Dire, ne pas dire

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S’il dissoudait

Le 3 novembre 2022

Emplois fautifs

La conjugaison du verbe dissoudre n’est pas des plus simples et l’Académie a toujours indiqué, à cet article, les formes qu’elle prend. Cette conjugaison a fait l’objet de débats entre grammairiens. Féraud en rendit compte dans son Dictionnaire critique de la langue française, quand il écrivit : « La Touche dit que résoûdre a au pluriel du présent : nous résolvons, vous résolvez, ils résolvent, et non pas, nous résoudons, etc. ; mais que dissoûdre fait : nous dissoudons, etc., plutôt que nous dissolvons. Il dit bien pour le 1er : mais pour le 2nd, il se trompe. Richelet met aussi, nous dissoudons, et ajoute que plusieurs disent dissolvons, mais que le grand usage est pour la première manière. L’usage a donc changé : on ne dit plus que dissolvons. » Ce texte, vieux de plus de deux siècles, est toujours d’actualité. Rappelons donc que l’on ne doit pas dire s’il dissoudait (ni, bien sûr, s’il dissoudrait) mais s’il dissolvait et que le verbe résoudre suit la même conjugaison.

on dit

on ne dit pas

Il prendrait un risque s’il dissolvait l’Assemblée


Il faut que tu résolves ce problème

L’acide dissoudra cette pierre

Il prendrait un risque s’il dissoudait l’Assemblée


Il faut que tu résoudes ce problème

L’acide dissolvera cette pierre

Faire une diligence ou faire diligence ?

Le 3 novembre 2022

Extensions de sens abusives

Il existe deux noms diligence en français. Le premier est un nom abstrait, emprunté du latin diligentia, « soin scrupuleux, attention, exactitude », dont il partage les sens, auxquels l’usage a ajouté celui de zèle, d’empressement que l’on apporte à l’exécution d’une affaire. On dira ainsi : Je confie cette affaire à votre diligence mais aussi, sans article, comme c’est souvent le cas dans les locutions verbales comportant un nom abstrait : User, faire preuve de diligence ; Faire diligence, grande diligence.

Le deuxième nom diligence, qui est directement lié au premier, est un terme concret désignant une grande voiture hippomobile qui transportait voyageurs et marchandises à des jours et à des heures fixes : c’est une abréviation de la locution « carrosse de diligence » qui désignait auparavant ce véhicule réputé pour sa vitesse. Comme la plupart des noms concrets, il s’emploie généralement avec un déterminant. On ne dira donc faire une diligence que pour parler de l’artisan qui fabrique ce type de véhicules. Si l’on veut dire « se hâter, agir promptement », on dira faire diligence.

« Féminisons ! » Lecture d’un texte de 1908

Le 3 novembre 2022

Expressions, Bonheurs & surprises

Dans le numéro du 12 janvier 1908 des Annales littéraires et politiques figurait un texte écrit et illustré par le dessinateur d’origine russe Caran d’Ache, qui s’intitulait « Féminisons ! » On y lisait ceci :

« Au nom des vingt millions de femmes, l’Académie est invitée à bien vouloir féminiser la langue française pour faciliter l’affranchissement de la plus belle moitié de la nation, et afin d’empêcher le masculin de se dresser partout devant la femme pour le seul profit de l’homme “monopoleur” (cet adjectif se lisait encore dans les sept premières éditions de notre Dictionnaire). »

