Dire, ne pas dire

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Comfort food

Le 11 décembre 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

« Confortable est un anglicisme très intelligible et très nécessaire à notre langue, où il n’a pas d’équivalent ; ce mot exprime un état de commodité et de bien-être qui approche du plaisir, et auquel tous les hommes aspirent naturellement, sans que cette tendance puisse leur être imputée à mollesse et à relâchement de mœurs. » Voilà ce qu’écrit Charles Nodier dans son Examen critique des dictionnaires de la langue française. L’adjectif anglais comfortable est lui-même tiré de l’ancien français confortable, qui signifiait « qui conforte, qui réconforte ». Le nom anglais comfort, contrairement au français confort, a conservé ce sens que l’on retrouve dans notre « réconfort ». C’est aussi celui qu’il a dans la locution anglaise comfort food, qui désigne un type de nourriture qui remonte le moral, qui réconforte. Il est sans doute préférable, en français, d’éviter d’employer cette locution qui pourrait être mal comprise.

Du rififi chez les insectes : le cuivré de la verge d’or et le réduve masqué

Le 11 décembre 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

Procuste chagriné, ammophile hirsute, cuivré de la verge d’or, cercope écumeux, horloge de la mort, réduve masqué ou encore rhagie enquêteuse, autant de noms qui semblent sortis des films noirs des années 1950 ou, plus encore, des Mystères de Paris, d’Eugène Sue, roman paru en feuilletons qui voyait voisiner, entre autres, le Chourineur, la Goualeuse, le Maître d’école, le Squelette, Bras-Rouge, Coupe-en-deux, Gros-Boiteux, Tortillard, la Louve ou la Chouette. Il n’en est pourtant rien : la première liste ne regroupe que des insectes, même s’il est vrai que les mœurs de certains d’entre eux leur vaudraient une place de choix dans la seconde.

Le procuste emprunte son nom à un célèbre brigand de l’Antiquité, mais s’il est chagriné, c’est parce que ses élytres ont l’aspect grenu du cuir de peau de chèvre, appelé chagrin. Il est assez proche du carabe embrouillé, minuscule carnivore qui doit, lui aussi, son nom aux granulations qui couvrent ses élytres, et non à un différend qu’il aurait eu avec un autre insecte. On se gardera également de penser que la libellule déprimée tire son surnom d’une altération de son humeur alors que c’est à son corps aplati qu’elle le doit, déprimer étant employé ici dans son sens premier d’« enfoncer, affaisser ». L’ammophile hérissée ou hirsute, sorte de guêpe dont la tête et l’abdomen sont couverts de petits poils, a l’étrange particularité, eu égard à son nom, de ne s’attaquer qu’à des chenilles glabres, qu’elle paralyse et cache sous terre en attendant que ces dernières fassent l’ordinaire de ses larves. Le cuivré de la verge d’or, lui, ne doit pas son nom à quelque remarquable particularité anatomique, mais au fait qu’on le croyait attiré par une herbacée vivace, la solidage verge d’or (parfois aussi appelée baguette d’Aaron). Sa dénomination le rapproche de l’azuré de la bugrane, papillon qui, comme le premier élément de son nom l’indique, est d’un joli bleu, et qui, comme le second élément le signale, vit aux côtés d’une plante appelée bugrane, parfois surnommée arrête-bœuf parce que ses longues racines bloquaient les charrues. Puisque nous parlons de bœufs, voyons l’erreur judiciaire de notre histoire, celle du bupreste. Son nom est tiré du grec bouprestis, proprement « qui fait gonfler les bœufs », parce que l’on pensait que si ces derniers le mangeaient en paissant, il provoquerait chez eux des inflammations pouvant les mener à la mort. C’est ce qu’écrit Pline dans son Histoire naturelle : « Le bupreste est un inceste très semblable au scarabée à longues pattes. Au milieu des herbes le bœuf l’avale sans s’en apercevoir : le bupreste (et c’est de là que lui vient son nom) cause chez le bœuf, en lui touchant le fiel, une telle inflammation qu’il le fait mourir. Ce petit insecte est pourtant innocent ; on l’a confondu avec les vrais responsables, beaucoup moins célèbres, les méloés… Mais revenons à notre liste : le cercope est appelé écumeux parce que sa larve se développe dans une masse d’écume, parfois appelée crachat de coucou ou de grenouille, qu’elle sécrète sur la plante où elle se développe. La vrillette, insecte xylophage, possède, elle aussi, un surnom peu commun, celui d’horloge de la mort. Voici pourquoi : pour se signaler à la femelle, le mâle frappe de la tête le morceau de bois sur lequel il se trouve. La femelle lui répond de la même façon et ces bruits continuent durant l’accouplement. Cette alternance de coups rappelle celle du balancier d’une horloge et, comme elle se faisait mieux entendre dans le silence des nuits où l’on veillait un moribond, on a cru que ce bruit était annonciateur de mort. Voyons, pour conclure, les deux insectes qui auraient pu le plus facilement trouver place chez Eugène Sue, le réduve masqué et la rhagie enquêtrice. Malheureusement, le réduve ne s’apparente en aucun cas à un malfaiteur encagoulé : il est ainsi nommé parce que ses larves se couvrent de poussière, ce qui les rend peu visibles. Notons cependant que sa piqûre fort douloureuse lui a aussi valu le nom de réduve irascible ou punaise assassine. Qui dit voleur dit gendarme : ce rôle pourrait être dévolu à la rhagie, puisque ce coléoptère, qui tire son nom du grec rhagion, « grain de raisin », s’est vu attribuer les qualificatifs suivants : enquêtrice, enquêteuse, inquisitrice, chercheuse. Si, hélas, on ne sait expliquer pourquoi ils lui ont été attribués, on sait en revanche que c’est son grand appétit qui lui a valu son dernier surnom, celui de mordante.

