Dire, ne pas dire

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Effectuer au sens de Recevoir

Le 7 juillet 2022

Extensions de sens abusives

Nous avons rappelé récemment qu’il ne fallait pas employer la forme je me vaccine en lieu et place de la tournure factitive je me fais vacciner. Nous pouvons signaler aujourd’hui une erreur assez semblable concernant le verbe effectuer. Ce dernier signifie « exécuter, réaliser, accomplir une opération qui peut présenter certaines difficultés », ce qui suppose donc une participation active du sujet de ce verbe. On ne l’emploiera donc pas, comme on l’entend en ce moment dans le contexte épidémique, au sens de « recevoir (un vaccin), se faire injecter (un vaccin) » et on veillera à ne pas dire Trente millions de Français ont effectué leurs trois doses de vaccin mais bien Trente millions de Français ont reçu leurs trois doses de vaccin.

Imbécile ver de terre… amoureux d’une étoile

Le 7 juillet 2022

Expressions, Bonheurs & surprises

Dans les Pensées, Pascal présente l’homme comme un « imbécile ver de terre ». Si nous cernons désormais mieux l’homme, nous ne connaissons guère plus le ver. Et force est d’avouer que la première édition de notre Dictionnaire ne nous est pas d’un très grand secours. Cet animal y est présenté comme un « Petit insecte rempant, qui n’a ny vertebres, ny os ». Cela est confirmé à l’article Insecte, où on lit : « Se dit de plusieurs especes de petits animaux qu’on croit moins parfaits que les autres. Les mousches, les fourmis, les puces, les vers, &c. sont des insectes. » Un siècle plus tard, le Dictionnaire de Féraud ne dit rien d’autre : « Les vers, les fourmis, les mouches, les hannetons sont des Insectes. » Au xixe siècle, Larousse donne les causes de cette confusion :
« Le mot ver n’a pas de signification précise dans le langage de la science moderne ; on l’appliquait autrefois, et dans la simple conversation on l’applique encore, à des espèces diverses qui n’ont, ou semblent n’avoir ni pattes, ni ailes, ni écailles, qui vivent dans la terre, dans les substances corrompues, dans les intestins de beaucoup d’animaux, et qui souvent ne sont que des larves d’insectes. »

Si nous passons de ver à son dérivé vermine, nous pourrons ajouter à cette liste des petits rongeurs. Pour Nicot, en effet, ce nom désigne « Toute sorte de petites bestes qui s’engendrent de pourriture, comme poux, pulces, souris et rats ». La comparaison des langues rend compte de ce fait puisque nos amis allemands appellent Bücherwurm (« ver des livres ») notre rat de bibliothèque. Au xvie siècle, Ambroise Paré (xxiv, 3) ajoutait à la vermine « Crapaux et viperes ».

Le ver nous intéresse aussi parce qu’on l’a longtemps considéré comme une preuve de la génération spontanée. Diderot écrit ainsi dans Le Rêve de d’Alembert : « L’éléphant, cette masse énorme, organisée, le produit subit de la fermentation ! Pourquoi non ? Le rapport de ce grand quadrupède à sa matrice première est moindre que celui du vermisseau à la molécule de farine qui l’a produit... Mais le vermisseau n’est qu’un vermisseau... C’est-à-dire que la petitesse qui vous dérobe son organisation lui ôte son merveilleux. »

Cette croyance dans la génération spontanée des vers était alors fort répandue. Les dictionnaires en témoignent en précisant d’où s’engendrent tous ces animalcules. Ainsi, à l’article Ver de son Thresor de la langue francoyse, Nicot présente : « Un ver qui s’engendre au bois… ; un ver qui naist et s’engendre de la terre… ; des vers qui naissent dedans le ventre… ; un petit ver qui naist seulement où le lion est engendré et est de telle force, que si le lion le mange, il meurt incontinent [Notons que ce dernier ver, connu d’Aristote et d’Élien, nous est présenté par Pline, dans son Histoire naturelle, comme “un petit animal appelé léontophonos (proprement ‘tueur de lion’) et qui ne se trouve que là où se trouve le lion : cette bête formidable […] expire sur le champ s’il goûte sa chair ; aussi brûle-t-on le corps du léontophonos et on saupoudre de cette cendre comme d’une farine des morceaux de chair qui sont un appât pour le lion et qui lui donnent la mort tant cet animal est funeste. Ainsi le lion le hait non sans raison, l’écrase quand il le voit et le tue sans le mordre. L’autre pour se défendre lâche son urine, elle aussi mortelle pour le lion”]. »

Le ver, on l’a vu avec Pascal, était considéré comme un symbole de petitesse. Il l’était depuis fort longtemps puisque, dans une lettre, saint Augustin écrit, reprenant presque mot à mot le verset 7 du psaume 21 de la Bible : « Ego sum vermiculus et non homo » (« Moi, je suis un petit ver et non un homme »). On notera avec amusement que si ce diminutif vermiculus est à l’origine de notre vermisseau, il l’est aussi de vermeil ou encore de vermicelle.

