On lisait dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française, parue en 1694, à l’article vair : « Terme dont on se servoit autrefois pour exprimer une fourrure blanche & grise. Il ne s’employe aujourd’huy qu’en matiere d’armoiries, […] Tel porte de vair. » Trois ans plus tard, Charles Perrault fit paraître un conte intitulé Cendrillon ou La Pentoufle (sic) de verre. On s’étonna bientôt que ces pantoufles fussent de verre et l’on pensa que, en fait, Cendrillon était chaussée de vair, un nom, on l’a vu, sorti d’usage. Verre ou vair, le débat était lancé. Le xixe siècle, fort raisonnable et qui s’étonnait qu’on pût danser chaussée de verre, penchait pour la fourrure ; ainsi Balzac écrivait, dans Le Martyr calviniste : « En France […] certaines fourrures rares, comme le vair, qui sans aucun doute était la zibeline impériale, ne pouvaient être portées que par les rois, par les ducs et par les seigneurs revêtus de certaines charges. On distinguait le grand et le menu vair. Ce mot, depuis cent ans, est si bien tombé en désuétude que, dans un nombre infini d’éditions de contes de Perrault, la célèbre pantoufle de Cendrillon, sans doute de menu vair, est présentée comme étant de verre. » C’était aussi l’avis de Littré : « C'est parce qu’on n’a pas compris ce mot maintenant peu usité qu’on a imprimé dans plusieurs éditions du conte de Cendrillon souliers de verre (ce qui est absurde), au lieu de souliers de vair, c'est-à-dire souliers fourrés de vair. » Larousse, non sans quelque regret, faisait de même dans son Dictionnaire : « Beaucoup de ceux qui n’ont lu le joli conte de Cendrillon que dans les livres qu’on mettait entre leurs mains pour les amuser quand ils étaient enfants seront surpris de ne plus retrouver ici cette pantoufle de verre qui avait frappé, plus que tout le reste peut-être, leur imagination naissante. […] quelle devait être la légèreté de cette jeune fille, qui pouvait marcher et danser avec des pantoufles si fragiles sans qu’elles se brisassent… Et c’est ainsi que le nom de Cendrillon se sera trouvé associé avec l’idée d’une chaussure fantastique que la vérité historique est forcée de reléguer parmi les simples coquilles typographiques. » Cette controverse fit même le sujet d’un chapitre du Livre de mon ami, d’Anatole France : « C'est par erreur, n'est-il pas vrai, qu'on a dit que les pantoufles de Cendrillon étaient de verre ? On ne peut pas se figurer des chaussures faites de la même étoffe qu’une carafe. Des chaussures de vair, c’est-à-dire des chaussures fourrées, se conçoivent mieux, bien que ce soit une mauvaise idée d’en donner à une fillette pour la mener au bal. Cendrillon devait avoir avec les siennes les pieds pattus comme un pigeon. Il fallait, pour danser si chaudement chaussée, qu’elle fût une petite enragée. Mais les jeunes filles le sont toutes ; elles danseraient avec des semelles de plomb. »
Aschenputtel, la Cendrillon des frères Grimm, ne nous aide pas à trancher puisque c’est d’or qu’elle est chaussée, qu’il s’agisse de pantoufles, die Pantoffeln waren ganz golden, ou d’un soulier, den goldenen Schuh. Alors, remontons le temps ; au iiie siècle de notre ère, nous trouvons un lointain ancêtre de ce conte dans l’Histoire variée d’Élien, au chapitre xxxiii, intitulé De la fortune de Rhodope : « Rhodope [proprement « celle qui a un visage de rose »] passe pour avoir été la plus belle courtisane de l’Égypte. Un jour qu’elle était au bain, la fortune, qui se plaît à produire des évènements extraordinaires et inattendus, lui procura une faveur qu’elle méritait moins par les qualités de son âme que par les charmes de sa figure. Tandis que Rhodope se baignait, et que ses femmes gardaient ses vêtements, un aigle fondit sur un de ses souliers, l’enleva et, l’ayant porté jusqu’à Memphis, dans le lieu où Psammétique était occupé à rendre la justice, le laissa tomber dans le sein du prince. Psammétique, frappé de la délicatesse de ce soulier, de l’élégance du travail, et de l’action de l’oiseau, ordonna qu’on cherchât par toute l’Égypte la femme à qui il appartenait : dès qu’on l’eût trouvée, il l’épousa. » Ce conte de L’Histoire variée, même si variée, que l’on trouve dans le titre, et vair ont la même origine, ne nous dit malheureusement rien sur la matière de notre chaussure. Sans doute faut-il, après avoir redit que Perrault avait écrit verre, laisser le mot de la fin à Raymond, un autre personnage du Livre de mon ami : « Cousine, je vous avais pourtant bien avertie de vous défier du bon sens. Cendrillon avait des pantoufles non de fourrure, mais de verre, […]. Ces pantoufles étaient fées ; on vous l’a dit, et cela seul lève toute difficulté. Un carrosse sort d’une citrouille. La citrouille était fée. Or, il est très naturel qu’un carrosse fée sorte d’une citrouille fée. C'est le contraire qui serait surprenant. »
Aujourd’hui l’usage est encore un peu flottant ; d’aucuns préfèrent le verre, symbole de pureté, d’autres, plus nombreux, choisissent le vair. L’Académie française, elle aussi, a longtemps balancé ; elle opte aujourd’hui pour les pantoufles de verre, sans toutefois condamner les pantoufles de vair.