Papotage, bavardage, causerie, causette, etc.

Le 6 novembre 2025

Nuancier des mots

Il y a quelque temps, un grand journal du soir évoquait « l’art perdu du papotage » et se désolait du fait que « l’omniprésence des écrans et des écouteurs marginalise le small talk, ce bavardage où l’on parle de tout et de rien avec son voisin ». Peut-être n’est-il pas inintéressant de se pencher sur ces noms et quelques autres appartenant au même champ sémantique.

Papotage est dérivé, par l’intermédiaire de papoter, qui a d’abord signifié « manger sans ardeur », de l’ancien verbe paper, « manger » ; il désigne des propos légers et frivoles sur des sujets de peu d’importance. C’est un synonyme de bavardage, pour ce qui est de la légèreté et de la futilité des propos échangés. Ce dernier est souvent innocent, il est énervant quand il trouble l’attention, mais ce peut parfois être une forme de médisance. C’est un dérivé de baver, et donc un parent de bavard, surnom qu’on donna aux avocats en raison de leurs trop longues plaidoiries. On le déforma en baveur et baveux. Ce dernier servit alors à nommer des journaux mal imprimés puis, par métonymie, des journalistes trop prolixes. C’est aussi de baver que l’on a tiré l’expression tailler une bavette. Dans ce type de propos on trouve aussi le caquet, forme de bavardage particulièrement bruyant et souvent malveillant. On en a tiré le synonyme caquetage, qui a éliminé caqueterie. À cette liste on pourrait ajouter les potins, ces rumeurs colportées sur autrui, ordinairement peu bienveillantes. Ce nom est dérivé du normand potine, la chaufferette que les femmes avaient l’habitude d’apporter à la veillée où elles échangeaient des commérages. Commérage, qui s’est d’abord rencontré au sens de « baptême », la commère étant à l’origine la marraine, désigne généralement un bavardage indiscret et empreint de malveillance. Il est assez proche du ragot, un déverbal de ragoter, proprement « grogner comme un sanglier ». Notons en effet que le verbe ragoter vient, quant à lui, d’un autre ragot, existant dès le xive siècle, qui désigne « un sanglier mâle » et « un homme à taille courte et épaisse ». Cancaner est, lui aussi, lié au monde des animaux puisqu’il signifie, en parlant d’un canard, « pousser son cri », puis, par extension, « débiter des cancans ». Mais, assez étrangement cancaner et cancan, quand ce dernier a le sens de « ragot », n’ont pas la même étymologie. Cancan est tiré, nous dit Littré, « du latin quanquam (quoique), à cause de la querelle qu’excita dans les écoles du Moyen Âge la prononciation de ce mot, les uns disant [kan-kan], à l’ancienne mode, les autres [kouan-koua-m’], à la nouvelle mode, qui est restée la nôtre ». Littré nous apprend d’ailleurs que cancan est également le « nom que les enfants et les gens du peuple donnent aux fruits du sycomore formés de deux samares soudées par la base, qui tournoient longtemps en l’air avant de tomber ». (Les enfants les nomment aujourd’hui hélicoptères.)

