Dire, ne pas dire

Aigles, effraies et autres rapaces

Le 6 novembre 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

Le mot rapace figurait, comme adjectif, dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française. On y lisait qu’il était « de peu d’usage ». Il n’est entré, comme nom, que dans la septième édition où il est présenté comme le premier ordre de la classe des Oiseaux. Ce mot est emprunté du latin rapax, « pillard », dérivé du verbe rapere, « emporter, voler », ce qui en fait un parent des mots rapt, rapide, rapine, rapiat, subrepticement, usurper ou encore vélociraptor. Examinons maintenant le nom de quelques-uns de ces oiseaux. Certains le tirent de leur dysmorphisme sexuel ; c’est le cas pour tiercelet, nom donné à plusieurs rapaces mâles, en particulier le faucon et l’épervier, parce qu’ils sont d’environ un tiers plus petits que leur femelle. Il en va de même pour l’émouchet, appelé autrefois mouche ou mouchet, et ainsi nommé en raison de la petite taille du mâle. D’autres doivent leur nom à leur couleur. C’est le cas de l’aigle, dont le nom latin, aquila, est tiré de aquilus, qui signifie « brun noir ». Le balbuzard emprunte le sien à l’anglais bald-buzzard, composé à l’aide de bald, « marqué de blanc », et buzzard, issu de l’ancien français busard, « buse ». Nos amis anglais le nomment aussi osprey, nom tiré, par l’intermédiaire de l’ancien français ospres, « orfraie », du latin ossifraga, proprement « qui brise les os ». Le nom pygargue, parent de callipyge, signifie proprement « aux fesses blanches » (notons qu’en anglais cet oiseau s’appelle aussi bald eagle, « aigle à tête blanche », forme proche de son nom en latin scientifique, haliaeetus leucocephalus, « aigle pêcheur à tête blanche »).

Il est d’autres rapaces qui tirent leur nom de celui de leurs proies. Le plus évident est sans doute le serpentaire. Mais il existe aussi le lanier, dont le nom est tiré, avec agglutination de l’article défini élidé l’, de l’ancien français anier, de même sens, lui-même dérivé de ane, qui désignait un canard (anas en latin) parce qu’on l’utilisait en fauconnerie pour chasser ces oiseaux. Le nom harfang, que nous avons emprunté au suédois, est composé à l’aide de hare, « lièvre », mot de la même famille que notre hase et que l’allemand Hase, et de fanga, « capturer ». Quant au nom autour, il est tiré de l’ancien français auceptor, composé à l’aide de avis, « oiseau », et de capere, « prendre ». On retrouve cette racine avis dans d’autres noms d’oiseaux, dont l’autruche, forme redondante composée à l’aide de avis et du grec struthion, « autruche », et l’outarde, tiré de avis tarda, « oiseau lent ». Notons, pour revenir à l’autour, que le nom du père d’Osmann 1er, fondateur de l’empire ottoman, Ertugrul, signifie « homme-autour » ou « homme-faucon » : il est en effet composé des mots turcs er, « homme », et tugrul, « faucon, autour ». Le fait de donner des noms de rapace à des hommes qui s’élèvent au-dessus de tous dans leur domaine n’est pas rare ; en témoignent, parmi beaucoup d’autres, Bossuet, « l’aigle de Meaux », ou, dans un registre tout autre, le coureur cycliste espagnol Bahamontès, « l’aigle de Tolède ».

Certains rapaces, enfin, ont un nom formé à l’aide de celui d’autres oiseaux de proie avec lesquels on leur trouve quelque ressemblance. C’est le cas du gypaète, mélange des mots grecs gups, « vautour », et aetos, « aigle ». Ce dernier élément entre aussi dans la composition du circaète, avec le grec kirkos, « faucon ». Littré proposait une autre étymologie de circaète en estimant qu’ici, kirkos était à prendre dans son sens d’« anneau », car ce rapace décrit de grands cercles en volant. C’est une explication similaire qui a été proposée pour le nom gerfaut par Nicot dans son Thresor de la langue francoyse : « Gyrofalcus, ex volandi modo nomen habet, quod praedam circumagat », (Le gerfaut doit son nom à la manière dont il vole parce qu’il décrit des cercles autour de sa proie). Ce que conteste Littré : « On l’a fait aussi venir de gyrare, "tourner". Mais l’étymologie est dans l’allemand Geierfalk, de Geier, "vautour", et Falke, "faucon", quant à Geier, il représente l’ancien haut allemand gîri, "vorace" ».

Voyons pour conclure l’effraie, rapace carnivore nocturne dont le nom est souvent confondu avec orfraie, paronyme désignant un rapace piscivore diurne. Le nom effraie est une réfection, sous l’influence du verbe effrayer, de fresaie, lui-même issu du latin médiéval presaga avis, « oiseau présage ». C’est l’effraie, et non l’orfraie, qui, comme on le lisait dans la quatrième édition de notre Dictionnaire, pousse des cris « que le peuple croit de mauvais augure ». C’est ce qui explique la réputation maléfique qu’elle conserva si longtemps, puisque l’on croyait qu’elle était non seulement le messager annonçant de grands malheurs, et en particulier des décès, mais aussi qu’elle en était la cause, fâcheuse réputation qui l’amena à être constamment traquée et faillit provoquer sa disparition.