Il y a un peu plus d’un an, l’Académie française a donné la neuvième édition de son Dictionnaire. Ce pourrait être l’occasion de nous interroger sur l’adjectif numéral neuf. Il n’a pas la même aura que sept, mais ne manque cependant pas d’intérêt. Signalons d’abord que si, en français, les mots se rapportant à ce nombre proviennent essentiellement du latin novem ou de ses dérivés, on veillera à ne pas oublier que l’on doit à son équivalent grec ennea l’ennéagone, figure plane à neuf angles et neuf côtés, et les Ennéades, de Plotin, ensemble de six livres traitant chacun neuf sujets philosophiques
Mais revenons à notre neuf. Neuf, c’est le nombre de vies que l’on prête parfois aux chats. Neuf, c’était, jusqu’en 2006, le nombre des planètes du système solaire avant que Pluton ne fût rétrogradée au rang de planète naine. Rétrogradée, comme le fut aussi le mois de novembre, passé, dans la liste des mois, de la neuvième place comme son nom l’indique - chez les Romains, il fut un temps où l’année commençait en mars - à la onzième. Le déclassement de Pluton est une triste nouvelle pour Uranie, celle des neuf muses qui préside à l’astronomie. Et ce n’est pas la seule, puisque le nom nonagésime, qui figurait, comme terme d’astronomie, dans les 4e, 5e, 6e et 7e éditions de notre Dictionnaire, a disparu des deux dernières.
Mais neuf, c’est encore le nombre des preux que l’on a rassemblés, en mêlant l’histoire et la légende, au début du xive siècle. On y trouve trois grands chefs de guerre de l’Antiquité (Hector, Alexandre le Grand et Jules César), trois personnages de la Bible (Josué, David et Judas Maccabée), trois héros chrétiens (Arthur, Charlemagne et Godefroy de Bouillon). Leur gloire fit que c’est parmi eux que furent choisis les rois figurant sur nos jeux de cartes : Charles (forme abrégée de Charlemagne), le roi de cœur ; David, le roi de pique ; Alexandre, le roi de trèfle et (Jules) César, le roi de carreau. Notons que ce dernier, assassiné parce qu’on le soupçonnait d’aspirer au trône, est figuré sans sceptre ni épée et sans manteau fleurdelysé. Nous avons parlé plus haut, à propos de Pluton et de novembre, de rétrogradation. Peut-être en va-t-il de même pour Hector, le héros troyen devenu valet, même s’il figure en bonne compagnie avec Lahire, Lancelot et Ogier. Les neuf preux auraient pu constituer une neuvaine puisque, quand ce mot est apparu dans notre langue, au xiiie siècle, il désignait un groupe de neuf personnes tandis que c’est aujourd’hui un exercice de piété consistant à accomplir, durant neuf jours consécutifs, divers actes de dévotion en vue d’obtenir une grâce particulière.
Nous avons tiré de l’ordinal latin nonus, « neuvième », le nom none. Il était particulièrement important chez les Romains puisque, lorsqu’il était au singulier, il désignait la partie du jour qui commençait à la fin de la neuvième heure (c’est-à-dire, selon la manière actuelle de compter, vers trois heures de l’après-midi), alors que, au pluriel, il désignait le jour du calendrier romain qui se situait le neuvième jour avant les ides (dans notre calendrier, le septième jour des mois de mars, mai, juillet et octobre, et le cinquième des autres mois).
Aujourd’hui none désigne essentiellement celle des sept heures canoniales qui se chante ou se récite vers la neuvième heure du jour.
C’est aussi à l’aide de nonus et de dies, « jour », qu’a été formé le nom nonidi, le neuvième jour de la décade dans le calendrier républicain. Comme il y avait douze mois de trois décades chacun, il y avait donc 36 nonidis, qui portaient tous des noms de plante, à l’exception des trois nonidis de nivôse, appelés respectivement salpêtre, marbre et mercure.
Notons, pour conclure, que de nonus a été tiré l’adjectif nonarius, « de la neuvième heure ». On le rencontrait surtout dans la locution nonaria meretrix, qui désignait une prostituée (on pourrait aussi le traduire par « gagneuse », meretrix étant dérivé de merere, « gagner, mériter »), ainsi nommée parce que, nous apprend le Dictionnaire de Du Cange, ante nonam de prostibulo non licebat exire, « elle n’avait pas le droit de sortir de sa maison de prostitution avant la neuvième heure ».
Voici pourquoi : ne mane juvenes, omissis exercitationibus, ad libidines migrarent, « pour éviter que le matin les jeunes gens ne délaissent leurs devoirs et aillent se livrer aux plaisirs de la chair. »