Dans sa Réponse à un acte d’accusation, Victor Hugo raconte le combat qu’il a mené pour instituer l’égalité entre les mots :
« … un mot / Était un duc et pair, ou n’était qu’un grimaud ; / Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes, / Les Méropes, ayant le décorum pour loi, / Et montant à Versaille aux carrosses du roi / Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires, / Habitant les patois ; quelques-uns aux galères / Dans l’argot ; dévoués à tous les genres bas / Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas, / Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ; / Populace du style au fond de l’ombre éparse ; / Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef / Dans le bagne Lexique avait marqué d’une F ; / Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. / Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier ! »
Il ajoute plus loin « … et je criai dans la foudre et le vent : / Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe ! »
Il est à craindre que cette chute, « paix à la syntaxe », ne vienne réduire à néant la profession de foi qui précède ; la syntaxe, n’est-ce pas le retour de la féodalité dans la phrase ? C’est la hiérarchie entérinée, puisque celle-ci veut qu’en majesté trône le verbe ; le verbe occupe, grâce à la syntaxe, une place que l’on dirait de droit divin. Aujourd’hui, toutes les grammaires, anciennes ou modernes, qu’elles nous parlent de compléments ou de constituants, reconnaissent au verbe la primauté dans la phrase. Et comme tout tyran dispose de janissaires ou séides, exécuteurs des basses œuvres, le verbe a à sa disposition une armée réduite, mais fort efficace, de prépositions. Celles-ci, dont le nom signifie « qui est placé avant », renvoient étymologiquement les compléments à une place et à un rôle secondaires. Et que dire des conjonctions de subordination ? Subordination, tout est dit avec ce mot, que la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française définissait ainsi : « Certain ordre établi entre les personnes, et qui fait que les unes dépendent des autres. La subordination maintient la discipline dans les armées. Les différents degrés de subordination. Un État ne peut subsister sans subordination. » À l’opposé, l’immense théorie des noms, ceux dont Victor Hugo avait réclamé qu’ils fussent égaux et qu’il avait en quelque sorte sanctifiés avec le fameux nomen, numen, lumen des Contemplations, semble pourtant bien inférieure.
Cette supériorité du verbe sur le nom se manifeste aussi par le fait que le verbe peut devenir nom sans avoir à changer de forme : les infinitifs en sont la preuve ainsi que les participes, plus nombreux encore, tandis que l’inverse n’est pas permis au nom.
Peut-être objectera-t-on qu’il existe aussi des phrases nominales dans lesquelles c’est précisément le nom qui régit les autres éléments ; c’est vrai, mais, comme le cousin Pons ou la cousine Bette, elles sont les parents pauvres de la comédie grammaticale, que l’on tolère du bout des lèvres et dont on moque en secret les prétentions à s’égaler aux phrases verbales.