiel de son temps à berner les autres animaux, et particulièrement le loup Ysengrin, ainsi nommé en raison de la couleur gris de fer de son pelage. Comment s’étonner dès lors qu’un tel animal, dont l’académicien et naturaliste Buffon reconnaissait le talent dans son Histoire naturelle (« Le renard est fameux pour ses ruses et mérite en partie sa réputation »), ait servi de modèle à tous les individus passés maîtres dans l’art de la feinte ? On trouve d’ailleurs ce nom déjà employé comme surnom en grec ou en latin. Plus près de nous, le renard est l’animal que l’on rencontre le plus dans les Fables d’un autre académicien. Il a aussi donné son nom, outre-manche, à des personnages de fiction, comme dans Volpone or the fox, « Volpone ou le renard », de Ben Jonson (1607). Rappelons aussi que le général Rommel était surnommé, par ses adversaires et par ses soldats « le renard du désert ». Enfin, on n’oubliera pas non plus le roman-feuilleton américain The Curse of Capistrano, « Le Fléau de Capistrano », de Johnston Mc Culley, dont le héros est un jeune aristocrate qui combat la tyrannie, dissimulé sous un masque noir et répond au surnom de Zorro, « le Renard ».