Dire, ne pas dire

Dans la paroisse de mon voisin, les écologistes mangent des sandwichs

Le 7 octobre 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

La chose n’est pas évidente au premier abord, mais les quatre noms contenus dans cette phrase ont une origine commune. Voyons d’abord sandwich. L’histoire est connue : John Montagu, comte de Sandwich, adorait les cartes, mais l’obligation de se nourrir l’obligeait trop souvent à quitter la table de jeu, ce qui l’ennuyait beaucoup. Le problème fut résolu quand un domestique lui apporta de la viande froide entre deux tranches de pain. On donna à ce mets le nom du comte : le sandwich était né. Sandwich, le comté de John Montaigu, s’écrivait Sandwic au xe siècle, nom composé à l’aide de sand, « sable », et wic, « port, anse » mais aussi « village ». La terminaison -wic ou -wich, qu’on retrouve dans de nombreux toponymes, comme Norwich ou Greenwich, est tirée d’une racine indo-européenne weik/woik, qui désignait l’unité sociale juste supérieure à la maison.

Cette racine est également à l’origine du gaulois vix, proprement « village », qui est aujourd’hui encore le nom d’une commune de Côte-d’Or où fut découvert, dans la tombe d’une princesse celte, un cratère d’une très grande valeur, mais aussi du latin vicus, qui désignait un village, un bourg, un quartier. Plusieurs villages portent la trace de cette origine latine, tels Vic-sous-Thil ou Vic-sur-Aisne. C’est aussi à l’aide de ce nom latin qu’a été formé Longwy, « le village allongé ». De vicus, le latin a tiré l’adjectif vicinus, qui qualifie des personnes appartenant au même village, au même quartier et qui habitent donc à proximité. C’est à ce vicinus que nous devons notre adjectif « vicinal » mais aussi le nom et adjectif « voisin ».

Passons maintenant aux écologistes. La forme grecque la plus connue, venant de la racine indo-européenne citée plus haut, est oikos, désignant une maison, un domaine. Les Grecs, peuple essentiellement composé d’agriculteurs, réfléchirent à une manière raisonnée de mettre ces domaines en valeur et en tirèrent une science, oikonomia, à l’origine de notre « économie ». Xénophon lui consacra un ouvrage, Oikonomikos, « L’Économique », c’est -à-dire « l’art d’administrer un domaine ». De ce texte, nous avons une traduction de La Boétie, intitulée La Mesnagerie, ce qui nous rappelle qu’avant de prendre le sens qu’on lui connaît aujourd’hui, le nom ménagerie a d’abord désigné l’administration d’une maison, et surtout d’une ferme, puis tout ce qui appartient à la ferme, et en particulier les animaux. Ce nom ne doit pas nous étonner puisqu’il est dérivé de « ménage », au sens ancien de « demeure » puis d’« administration des biens », mot dérivé de l’ancien verbe français manoir, signifiant « demeurer ». On se souvient aussi que, dans Les Regrets, Du Bellay se plaint du « soin ménager » dont il est travaillé. Comme pour faire pendant à économie, et toujours à partir de oikos, le biologiste et zoologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919) créa, en 1866, le nom Ökologie, à l’origine de notre écologie. Autre création à partir de la racine oikos et de para, « du côté de, d’auprès », l’adjectif et nom paroikos, « qui demeure auprès, voisin » puis « étranger », d’où on tira paroikia, pour désigner un séjour à l’étranger et qui prit en grec chrétien le sens de communauté. Le latin chrétien en fit le nom parochia, qui désigna, entre autres, une église de campagne et le territoire dont elle avait la charge, sens tout proche du français paroisse, qui en est issu.