L’auteur considérait qu’il fallait féminiser même les noms de métier épicènes puisqu’il s’interrogeait sur les féminins de fonctionnaire, astronome, apothicaire, membre, architecte. Pour ceux-ci, il proposait souvent une forme en -esse, comme apothicairesse (à côté de pharmacienne). Et, au sujet de l’astronome, de demander : « Et comment direz-vous si l’astronome est, avec ça, membre de l’Institut ? Membresse ? » (rappelons que la première femme à l’être fut Suzanne Bastid, élue en 1971 à l’Académie des sciences morales et politiques). Ce suffixe en -esse, que la langue avait utilisé pour des formes comme abbesse, comtesse, duchesse, chasseresse, était également proposé pour doctoresse (en concurrence avec la médecin), nom qui fut longtemps employé avant de sortir peu à peu de l’usage. S’agissant des fonctionnaires, il proposait chefesse de bureau. Pour ceux qui font profession d’écrire, il s’interrogeait : écrivaine ? journalistine ? Et la femme auteur ? Il suggérait alors, comme cela se fait encore aujourd’hui, d’ajouter un simple e à la forme du masculin ; on obtenait donc, à côté de l’écrivaine vue plus haut, une témoine, une tamboure, une électeure. Et une consule – terme qui, de fait, n’était pas entièrement nouveau ; on lisait en effet, en 1732, dans les Lettres historiques et galantes de deux dames de condition, d’Anne-Marguerite du Noyer : « Cette qualité de Madame la Consule l’avait rendue si orgueilleuse qu’elle se croyait la première Moutardière (autre néologisme) du Pape. » Caran d’Ache propose encore avocate (on rappellera que la première femme à prêter serment fut Olga Petit, en 1900, et la première à plaider, Jeanne Chauvin en 1901). C’est dans la huitième édition de notre Dictionnaire (1935) qu’on trouvera cette forme avec ce sens : « Il s’emploie aussi au féminin, Avocate. On compte maintenant d’assez nombreuses avocates au Palais. » S’agissant du mot coiffeur, notre auteur notait que l’on pouvait user de « coiffeuse », même si c’était déjà le nom d’un meuble, et précisait que « barbier » n’existait pas au féminin, les femmes n’exerçant pas ce métier. Il s’intéressait ensuite aux femmes « commis », qu’il appelle « commises » ; là encore, ce terme de « commise » existait dans la langue avec un autre sens, ainsi défini dans la septième édition de notre Dictionnaire : « confiscation d’un fief au profit du seigneur, faute de devoirs rendus par le vassal ». Il signalait ensuite le problème que posait le nom « souffleur » : « Nous avons le souffleur, mais serait-il séant de parler de la souffleuse ? » Ce dernier nom échappe en effet à la bienséance, sans doute à cause de la « souffleuse de poireau », que, dans son Dictionnaire de la langue verte, Hector France, un auteur de textes à caractère érotique, présentait pudiquement comme une « prostituée qui exerce une certaine spécialité ». Signalons enfin que Caran d’Ache considère qu’il est des termes qu’il préfère laisser au masculin, quelle que soit la personne à qui ils s’adressent et donne cet exemple parlant : « Va donc, hé, chameau ! »

Bernard L. (Suisse)

Le 3 novembre 2022

Courrier des internautes

J’ai lu dans une traduction des Odes d’Horace par le comte de Séguier ce passage : « Dans son temple neuf que requiert d’Apollon / Le poète ? Offrant du moût de sa patère / Qu’attend-il ? Ni l’insigne moisson / De la Sardaigne, inépuisable terre / Ni les fiers troupeaux en Calabre nourris / Grassement ; ni l’or de l’Inde ou son éburne. »

Pouvez-vous me dire ce que signifie le nom éburne, qui ne figure dans aucun des dictionnaires que j’ai consultés ?

Bernard L. (Suisse)

L’Académie répond :

Monsieur,

Éburne est un nom créé par Lamarck dans son Système des animaux sans vertèbres, que le Trésor de la langue française définit ainsi : « Genre de mollusques gastéropodes univalves, de coloration blanche avec taches rougeâtres, de la famille des Buccins ».

Mais ce n’est pas le sens qu’a ce mot dans la traduction de Séguier. On lit dans le texte latin non aurum aut ebur indicum, « ni l’or ou l’ivoire indiens ». Éburne ne désigne donc pas ici un gastéropode univalve, mais de l’ivoire. Il s’agit plus d’une adaptation de la forme latine (ebur) que d’une traduction. Cela étant, il existe des formes assez proches en français : les adjectifs éburné, « qui a une consistance et un aspect analogues à ceux de l’ivoire », et éburnéen, « qui a l’apparence de l’ivoire ».

