Dire, ne pas dire

Le glaïeul et l’espadon

Le 15 mai 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

Glaïeul et espadon ont en commun la particularité de tirer leur nom de celui d’une arme : glaïeul est en effet issu du latin gladiolus, qui désigna d’abord une courte épée puis un glaïeul, lui-même diminutif de gladius, « épée, glaive », ce qui en fait un parent étymologique de glaive, mais aussi de gladiateur. Espadon, lui, est emprunté de l’italien spadone, désignant une grande épée, dérivé de spada, « épée », lui-même issu, par l’intermédiaire du latin spatum, du grec spathê, qui désignait une épée ou un battoir. En français, le mot espadon a d’abord été le nom d’une longue épée à double tranchant qu’on tenait à deux mains. On n’en usait pas comme avec les épées actuelles : elle avait plus à voir avec les épées massives des Gaulois ou des Germains qu’avec celles des légionnaires romains, tenues, elles, à une main. Elle se maniait plutôt comme le bâton de frère Jean des Entommeures dans le passage de Gargantua où Rabelais le met en scène : « Il chocqua doncques si roydement sus eulx sans dyre guare, qu’il les renversoyt comme porcs frapant à tors & à travers à la vieille escrime. » Par extension, espadon est aujourd’hui le nom d’un poisson dont la mâchoire supérieure est pourvue d’un rostre en forme d’épée. Cette particularité anatomique fait qu’on l’appelle aussi poisson-sabre ou poisson-épée. Cette dernière forme est d’ailleurs la traduction littérale de son nom dans d’autres langues européennes : swordfish en anglais, Schwertfisch en allemand, pez espada en espagnol et pesce spada en italien. Quant à son nom scientifique, c’est Linné qui le lui donna en 1758, mêlant grec latinisé et latin puisqu’il le baptisa xiphias gladius. Nous avons déjà rencontré le terme gladius, mais xiphias mérite également notre intérêt ; c’est un dérivé du grec xiphos, qui désignait une épée mais aussi, déjà, un espadon. (Notons au passage que le mot xiphias a d’ailleurs figuré dans notre Dictionnaire en ce sens de la 6e à la 8e édition.) Le grec xiphos nous permet de revenir à notre glaïeul puisque c’était un de ses dérivés, xiphion, qui désignait cette fleur. Armes, poissons et plantes continuent à se croiser aujourd’hui puisque, en grec moderne, glaïeul se dit spathokhorto, mot formé, lui aussi à l’aide de spathê. Pour en revenir à l’ichtyologie, signalons que notre espadon n’est pas le seul poisson à posséder un surnom formé à partir d’ « épée » : le xiphophore est en effet un poisson d’eau douce plus couramment appelé porte-glaive ou porte-épée. Il y a cependant de notre espadon à ce dernier quelques différences : le premier est un poisson de mer pouvant mesurer plusieurs mètres et peser plusieurs centaines de kilos, quand le deuxième fait à peine dix centimètres…