Il existe d’autres termes désignant le fait de s’adresser à autrui, mais sans nuance de malveillance cette fois : les noms causette et causerie, dérivés de causer. Ils n’ont pas exactement le même statut. Le premier désigne une conversation familière, un bavardage et ne s’emploie plus guère que dans des locutions comme faire la causette, un bout de causette, un brin de causette. Le second, qui s’est d’abord rencontré avec le sens de « bavardage futile », désigne essentiellement aujourd’hui un exposé sans prétention, sur un sujet donné, lié notamment aux sciences ou à la littérature. Il doit une partie de son succès aux Causeries du lundi, recueil d’articles de critique littéraire que Sainte-Beuve fit paraître dans différents journaux de 1851 à 1862. Ces mots sont parents de causeur, nom dont la définition était éclairée par cet intéressant exemple dans la deuxième édition du Dictionnaire de l’Académie française : « Il y a des hommes qui sont encore plus causeurs que des femmes. » Le causeur ne deviendra aimable que dans la septième, et brillant dans la neuvième. C’est aussi de causer que dérive causeuse, ce petit canapé bas, le plus souvent capitonné et à dossier cintré, où peuvent s’asseoir deux personnes, en particulier pour converser. Cela nous amène naturellement à la conversation, un échange de propos, un entretien familier entre deux ou plusieurs personnes. C’est le sens de ce mot aujourd’hui, mais on en faisait également naguère un euphémisme désignant les relations sexuelles ; nous avons d’ailleurs emprunté de l’anglais criminal conversation la locution conversation criminelle, qui ne s’est conservée que dans l’expression être surpris en conversation criminelle, « en flagrant délit d’adultère ». Le nom entretien suppose, quant à lui, un échange de propos de haute tenue sur un sujet déterminé, le plus souvent entre des personnalités scientifiques, littéraires ou politiques, et destiné à l’information du public. Quand ces entretiens sont menés sur le mode de la conversation par un philosophe ou un homme d’Église, devant un auditoire restreint, on les désigne sous le nom d’entretiens spirituels. Il est vrai cependant qu’aujourd’hui entretien s’emploie aussi dans un sens affaibli, comme un équivalent français du nom anglais interview.

Voyons pour conclure les hyperonymes de tous ces mots : parole et parler. Ils sont neutres et il faut leur adjoindre des adjectifs ou des adverbes pour leur donner un caractère mélioratif ou péjoratif. Ils sont tirés, plus ou moins directement du grec parabolê, « comparaison, rapprochement » puis « parabole, discours allégorique » et sont des parents étymologiques des formes, passées par l’espagnol, palabre et palabrer.