C’est ce même ver qui reviendra sous la plume de Victor Hugo qui lui redonnera toute sa noblesse en l’employant dans une déclaration d’amour restée célèbre :

« Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là

Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ;

Qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ;

Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ;

Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. » (Ruy Blas, II, ii.)

Bénédicte C. (Paris)

Le 7 juillet 2022

Courrier des internautes

J’ai lu quelque part, mais je ne me souviens plus où, l’expression à bis et à blanc.

Or, j’ignore son sens. En outre, je ne l’ai pas trouvée dans les dictionnaires que j’ai consultés. Pourriez-vous me dire ce qu’elle signifie ?

Merci.

Bénédicte C. (Paris)

L’Académie répond :

Cette expression, qui signifie « de toute façon », est liée à la fabrication de la farine et du pain. Selon que le blé est broyé plus ou moins grossièrement, on obtient une farine bise, c’est-à-dire gris foncé, ou blanche, à partir desquelles on aura du pain bis ou du pain blanc. On trouve aussi la forme à bis, à blanc ; on lit ainsi, dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française : « On dit aussi proverbialement & bassement, Faire les choses à bis & à blanc, pour dire, Les faire en quelque sorte & à quelque prix que ce soit, justement ou injustement, de gré ou de force. »

Gustave K. (République du Congo)

Le 7 juillet 2022

Courrier des internautes

N’est-ce pas une faute de dire ou d’écrire « Je vais marier cette fille », puisque la phrase correcte devrait être « Je vais me marier avec cette fille ». C’est le pasteur, le prêtre ou le maire qui sont habilités pour marier deux personnes grâce aux pouvoirs qui leur sont conférés. Mais mon frère prétend que dire « Je vais marier cette fille » n’est pas une faute car on le dit dans le nord de la France, en Belgique et au Canada.

Gustave K. (République du Congo)

L’Académie répond :

Vous avez raison, ce sont les personnes habilitées qui marient les individus, comme l’indique notre Dictionnaire : « En parlant d’un officier d’état civil ou d’un ministre du culte. Recueillir et rendre légitime l’engagement librement consenti de deux personnes qui s’unissent par le mariage. Le maire les a mariés. C’est le curé de la paroisse qui les a mariés ». Par extension, ce verbe peut avoir comme sujet la personne qui décide du mariage, le suscite ou l’arrange « Son père l’avait marié à la fille d’un de ses amis. »

Cela étant, il est vrai que dans une langue populaire, particulièrement en Belgique et dans le Nord de la France, le verbe marier s’emploie dans une construction où le sujet est le mari et le complément d’objet direct l’épouse (et réciproquement). On en a un témoignage avec la chanson de Jacques Brel Ces gens-là :

« Et puis, y’a l’autre […] / Qui a marié la Denise / Une fille de la ville, enfin, d’une autre ville. »

Attendez que l’eau bout ou boue

Le 2 juin 2022

Emplois fautifs

Les verbes en -ouillir du français sont bouillir et ses dérivés, mais ces derniers ne sont guère en usage. Cette rareté explique sans doute que la conjugaison de ce verbe est mal connue et que, à certains temps ou modes, les formes à employer nous semblent étranges, voire incorrectes, et qu’on leur en préfère parfois d’autres, fautives mais plus habituelles à l’oreille. Il convient alors de rappeler que ce verbe fait bouillent à la 3e personne du pluriel au présent de l’indicatif et du subjonctif, bouille aux 1re et 3e personnes, bouilles à la 2e personne du singulier du subjonctif présent. On dit donc Attendez que l’eau bouille et non Attendez que l’eau bout ou boue (mais on dit bien sûr, au présent de l’indicatif, L’eau ne bout pas encore). C’est en employant les formes correctes qu’on les sauvera de l’oubli et qu’on les fera vivre.

