Procuste chagriné, ammophile hirsute, cuivré de la verge d’or, cercope écumeux, horloge de la mort, réduve masqué ou encore rhagie enquêteuse, autant de noms qui semblent sortis des films noirs des années 1950 ou, plus encore, des Mystères de Paris, d’Eugène Sue, roman paru en feuilletons qui voyait voisiner, entre autres, le Chourineur, la Goualeuse, le Maître d’école, le Squelette, Bras-Rouge, Coupe-en-deux, Gros-Boiteux, Tortillard, la Louve ou la Chouette. Il n’en est pourtant rien : la première liste ne regroupe que des insectes, même s’il est vrai que les mœurs de certains d’entre eux leur vaudraient une place de choix dans la seconde.
Le procuste emprunte son nom à un célèbre brigand de l’Antiquité, mais s’il est chagriné, c’est parce que ses élytres ont l’aspect grenu du cuir de peau de chèvre, appelé chagrin. Il est assez proche du carabe embrouillé, minuscule carnivore qui doit, lui aussi, son nom aux granulations qui couvrent ses élytres, et non à un différend qu’il aurait eu avec un autre insecte. On se gardera également de penser que la libellule déprimée tire son surnom d’une altération de son humeur alors que c’est à son corps aplati qu’elle le doit, déprimer étant employé ici dans son sens premier d’« enfoncer, affaisser ». L’ammophile hérissée ou hirsute, sorte de guêpe dont la tête et l’abdomen sont couverts de petits poils, a l’étrange particularité, eu égard à son nom, de ne s’attaquer qu’à des chenilles glabres, qu’elle paralyse et cache sous terre en attendant que ces dernières fassent l’ordinaire de ses larves. Le cuivré de la verge d’or, lui, ne doit pas son nom à quelque remarquable particularité anatomique, mais au fait qu’on le croyait attiré par une herbacée vivace, la solidage verge d’or (parfois aussi appelée baguette d’Aaron). Sa dénomination le rapproche de l’azuré de la bugrane, papillon qui, comme le premier élément de son nom l’indique, est d’un joli bleu, et qui, comme le second élément le signale, vit aux côtés d’une plante appelée bugrane, parfois surnommée arrête-bœuf parce que ses longues racines bloquaient les charrues. Puisque nous parlons de bœufs, voyons l’erreur judiciaire de notre histoire, celle du bupreste. Son nom est tiré du grec bouprestis, proprement « qui fait gonfler les bœufs », parce que l’on pensait que si ces derniers le mangeaient en paissant, il provoquerait chez eux des inflammations pouvant les mener à la mort. C’est ce qu’écrit Pline dans son Histoire naturelle : « Le bupreste est un inceste très semblable au scarabée à longues pattes. Au milieu des herbes le bœuf l’avale sans s’en apercevoir : le bupreste (et c’est de là que lui vient son nom) cause chez le bœuf, en lui touchant le fiel, une telle inflammation qu’il le fait mourir. Ce petit insecte est pourtant innocent ; on l’a confondu avec les vrais responsables, beaucoup moins célèbres, les méloés… Mais revenons à notre liste : le cercope est appelé écumeux parce que sa larve se développe dans une masse d’écume, parfois appelée crachat de coucou ou de grenouille, qu’elle sécrète sur la plante où elle se développe. La vrillette, insecte xylophage, possède, elle aussi, un surnom peu commun, celui d’horloge de la mort. Voici pourquoi : pour se signaler à la femelle, le mâle frappe de la tête le morceau de bois sur lequel il se trouve. La femelle lui répond de la même façon et ces bruits continuent durant l’accouplement. Cette alternance de coups rappelle celle du balancier d’une horloge et, comme elle se faisait mieux entendre dans le silence des nuits où l’on veillait un moribond, on a cru que ce bruit était annonciateur de mort. Voyons, pour conclure, les deux insectes qui auraient pu le plus facilement trouver place chez Eugène Sue, le réduve masqué et la rhagie enquêtrice. Malheureusement, le réduve ne s’apparente en aucun cas à un malfaiteur encagoulé : il est ainsi nommé parce que ses larves se couvrent de poussière, ce qui les rend peu visibles. Notons cependant que sa piqûre fort douloureuse lui a aussi valu le nom de réduve irascible ou punaise assassine. Qui dit voleur dit gendarme : ce rôle pourrait être dévolu à la rhagie, puisque ce coléoptère, qui tire son nom du grec rhagion, « grain de raisin », s’est vu attribuer les qualificatifs suivants : enquêtrice, enquêteuse, inquisitrice, chercheuse. Si, hélas, on ne sait expliquer pourquoi ils lui ont été attribués, on sait en revanche que c’est son grand appétit qui lui a valu son dernier surnom, celui de mordante.