Voici deux noms aux connotations fort opposées. Le premier suppose l’effort, le labeur du percement, puis le flux frénétique des marchandises et des voyageurs transportés ; les Latins y auraient peut-être vu un symbole du negotium, c’est-à-dire, de l’occupation, du travail, des affaires. Le second offre, lui, une image de fraîcheur et de loisir ; c’est le repos du séjour, c’est l’otium latin. D’un côté, la sueur, de l’autre, le petit vin blanc. Rappelons d’ailleurs que tonnelle a pour synonyme gloriette, un diminutif de glorie, forme ancienne de « gloire » qui connotait le luxe et la richesse. Pourtant ces deux mots sont parents, mais chronologiquement, le tunnel suit la tonnelle. Cette dernière, qui désigne aussi un filet pour attraper les oiseaux, est un dérivé de tonne, non pas l’unité de masse, mais le grand tonneau. L’anglais nous l’a emprunté sous la forme tonel, avec son sens de filet de chasse auquel il a ajouté celui de « conduit de cheminée ». Arrive enfin le mot tunnel avec le sens que nous lui connaissons maintenant. Ce sont cette forme et ce sens que nous avons repris. Aujourd’hui, l’un des plus célèbres tunnels est celui qui, passant sous la Manche, relie la France à l’Angleterre. Mais bien avant le percement de cet ouvrage d’art, de nombreux mots avaient déjà fait le voyage, partant de France avec une forme et une signification, puis revenant, quelques siècles plus tard, sous une autre forme et pourvus d’un ou de plusieurs nouveaux sens. Voyons-en quelques-uns : le mot fouaille ne désigne plus aujourd’hui que les bas morceaux du sanglier, cuits au feu, que l’on donne aux chiens pour les récompenser après la chasse et, par métonymie, le moment de cette récompense. Ce mot est dérivé de fou, variante de feu, et a désigné au xiiie siècle, sous la forme füaille, du bois de chauffage. Un petit tour outre-Manche et la füaille nous revenait, avec un sens et un genre nouveaux, sous la forme fuel puis fioul. Prenons maintenant notre mot poney : il s’est d’abord écrit pooni, mais on trouvait également la forme francisée ponet, comme en témoigne un article paru en 1825 dans le Journal des dames et des modes. Celle-ci ne résista pas longtemps, en ces temps d’anglomanie triomphante, devant la terminaison -ey si évidemment anglaise. Et pourtant, ponet était plus proche du mot d’origine. Ce cheval de petite taille doit en effet son nom au moyen français poulenet, « petit poulain ». On rappellera aussi l’emprunt de l’anglais mess pour désigner la pièce où les officiers ou les sous-officiers d’un même corps prennent leurs repas, nom tiré, par métonymie, de l’ancien français mes, « mets ». Au siècle dernier nous avons également accueilli panel, qui désigne un groupe de personnes sélectionnées pour constituer un échantillon représentatif. C’était le retour sur ses terres de l’ancien français panel, qui, entre autres sens, repris sous la graphie moderne de panneau, avait ceux de « morceau d’étoffe » et de « filet tendu pour prendre le gibier » (d’où l’expression donner ou tomber dans le panneau) ; ce panel, issu du latin vulgaire pannellus, désignait aussi un morceau de parchemin et, par métonymie, le parchemin sur lequel était établie la liste des jurés, puis cette liste ou le jury lui-même, et c’est quand il avait ce sens que l’anglais nous l’a emprunté. À cette liste, on pourrait ajouter auburn, qui qualifie une chevelure châtain roux à reflets de cuivre, tiré de l’ancien français auborne, « blond » ; challenge, venu de l’ancien français chalenge, « chicane, attaque, défi » ; chèque, emprunté de l’anglais check, dérivé de to check, « contrôler », qui avait été pris du français échec, le procédé de la souche ayant pour but premier de faire échec aux malversations sur les bons de trésorerie. Enfin, on n’oubliera pas que commodore, titre donné au Royaume-Uni et aux États-Unis à un capitaine de vaisseau commandant une division navale, vient du français commandeur. Ainsi, nombre de mots français sont allés outre-Manche et, comme l’Ulysse de Du Bellay, y ont fait un beau voyage puis sont retournés, non pleins « d’usage et raison », mais « de sens nouveaux », au pays qui les avait vu naître.