Je veux lui, je prends lui

Le 6 novembre 2025

Emplois fautifs

Lui est la forme tonique du pronom personnel de la troisième personne du masculin singulier. Il a pour féminin le pronom elle, et les formes de pluriel équivalentes sont eux et elles. Il peut être sujet, coordonné à un nom ou à un autre pronom : Son père et lui sont venus. On le trouve aussi, employé seul ou en apposition au sujet, avec un effet d’insistance : Lui seul y a participé, il le sait bien, lui. Il est parfois le sujet d’une participiale : Lui parti, tout est rentré dans l’ordre ou d’un verbe sous-entendu : Qui a parlé ? Lui. Il peut également avoir la fonction d’attribut, là encore avec un effet d’insistance : C’est lui le meilleur. Enfin, il est parfois complément d’objet direct dans les phrases comportant la négation restrictive ne… que : Elle n’aime que lui. Voilà déjà beaucoup de fonctions pour un même pronom, aussi n’est-il pas nécessaire de lui ajouter celle de complément d’objet direct dans des phrases qui ne contiendraient pas ce ne… que et d’en faire un équivalent du pronom personnel complément d’objet direct le (et la ou les) ou des pronoms démonstratifs celui-ci, celui-là. On dira donc Je veux celui-ci, je le prends et non Je veux lui, je prends lui.

« Ils se sont repentis de cette action » mais « ils se sont reproché cette action »

Le 6 novembre 2025

Emplois fautifs

Le verbe se repentir est un verbe essentiellement pronominal ; c’est donc avec le sujet que se fait l’accord du participe passé. On écrit alors : Ils se sont repentis de cette action. Le verbe reprocher est un verbe transitif direct, qui peut se mettre à la voix pronominale. Mais, dans ce cas, le pronom personnel se, qui l’accompagne, n’est pas le complément d’objet direct ; il est un complément d’objet indirect. Il ne commande donc pas l’accord du participe passé aux temps composés. C’est pourquoi on écrit Ils se sont reproché (et non reprochés) cette action. Notons cependant que l’on écrit L’action qu’ils se sont reprochée car dans cette phrase, qui est l’équivalent de L’action qu’ils ont reprochée à eux-mêmes, l’accord se fait avec le complément d’objet direct antéposé, ici le pronom relatif élidé qu’, qui a pour antécédent le nom féminin singulier action.

« Dépouillage » ou « Dépouillement » ?

Le 3 octobre 2025

Emplois fautifs

Du verbe dépouiller ont été tirés les noms dépouillement et dépouillage, qui se distinguent l’un de l’autre par leur fréquence et leur sens. Dépouillage, qui est le moins usuel, désigne l’action de retirer la peau d’une bête morte et celle d’enlever la peau ou l’écorce d’un végétal. Dépouillement est bien plus fréquent : s’il peut avoir les sens de dépouillage, il est aussi le nom désignant l’état, la situation de celui qui a été dépouillé de ses biens ou y a renoncé. Enfin, dépouillement s’emploie surtout pour désigner l’examen minutieux d’un dossier, d’un ensemble de documents, en vue d’en faire l’analyse. C’est donc lui qu’on utilise, par extension, pour parler du décompte des suffrages exprimés lors d’un vote, et non dépouillage.

Medal table, placing table

Le 3 octobre 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le monde du sport de compétition suppose des classements entre les différents participants. Il y a donc des premiers, des deuxièmes, des troisièmes, etc., qui sont éventuellement récompensés par des médailles, dont le métal ou la couleur signale leur place. Mais si l’on classe les athlètes, on classe également les pays dont ils sont originaires. Aussi, après des Jeux olympiques, des championnats du monde ou des championnats continentaux, présente-t-on un « tableau des médailles », que nos amis anglais appellent medal table. Depuis quelque temps, pour affiner ces données, on y inclut le nombre de finalistes que chaque pays a obtenus. En anglo-américain, cette liste s’appelle placing table. Il serait sans doute préférable, plutôt que d’emprunter cette locution, de parler, par analogie avec « tableau des médailles », de « tableau des finalistes ».

