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« En région, dans les territoires » pour « En province »

Le 6 janvier 2022

Extensions de sens abusives

Le nom province a, entre autres sens, celui de circonscription administrative d’un État. Il désigne aussi toute l’étendue d’un pays à l’exception de sa capitale et, en particulier, l’ensemble du territoire français à l’exclusion de Paris et de la région parisienne. Longtemps, d’aucuns ont cru que ce qui se faisait à Paris était supérieur à ce qui se faisait en province. Notre langue en porte encore la trace avec des expressions, aujourd’hui vieillies, comme Cela sent sa province ou Cette robe fait un peu province. Mais il convient de rappeler que ce nom n’a rien de honteux et qu’il est préférable de l’employer plutôt que de le laisser inutilisé comme s’il était particulièrement dévalorisant. C’est pourtant ce qui se fait aujourd’hui quand on remplace en province par l’expression en région(s), voire par une autre, plus récente encore, dans les territoires.

Étonnants numéraux ordinaux

Le 6 janvier 2022

Expressions, Bonheurs & surprises

Les adjectifs numéraux ordinaux occupent une place à part dans notre langue car jusqu’à dix, ils existent tous sous une double, voire une triple forme : la plus courante, en -ième (à l’exception notable de premier), formée à partir des numéraux cardinaux, est utilisée pour les classements et, à partir de cinq, pour les fractions. Une autre forme, plus ancienne, est issue du latin et on la rencontre essentiellement dans les langues de l’escrime, de la musique et de la liturgie. C’est ainsi que le français distingue premier de prime, son synonyme plus littéraire qui se rencontre, comme adjectif, dans les locutions « prime enfance » ou « prime abord », mais qui existe aussi comme nom pour désigner la première position de la main en escrime et la première des heures canoniales. Unième, sans existence autonome, ne se rencontre qu’en composition : vingt et unième, cent unième, etc.

Deuxième et second ont fait couler beaucoup d’encre. Longtemps, second a été la forme la plus courante, et certains grammairiens souhaitaient réserver l’usage de deuxième aux cas où la série comprenait plus de deux éléments. Mais Littré contestait déjà cette distinction qui ne s’est jamais imposée dans l’usage, même chez les meilleurs auteurs. L’unique différence d’emploi effective entre deuxième et second est que second appartient aujourd’hui à la langue soignée, et que seul deuxième entre dans la formation des ordinaux complexes (vingt-deuxième, trente-deuxième, etc.). Notons aussi qu’en mathématiques, lorsqu’on parle de fractions, ces deux termes sont supplantés par demi.

À côté de troisième, on trouve tierce, pour l’escrime, la musique, les heures canoniales et certains jeux de cartes, mais aussi tiers, employé comme nom en mathématiques et comme adjectif dans des locutions comme tiers-monde, tiers-état. On observe le même phénomène avec quatrième, concurrencé par quarte, en escrime, en musique, pour les heures canoniales et les jeux de cartes où il désigne une suite (pour quatre cartes identiques, c’est « carré » qu’on emploie), et par quart, en mathématiques mais aussi en médecine où il est adjectif dans la fameuse fièvre quarte, « qui revient tous les quatre jours ».

Quinte, sixte et octave se rencontrent eux aussi en musique, en escrime et dans la liturgie. Ces ordinaux, c’est un héritage du latin, étaient également utilisés pour indiquer le rang de tel ou tel dans une dynastie, et pouvaient aussi devenir prénoms. Nous en avons des exemples avec Charles Quint, Septime Sévère et Octave (rappelons au passage que Pompée, « Pompeius » en latin, signifie proprement « né le cinquième », ce mot étant tiré de l’osque pompe, « cinq »). Dans cette série se rencontre une forme plus rare, sixte, qui eut la particularité d’être suivie d’un autre ordinal pour former le nom du pape qui régna de 1585 à 1590, Sixte Quint.

La répartition des emplois entre les diverses formes que peuvent prendre les ordinaux perd sa belle ordonnance à partir de sept : en effet, si l’on parle de septime en escrime, c’est septième que l’on emploie en musique, tandis que c’est la seule forme octave que l’on retrouve dans ces deux domaines. None est une heure canoniale, mais, au pluriel, on emploie aussi ce mot pour désigner le jour qui, dans le calendrier romain, était le neuvième avant les ides. Enfin, à côté de dixième, on trouve décime, qui désignait, sous l’Ancien Régime, la dixième partie du franc et un impôt royal équivalant à la dixième partie des revenus du clergé. Puisque l’on parle du clergé, on n’oubliera pas que la dîme, nom issu du latin decima (pars), « dixième (partie) », désignait, en droit féodal, un prélèvement, en principe d’un dixième, mais en réalité de taux variable, opéré sur les récoltes au profit de l’Église et des pauvres.

Au-delà du nombre dix, par un procédé d’analogie, toutes les formes dans tous les cas, sont en -ième. On ne note qu’une exception notable et durable, que l’on doit à un décret de la Convention, en date du 24 août 1793, énonçant que « le décime sera divisé en dix parties ; chacune de ces parties portera le nom de centime ».