on dit, on écrit

on ne dit pas, on n’écrit pas

Ils bouillent d’impatience en attendant les résultats

Servez le café avant qu’il ne bouille

Ils bouent d’impatience en attendant les résultats

Servez le café avant qu’il ne bout, qu’il ne boue

Si l’on puit dire

Le 2 juin 2022

Emplois fautifs

L’expression si l’on peut dire commence à être remplacée, à tort, par une forme voisine si l’on puit dire, tirée sans doute de si je puis dire. Rappelons donc que, depuis plus de cinq siècles, puit est une forme incorrecte, même si, dans Le Bon Usage, Grevisse en signale un emploi chez Claudel, qui écrivait dans un article du Figaro littéraire, en 1953 : « Face à l’ouragan il me manquait encore l’horreur et la joie sous mes pieds de ce bateau pourri qui n’en puit plus et qui craque et qui s’effondre. » Ce qui n’en puit plus semblant être le résultat du croisement de je n’en puis mais et d’il n’en peut plus. Rappelons aussi qu’en ancien français la forme canonique de la 3e personne du singulier du verbe pouvoir est « il puet ». Certes, à cette époque, l’orthographe était mal fixée et l’on trouvait parfois il puit. On lit ainsi dans un texte médiéval, Les Sept Péchés capitaux : « Celuy qui ne se puit aydier, Doit ons aidier, ce m’est auis » (« Celui qui ne peut s’aider, il me semble qu’on doit l’aider »). Mais cette forme présentait l’inconvénient d’être semblable à la 3e personne du verbe puir, « puer ». On lit dans un texte de la même époque : « Car il puit plus vilaynement que un fumers pourriz tout plain de fiens » (« Car il pue plus salement qu’un fumier pourri plein de fiente »). Cette proximité a fortement contribué à la disparition de puit comme forme de la conjugaison du verbe pouvoir.

« À deux kilomètres » ou « Dans deux kilomètres »

Le 2 juin 2022

Emplois fautifs

Les prépositions à et dans peuvent s’employer pour introduire un complément de lieu, mais selon qu’on utilise l’une ou l’autre, la manière dont on envisage ce complément n’est pas exactement la même. Avec à, le complément est perçu comme un point dans l’espace, tandis que, avec dans, il est perçu dans son extension. Si ce complément est une distance, on emploiera à pour indiquer la distance séparant le point pris comme référence du point à atteindre, tandis que si l’on emploie dans, on insistera sur la distance à parcourir avant d’atteindre le point souhaité. On dira ainsi Sa maison est à deux kilomètres du village, mais Dans deux kilomètres vous arriverez au village. On se gardera également de dire À six cents mètres, tournez à droite quand il est nécessaire d’user de la préposition dans (Dans six cents mètres, tournez à droite). Cette remarque vaut aussi pour les cas où la distance est exprimée par une unité de temps : Il habite à vingt minutes du village, mais Dans vingt minutes, vous serez au village.

« Paquet » au sens « d’Ensemble, série »

Le 2 juin 2022

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Les sens des mots anglais pack et package sont plus variés que ceux du français « paquet ». Ainsi, si pour parler d’un ensemble de mesures gouvernementales ou administratives, l’anglais peut employer le nom package, le français utilisera les mots « ensemble », « série », « lot » ou encore « train », plutôt que « paquet » ; on ne dira donc pas Les États ont prévu un nouveau paquet de sanctions, mais Les États ont prévu un nouveau train, une nouvelle série de sanctions.

« Délai rapide » au sens de « Bref délai, court délai »

Le 2 juin 2022

Extensions de sens abusives

Le mot délai désigne le temps nécessaire à l’accomplissement d’un acte. On dit qu’on accorde, qu’on demande, qu’on fixe un délai. On peut avoir un délai de trois jours, d’un mois. Le délai devient ainsi un intervalle de temps, et même s’il peut nous arriver de trouver que le temps passe plus ou moins vite, on évitera d’employer le syntagme « délai rapide » puisque le délai, comme toutes les durées, peut être long ou bref, mais non rapide ou lent.

« Échappatoire » au sens d’ « Issue de secours »

Le 2 juin 2022

Extensions de sens abusives

Le nom échappatoire désigne un subterfuge, un moyen adroit et subtil de se tirer d’embarras : trouver une échappatoire ; répondre à une question difficile par une échappatoire. Par extension, il désigne aussi un moyen d’échapper à une réalité pénible : il trouvait dans le travail une échappatoire à ses soucis. Échappatoire est un nom abstrait et il importe de ne pas lui donner le sens concret d’« issue de secours », sens qu’il n’a que dans la langue des courses automobiles pour désigner la piste de dégagement située à l’entrée ou à la sortie d’un virage, que les pilotes peuvent emprunter si leur voiture quitte la trajectoire prévue.

on dit

on ne dit pas

Toutes les portes sont fermées, il n’est pas possible de sortir, il n’y pas d’issue

Toutes les portes sont fermées, il n’y a pas d’échappatoire

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