Aux mots disparus, la langue française reconnaissante

Le 3 octobre 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

Qui emploie encore aujourd’hui les mots alteres, amenage, badaudage, becqueno, cacozele, bourrelanice, bout-de-cul, cagne, chocailler, chocaillon, de gallico, encourtiner, gore, hubir, esperlucat, grat, escorne, garde-rolle, o benigna, philavtie, randon et quelques autres de la même farine ? Peu d’entre nous assurément. Pourtant, ils figuraient tous, à côté de quelque 18 000 autres, dans la 1re édition du Dictionnaire de l’Académie française, en 1694. Définir les mots qui la composaient fut un travail de longue haleine, mais le choix même de ces mots n’était pas toujours simple et, parfois, relevait du pari. Si, bien sûr, l’immense majorité de ceux qu’on y trouvait sont restés dans les éditions suivantes, il en est quelques-uns, dont ceux qui sont cités plus haut, qui firent un tour de piste et disparurent. Peut-être n’est-il pas inintéressant de se pencher sur ce qui était dit de certains d’entre eux pour essayer de voir ce qui a justifié leur retrait des éditions suivantes. D’aucuns étaient peut-être trop savants, ainsi cacozele, un « terme de rethorique » désignant une « vicieuse affectation dans le discours », et qui n’était qu’une transcription du grec kakozelon. Même chose pour philavtie, « Terme dogmatique. Amour de soy-mesme, complaisance vicieuse pour soy-mesme », transcrit du grec philautia. Pour ce dernier, le fait est assez ra re pour être signalé, on donnait la prononciation : [Philafcie]. D’autres, à l’inverse, étaient jugés « bas », mais le résultat fut le même, ils ne se maintinrent point. C’est le cas pour cagne, « chienne ». On nous avertissait qu’« Il ne se dit point au propre, & se dit seulement d’une femme prostituée. C’est une cagne ». Si cagne a disparu, ses dérivés, cagnard, proprement « fainéant comme une chienne », cagnardise, « fainéantise », et cagneux, que ce mot soit un adjectif signifiant « qui a les genoux tournés en dedans et les jambes écartées (comme les chiens) » ou un nom désignant un élève des classes préparatoires littéraires, se sont maintenus. Autre terme dépréciatif, chocaillon : « femme adonnée au vin », un dérivé de chocailler, « yvrogner, boire long-temps & avec excès ». Il appartenait aux noms désignant une femme, dans lesquels le suffixe -on a une valeur péjorative, comme dondon, goton, laideron, souillon. À l’article Bec, on lisait : bequeno « Espece d’injure basse & populaire qu’on dit des petites filles qui n’ont que du caquet ». On notera l’étrange paronymie avec d’autres synonymes aussi peu flatteurs qui, eux, ont subsisté : péquenaud, « Paysan et, par extension, personne rustaude et mal dégrossie » ; peque (écrit aujourd’hui pecque) : « Terme d’injure & de mespris, qui se dit d’une femme sotte, impertinente, & qui s’en fait accroire. C’est […] une peque provinciale. Il est bas & populaire », ou encore Pécore « Terme injurieux, qui signifie, Une personne stupide. C’est une grosse pecore. » Alteres était présenté comme un nom féminin pluriel, ce qui nous montre qu’il ne s’agit pas d’une variante orthographique du nom masculin singulier haltère. Il s’agit en fait d’un dérivé du verbe altérer, glosé par « Inquietude, trouble d’esprit ». Cette définition était illustrée par cet exemple : « Estre en de grandes alteres ». On lisait ensuite « Il n’est plus guere en usage », ce qui explique sans doute qu’on ne le revit jamais. De nos jours, gore est un adjectif emprunté de l’anglais gore, proprement « sang caillé », qui qualifie un ouvrage particulièrement sanglant. C’était dans la première édition un nom qui désignait une « truye ». On nous avertissait que c’était un « Vieux mot qui n’est plus en usage ». Au sujet du verbe hubir, on nous disait que « l’H s’aspire » et on le définissait ainsi : « Herisser la peau, le poil, comme font les oiseaux & quelques animaux qui sont en colere. Voyez ce chat, ce jeay, comme il se hubit. Il est vieux. » On ajoutait « Se hubir se dit des personnes, & signifie, S’esvertuer, tascher de s’accommoder. Il a bien de la peine, il se hubit comme il peut. Il est bas. » Voyons pour conclure l’étrange Bourrelanice. On sait que dans cette édition les mots n’étaient pas classés par ordre alphabétique, mais par famille. Or, on trouve à l’article bourre le mot lanice, présenté comme un adjectif féminin signifiant « Qui est de laine ». On nous dit qu’« Il n’a d’usage qu’avec le mot Bourre ». Il forme ainsi le nom bourrelanice, « qui est une espece de bourre qui sort de la tonture du drap, & dont on fait des matelas ». Dans les mots de cette même famille figurait, plus logiquement, le verbe desbourrer, ainsi glosé « Ne se dit que figurément pour dire, Former, façonner, polir un esprit », une définition illustrée par cet étrange exemple : « Il faut mettre ce jeune Gentilhomme à l’Académie, cela le desbourrera, il s’y desbourrera. »

