Dire, ne pas dire

Étymologiquement, la miniature n’était pourtant pas si petite

Le 7 novembre 2019

Expressions, Bonheurs & surprises

L’étymologie est parfois trompeuse et il arrive que l’on rattache un mot, tant pour le sens que pour la forme, à une racine ou à un radical dont les liens avec ce mot semblent évidents. Ainsi suppose-t-on souvent que le nom miniature est dérivé d’une forme latine comme minus, minor ou minimum, tous mots qui marquent la petitesse. La miniature serait donc d’abord, logiquement et étymologiquement, une lettre de petite taille, puis tout objet de taille réduite. Et pourtant il n’en est rien. La miniature est d’abord une lettre peinte au minium, un pigment d’oxyde de plomb rouge orangé. Et cette lettre n’est pas de petite taille, c’est même le contraire puisque notre Dictionnaire définit ainsi ce mot : « Au Moyen Âge, grande lettre initiale, ornée et historiée, tracée à l’origine en rouge avec du minium, et formant l’en-tête des chapitres d’un manuscrit ». C’est aussi le sens qu’a le nom miniatura auquel nous avons emprunté notre miniature, et que les dictionnaires d’italien présentent comme l’arte del minio, « l’art de peindre avec du minium ».

Ce n’est que par la suite, et certes plus couramment, que miniature a aussi désigné une peinture de petites dimensions illustrant les manuscrits anciens, notamment les livres liturgiques, peinture que l’on appelle aussi enluminure ; les plus connues de ces miniatures étant sans doute celles de Jean Pucelle (1300-1355) et de Jean Fouquet (1420-1481). Par la suite ce nom désigna l’art de peindre sur vélin, ivoire ou porcelaine de petits sujets, d’une facture délicate, avec des couleurs très fines appliquées à petits points ou à petits traits et, bien sûr, les œuvres de petites dimensions exécutées selon ce procédé. Plus tard enfin, ce nom désigna des ouvrages, des objets de taille réduite : Un train, une voiture miniatures. Et miniature n’est pas le seul mot à avoir connu ce type de mésaventure. Pareil sort a été réservé à l’adjectif minable. Cet adjectif n’était au départ, pas plus que le nom miniature, lié à une idée de petite taille ; c’est du nom mine qu’il tire son origine. Au sens premier était minable ce qui pouvait être miné et l’on ne s’étonnera pas que ce mot se soit d’abord appliqué, dans la langue militaire, à des forteresses. Comme celles-ci étaient parfois abattues par un travail de sape, minable a ensuite qualifié des personnes minées, usées par le travail, la misère, les privations ou la maladie, et ce n’est que dans les premières années du xxe siècle, que ce mot a été employé pour évoquer aussi ce qui était fort médiocre ou se rattachait à un esprit mesquin.

Mais il arrive également parfois que le glissement de sens se fasse dans l’autre sens. C’est ce qui est arrivé au serpent minute, une innocente bestiole qui traîne une réputation de machine à tuer à cause d’une mauvaise interprétation de son nom. Ce serpent, qui fait moins d’un centimètre de diamètre, est appelé, en anglais minute serpent, proprement « serpent minuscule ». Mais si la forme minute peut être un adjectif en anglais, ce n’est pas le cas en français où ce mot n’est qu’un nom. Minute est en effet soit un espace de temps, le plus petit que l’on connaissait au xiiie siècle, soit le premier état d’un acte officiel, un emprunt du latin médiéval minuta, ainsi nommé parce que ce brouillon était, économies obligent, écrit en petites lettres. L’espace de temps et le brouillon venant, de manière plus ou moins directe, du latin minutus, « petit, minuscule », participe passé de minuere, « diminuer, amoindrir », un verbe tiré de minus, le comparatif de parvus, « petit ».

Comme la nature, fut-elle linguistique, a horreur du vide, comme les serpents sont un objet de fascination et de répulsion et que dans la locution serpent minute, minute n’était pas compris ainsi qu’il le fallait, on a cru que cet adjectif était un nom en apposition et que ce serpent devait cette appellation au fait que seules quelques minutes suffisaient à faire passer de vie à trépas celui qu’il avait mordu ; et c’est ainsi que cet inoffensif minuscule animal a prêté, bien malgré lui, son nom à quelques serpents redoutablement venimeux, tel le mamba vert ou le mamba noir, quand bien même le premier peut atteindre deux mètres et le second, quatre.