Une remise de moins 10 %

Le 6 octobre 2022

Emplois fautifs

Le nom remise désigne, entre autres, un rabais, une réduction sur un prix. On lit dans la 9e édition de notre Dictionnaire : « Obtenir, consentir dix pour cent de remise sur le prix de vente ». Après cette remise, le prix sera de 10 % moins élevé qu’il ne l’était auparavant. Mais il convient de rappeler, en mêlant arithmétique et français, que si le prix final s’obtient bien en faisant une soustraction (prix de départ moins x euros), la remise est une somme positive : sur cent euros, on fera une remise de 10 euros et non de moins 10 euros. Ce qui vaut pour les nombres vaut aussi pour les pourcentages. On dira donc Une remise de cent euros, de dix pour cent et non Une remise de moins cent euros, de moins dix pour cent.

« Au pied » ou « Aux pieds » ?

Le 6 octobre 2022

Emplois fautifs

Quand l’expression au pied de signifie « dans la partie inférieure de, au bas de », le nom pied reste au singulier. On écrira donc au pied de la montagne (c’est d’ailleurs à cette locution que le Piémont doit son nom), au pied de l’arbre, sans oublier le fameux c’est au pied du mur que l’on voit le maçon. On emploie bien sûr le pluriel quand le nom pied a son sens propre et que le contexte l’impose : Vercingétorix déposa ses armes aux pieds de César ; le chien dormait aux pieds de son maître ; sauter à pieds joints. Rappelons pour conclure que dans la locution à pied, le nom pied indique un moyen de déplacement et reste donc au singulier : elle est venue à pied ; la course à pied. Sur ce modèle, on peut aussi écrire à ski, même si la forme à skis se rencontre également.

« L’idée que Michel s’est fait » ou « L’idée que Michel s’est faite » ?

Le 6 octobre 2022

Emplois fautifs

On écrit L’idée que Michel s’est faite car, lorsqu’un verbe pronominal admet un complément d’objet direct (C.O.D.), l’accord du participe passé se fait comme lorsqu’un verbe transitif direct est employé avec l’auxiliaire avoir, c’est-à-dire avec ledit C.O.D. s’il est placé avant le verbe. Dans la phrase en question, le C.O.D. est le pronom relatif que, qui a pour antécédent le nom féminin idée. Si le complément d’objet direct est postposé, le participe passé restera invariable : Vous vous êtes fait d’inutiles frayeurs.

Être en charge de

Le 6 octobre 2022

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

L’expression anglaise to be in charge of est correcte dans la langue de Shakespeare, mais il convient de ne pas la traduire mot à mot en français. On ne dit pas en effet Il est en charge de ce projet mais Il a la charge de ce projet ou Il est chargé de ce projet. On évitera d’autant plus ce tour qu’il entraîne la prolifération d’autres formes tout aussi incorrectes comme Être en capacité de et Être en responsabilité.

on dit

on ne dit pas

Il a la charge, il est chargé de cette étude

Avoir la capacité, être capable d’agir, de comprendre

Cet homme politique a des responsabilités, exerce des fonctions importantes

Il est en charge de cette étude

Être en capacité d’agir, de comprendre


Cet homme politique est en responsabilité

 

« Connexion » au sens de « Relation, contact »

Le 6 octobre 2022

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

En 1971, le film américain The French Connection (La Filière française, au Québec) reçut cinq Oscars mais il causa quelques dommages à la langue française. Le premier arriva très vite. On oublia trop souvent que connexion, qui désigne le fait d’être connexe, était emprunté du latin connexio et non dérivé du verbe connecter, et la graphie « connection » se répandit. Le second fut un peu plus long à se faire sentir : ce mot est aujourd’hui employé, particulièrement dans le milieu professionnel, avec le sens de « lien », de « relation », de « contact ». Il s’agit là d’un anglicisme à proscrire et l’on ne dira pas Il a de nombreuses connexions (ni bien sûr connections !) dans le milieu du cinéma, mais Il a de nombreuses relations, de nombreux liens dans le milieu du cinéma.

« Privilégier » au sens de « Préférer »

Le 6 octobre 2022

Extensions de sens abusives

Les verbes privilégier et préférer sont assez proches par le sens et supposent l’un et l’autre une forme de choix, d’élection ; dans certains cas ils sont synonymes, mais il convient de rappeler qu’ils ne se construisent pas de la même façon. Préférer s’emploie généralement avec deux compléments, le second étant introduit par la préposition à, tandis que privilégier s’emploie seul. On ne dira donc pas Il faut privilégier le vélo à la voiture mais Il faut privilégier le vélo ou Il faut préférer le vélo à la voiture.

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