Les dossiers y afférents ou y afférant ?

Le 3 juillet 2025

Emplois fautifs

Afférent est un adjectif, surtout en usage dans la langue juridique et administrative, tiré du participe présent de l’ancien verbe afférir, qui est lui-même issu du latin populaire afferire, altération de afferre, « apporter ». On l’emploie aujourd’hui dans des locutions comme les dossiers afférents à cette affaire ou les dossiers y afférents. Ce dernier tour a de quoi étonner, puisqu’il associe à un adjectif variable, afférent, un pronom, y, normalement associé à un verbe. Il s’agit là d’un archaïsme. L’usage du tour y afférent s’est en effet établi à une époque où le participe présent variait comme l’adjectif, et où la répartition des formes -ent /-ant n’était pas fixée ; le verbe afférir et son participe présent afférant, invariable, ne s’emploient quasi plus aujourd’hui, tandis que la forme ancienne afférent, à mi-chemin entre l’adjectif et le verbe, est restée dans notre langue.

Notons enfin qu’il existe une deuxième forme afférent, employée en anatomie, en particulier pour qualifier un nerf qui conduit l’influx nerveux de la périphérie vers les centres nerveux. Cet afférent est la francisation du latin afferens, participe présent de affere, « apporter ».

Pourquoi y a-t-il un « s » à « vraisemblance » et deux à « ressemblance » ?

Le 3 juillet 2025

Emplois fautifs

Vraisemblance est un mot composé, constitué de deux éléments (vrai et semblance) aussi denses sémantiquement et autonomes syntaxiquement l’un que l’autre, puisque le nom semblance, s’il est très vieilli aujourd’hui, s’employait couramment autrefois au sens d’« apparence extérieure ». Ce n’est pas le cas pour ressemblance, qui comprend un préfixe, re, qui ne s’emploie jamais seul et qui n’a pas la densité sémantique d’un nom ou d’un adjectif. Vraisemblance s’est d’ailleurs écrit avec un trait d’union jusqu’à la fin du xviiiesiècle (vrai-semblance), ce qui ne pouvait être le cas de ressemblance. Le sentiment de composition est donc suffisamment fort dans vraisemblance pour que l’on n’ait pas senti le besoin de marquer la frontière entre les éléments en redoublant le s, alors qu’on l’a fait avec des dérivés comme ressemblance ou ressortir qui, pour éviter une erreur éventuelle de prononciation, ont été systématiquement écrits avec une consonne double depuis le xviiesiècle. Signalons cependant que certains composés en re- plus récents, comme resituer ou resucée, où le radical se fait fortement sentir, ne comptent, eux, qu’un seul s.

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