L’expression prendre la clef des champs, « s’en aller, s’enfuir, s’évader », remonte au xve siècle. Dès cette époque, le nom champ désignait non seulement un espace destiné à l’agriculture (le champ du paysan) ou à l’activité militaire (le champ de bataille), mais aussi un espace ouvert − ni ville ni forêt − dans lequel on pouvait se promener, et cette liberté d’aller et venir symbolisait la détente ou l’évasion : rendre les champs à quelqu’un signifiait « lui donner sa liberté, le laisser partir » ; et avoir champ et voie, « être libre, pouvoir partir ». La clef des champs s’utilisait encore de façon autonome pour « la possibilité de sortir, d’être libre » : on désirait, demandait, ou on avait la clef des champs. La 1re édition de notre Dictionnaire (1694) enregistre encore deux de ces locutions : « On dit proverbialement & figurément Avoir la clef des champs, pour dire, “Estre en liberté d’aller où l’on veut”, & l’on dit, Donner la clef des champs à un homme, pour dire, “Le mettre en liberté”, ce qui s’applique aussi quelquefois aux animaux. » Il y a d’autres expressions rattachées à l’idée de liberté et au centre desquelles on trouve champ ou un nom de sa famille : avoir le champ libre signifie « avoir une totale liberté d’action », on peut aussi laisser le champ libre à quelqu’un, c’est-à-dire « ne point s’opposer à ses prétentions, ne point se mettre en concurrence avec lui », et on peut également, par extension et figurément, laisser le champ libre (on a dit aussi donner un champ libre) à son imagination, à sa colère. Nous avons emprunté campos dare ou habere, qui signifiait « donner ou avoir la permission d’aller jouer aux champs », de l’argot latin des écoliers. Francisée pour partie, l’expression a donné, dès le xve siècle, donner (ou avoir) campos ou campo, au sens de « donner ou avoir congé ». La 9e édition de notre Dictionnaire enregistre encore le terme campo ou campos, donné comme familier, avec le sens, légèrement différent, de « repos, relâche que l’on accorde ou que l’on s’accorde » (Les écoliers ont campos aujourd’hui).
L’ancien provençal est à l’origine de Prendre la poudre d’escampette, « prendre la fuite sans se faire remarquer, déguerpir », escampette étant le diminutif d’un ancien escampe, « fuite », déverbal d’escamper, que notre Dictionnaire donne encore à la forme pronominale s’escamper, « s’esquiver, se retirer furtivement », qui, lui, remonte à l’ancien provençal escampar, de même sens (où l’on reconnaît le latin campus qui a donné champ). Quant à la poudre, c’est l’ancien terme qui désigne la poussière (celle que soulève une course rapide sur un chemin de terre).
Notons que le latin campus, à l’origine de champ, signifie la plaine, le terrain plat, et non le « champ cultivé », appelé ager, nom qui a donné agriculture. Dès l’ancien français, champ a plusieurs sens très différents. Il désigne d’abord un espace rural, par opposition à ville : on retrouve ce sens dans l’adjectif champêtre et dans la forme vieillie et régionale champi, qui désignait « un enfant bâtard » (littéralement, « conçu ou trouvé dans les champs »). Ce terme doit en grande partie sa survie au roman de George Sand François le Champi. Champart, emprunté du latin médiéval campartum, composé de campus, « champ », et de pars, « partie », est un mot du droit féodal désignant, comme son nom l’indique, la part du produit du champ due par le paysan tenancier au seigneur possédant la terre. À cette famille appartient aussi le nom champignon, anciennement champigneul, qui signifie proprement « produit de la campagne ».
Champ désigna ensuite le lieu où se déroulent des activités militaires. Au xve siècle déjà, on trouve la locution champ de bataille ; quant à champion, qui désigne celui qui livrait en champ clos un combat judiciaire pour son compte ou pour celui d’autrui, il est tiré, comme l’allemand Kampf, « combat », du germanique kamp, « champ de bataille », un emprunt, là encore, du latin campus. Mais très vite, c’est camp (variante normande et picarde de champ) qui se charge de ces sens militaires. L’expression lever le camp, au sens de « partir », existe depuis le xviie siècle (c’est vers 1830 qu’apparaît le tour populaire foutre le camp). Camper signifiait à l’origine « établir des troupes dans un camp » ; il y a encore quelque chose de militaire dans l’attitude de celui qui campe son chapeau sur sa tête ou se campe dans un fauteuil avec une fermeté presque insolente. Campagne, autre dérivé du latin campus, voit, comme champ, ses emplois se partager entre le monde rural (une maison de campagne) et le monde militaire (les campagnes napoléoniennes). On a vu que de campus étaient tirés les formes camp et champs. Nous avons un phénomène semblable avec son dérivé campania, « plaine ; campagne », qui est aussi à l’origine de champagne. En effet, ce nom, avant d’être celui d’une région de l’est de la France puis du vin qu’on y produit, désignait une vaste étendue, et particulièrement, une plaine crayeuse.
Revenons pour conclure au sens de « vaste étendue » que nous avons vu au début pour le mot champ. C’est bien sûr à celui-ci que se rattachent les Champs-Élysées, au sujet desquels la deuxième édition de notre Dictionnaire écrivait joliment : « On appelle, Les champs Elysées, les champs Elysiens, des lieux souterrains & agreables où les Poëtes feignent qu’estoient receuës les ames des Heros, des personnes vertueuses. »