Martine D. (France)

Le 6 janvier 2022

Courrier des internautes

Bonjour Monsieur,

Rédactrice-relectrice, je vous soumets une question concernant la coupure des mots en fin de ligne. Le mot imputrescible a été coupé comme suit : imputres- cible. Cette coupure est-elle correcte ? Plus généralement, quelle est la règle lorsqu’une coupure s’effectue entre deux consonnes non identiques ?

Martine D. (France)

L’Académie répond :

Madame,

Cette coupure est correcte. On coupe de même sus-ceptible, cons-cience, etc.

Quand les deux consonnes sont différentes, mais aussi d’ailleurs quand elles sont identiques, la première sera laissée avant la coupe et la seconde après : trac-teur, cal-caire, fus-tiger, hom-mage.

Il y a quelques exceptions avec les groupes comptant un h (mé-chant, élé-phant, poly-théisme) et les groupes formés d’une occlusive suivie de r ou l (ca-bri, ca-price, ca-drer, en-trée, na-cré, de-gré, ou-bli, accom-pli, dé-clin, dé-glingué).

On se gardera aussi de certaines coupes malheureuses à l’œil comme dans :

Voilà une belle bande de cons-
spirateurs.

Souhaiter ses condoléances

Le 2 décembre 2021

Emplois fautifs

Les condoléances sont le témoignage de sympathie que l’on adresse à une personne qui vient de perdre un être cher. Il s’agit évidemment d’instants difficiles et il est naturel d’hésiter sur le choix des mots à employer pour exprimer sa compassion. Il convient néanmoins de rappeler que l’on ne doit pas dire « Je vous souhaite mes condoléances » mais « Je vous présente, je vous adresse mes condoléances », même si cette erreur s’explique facilement en raison de sa proximité avec la formule « Je vous souhaite beaucoup de courage », également employée dans cette situation.

« Des beaux yeux » pour « De beaux yeux »

Le 2 décembre 2021

Emplois fautifs

Quand un nom au pluriel est précédé d’un adjectif, il convient de remplacer l’article indéfini des par de : des garçons, de bons garçons. C’est ce que fait la langue écrite, mais aussi, souvent, la langue orale, comme le montre le fameux « T’as de beaux yeux, tu sais » de Jean Gabin à Michèle Morgan, dans Quai des brumes. Cet usage ne vaut plus, bien sûr, quand l’adjectif et le nom forment une locution nominale dont les éléments sont sentis comme inséparables. On dit donc acheter des petits pois, entendre hululer des grands ducs, croiser des grands-mères alertes (mais on dirait de délicieux petits pois, de magnifiques grands ducs, de vaillantes grands-mères).

on dit

on ne dit pas

De violentes rafales ont abattu les arbres

Il fallut de longs jours de travail

Des violentes rafales ont abattu les arbres

Il fallut des longs jours de travail

La montre des cordonniers

Le 2 décembre 2021

Expressions, Bonheurs & surprises

Dans la première partie de L’Éducation sentimentale, Flaubert parle de « la montre des cordonniers » ; il ne désigne pas, ce faisant, un appareil portatif indiquant l’heure dont disposeraient ces artisans, mais leurs étals. Dans la même page, la « montre des cordonniers » voisine d’ailleurs avec « les boutiques » et « l’éventaire des marchandes ».

On retrouve un sens assez proche de ce déverbal de montrer dans des expressions comme faire montre de, « faire preuve de » et, péjorativement, « faire étalage de » (encore un terme pris à la langue du commerce), ou être pour la montre et rien que de la montre employées pour dénoncer qui parade beaucoup et agit peu. Au sens précis d’« étal », en revanche, montre est aujourd’hui désuet. Il n’en va pas de même pour son équivalent italien, mostra, qui a encore, à côté des sens d’« exposition » et de « parade », celui de « vitrine ». Autre intérêt du substantif italien, la présence du « s », disparu en français, qui nous rappelle que montre et monstre ont une même étymologie.

Monstre est en effet emprunté du latin monstrum que le grammairien latin Pompeius Festus, dans son De verborum significatione (« Le Sens des mots »), au iiie siècle de notre ère, expliquait ainsi : a monendo dictum est […] quod monstret futurum et moneat voluntatem deorum (« il tire son nom de monere [avertir] parce qu’il annonce ce qui va se passer et avertit de la volonté des dieux »). Dans la langue religieuse, ce monstrum par lequel se manifeste la volonté divine apparaît le plus souvent sous la forme d’un être surnaturel : monstra dicuntur naturae modum egredentia, ut serpens cum pedibus, avis cum quattuor alis, homo duobus capitibus (« on appelle monstres des êtres qui outrepassent les lois de la nature, comme un serpent avec des pattes, un oiseau avec quatre ailes, un homme à deux têtes »).

Le verbe monstrare, dérivé de monstrum, a d’abord eu, dans la langue augurale, la même signification que monere, celle d’« avertir », mais, contrairement à ce dernier, il l’a rapidement perdue pour ne garder que celle d’« indiquer, montrer ».

Ce dernier sens nous invite à revenir à nos montres… Le sens ancien de montre, dont nous avons précédemment parlé, a disparu au profit de celui d’appareil portatif indiquant l’heure. Le nom montre a d’ailleurs suivi un chemin assez proche de celui qu’emprunta jadis son cousin le pendule ; ce dernier est en effet la réduction de l’expression « horloge à pendule », le pendule étant ce qui donne le mouvement à cet appareil. Par attraction, pendule, en ce sens, a changé de genre pour prendre celui d’horloge. Montre, lui, s’est d’abord rencontré dans l’expression montre d’une horloge, pour en désigner le cadran, qui « montrait l’heure », avant de se rencontrer seul pour désigner ce que la sixième édition du Dictionnaire de lAcadémie française définissait comme une « petite horloge qui se porte ordinairement dans une poche destinée à cet usage ».

Concluons en rappelant à quel point notre langue peut être subtile, qui distingue, d’un côté, le porte-montre, coussinet plat et enjolivé contre lequel on suspend une montre, ou petit meuble, en forme de pendule, où l’on peut placer une montre de manière que le cadran seul paraisse, et, d’un autre côté, le porte-montres, petite armoire vitrée où les horlogers exposent des montres, une montre pour les montres en quelque sorte…

Vous devez obligatoirement…

Le 4 novembre 2021

Emplois fautifs

L’adverbe obligatoirement signifie « d’une manière obligatoire, en vertu d’une obligation » et, de manière figurée, « nécessairement, inévitablement » ; quant à obligation, ce nom désigne, dans la langue courante, le lien moral qui fait devoir de remplir certains engagements, d’accomplir certains actes et, dans la langue juridique, le lien de droit qui oblige à faire ou à ne pas faire quelque chose. Les sens de ce nom montrent bien qu’il est superfétatoire d’ajouter cet adverbe après le verbe devoir, même si on le fait parfois pour donner plus de poids à son propos. On dira donc Vous devez être muni d’une pièce d’identité et non Vous devez obligatoirement être muni d’une pièce d’identité.

on dit

on ne dit pas

Les vainqueurs doivent retirer leur lot avant dimanche

Pour gagner, vous devez vous débarrasser de toutes vos cartes

Les vainqueurs doivent obligatoirement retirer leur lot avant dimanche

Pour gagner, vous devez obligatoirement vous débarrasser de toutes vos cartes

« Signer » employé avec un nom de personne comme complément d’objet direct

Le 4 novembre 2021

Emplois fautifs

Le verbe signer, « revêtir de sa signature », s’emploie avec un nom de chose comme complément d’objet direct : Signer un contrat, une requête, un arrêt ; Signer son engagement ; Signer une pétition, une protestation ; Signer un traité de paix. Il peut aussi s’employer absolument : Signer de confiance ; Je ne veux pas signer sans avoir lu ; Il a déclaré ne savoir signer. On le rencontre également avec un complément indirect : Signer à un contrat, y mettre sa signature, comme témoin ou par honneur.

Ces constructions sont correctes, mais ce n’est plus le cas quand on veut faire d’un nom de personne le complément d’objet direct de ce verbe. On évitera donc des tours comme Ce producteur a signé cet artiste prometteur ou Cette maison de disques rêve de signer ce chanteur, et l’on dira : Ce producteur a signé un contrat avec cet artiste prometteur ou Cette maison de disques rêve d’engager ce chanteur.

« Être confronté » au sens d’« Être aux prises » ou de « Devoir faire face »

Le 4 novembre 2021

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Dans la langue du droit, le verbe confronter signifie « mettre des personnes en présence l’une de l’autre pour opposer et vérifier leurs déclarations » (confronter des témoins à l’accusé, avec l’accusé). Dans la langue courante, il signifie « rapprocher deux choses pour les comparer » (nous avons confronté nos points de vue ; confronter deux écritures, des programmes politiques). Mais on ne doit pas employer ce verbe au passif avec le sens d’« être aux prises », de « devoir faire face », calque de l’anglais to be confronted with, « être placé devant (une difficulté, un obstacle) ».

on dit

on ne dit pas

Il a été en butte à l’hostilité de son entourage

Une entreprise aux prises avec de gros soucis de trésorerie

Il a été confronté à l’hostilité de son entourage

Une entreprise confrontée à de gros soucis de trésorerie

Christophe L. (Sainte-Adresse)

Le 4 novembre 2021

Courrier des internautes

Bonjour,

Dans un poème Toute la vie d’un cœur - Adolescence, Victor Hugo écrit « …ayant la fièvre, qui résiste aux Bezouts et brave les Restauds…. ». Que peuvent bien signifier ces deux noms propres (en majuscule dans le texte) ? Merci.

Christophe L. (Sainte-Adresse)

L’Académie répond :

Bezouts fait allusion au mathématicien Étienne Bezout, qui écrivit de nombreux manuels de mathématiques et d’algèbre. On lit d’ailleurs plus haut dans ce poème : « oubliant latin, grec, algèbre ». Restauds est peut-être lié à des personnages de La Comédie humaine, de Balzac, Anastasie Restaud (une des filles du père Goriot), son mari, le comte de Restaud, et son fils Ernest de Restaud.

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