Dire, ne pas dire

Extensions de sens abusives

Académique pour Universitaire

Le 7 juin 2018

Extensions de sens abusives

L’adjectif académique signifie « propre à la philosophie platonicienne », mais aussi « relatif à une académie ». On parle ainsi de séance, d’élection ou de discours académique. Cet adjectif a encore pour sens « conforme aux règles, aux usages, au point d’être conventionnel ». Enfin, dans le domaine de l’enseignement, il signifie « qui a rapport à une académie », c’est-à-dire, à une circonscription universitaire placée sous l’autorité d’un recteur : Les bureaux de l’inspection académique. Il convient de ne pas ajouter à ces significations l’une de celles de l’anglais academic, c’est-à-dire « universitaire ». On ne dira donc pas « Des travaux académiques de premier ordre », mais « Des travaux universitaires de premier ordre », bien que, malheureusement, ces tours soient en train de se répandre.

Dernièrement pour Enfin, en dernier lieu

Le 7 juin 2018

Extensions de sens abusives

Dans son Thresor de la langue francoyse tant ancienne que moderne, Jean Nicot écrivait déjà au sujet de dernièrement : « Est adverbe de ce mot Dernier, et signifie non en dernier lieu, ains (mais) au dernier temps. » Il était suivi en cela par l’Académie française, dans la première édition de son Dictionnaire, où l’on pouvait lire : « Dernierement : Adverbe de temps, Depuis peu, il n’y a pas long-temps. Il arriva dernierement un estrange accident ». Cet emploi est très ancien et se rencontrait dès le xiiie siècle, chez Philippe de Beaumanoir dans ses Coutumes de Beauvaisis : « Et avint après ce que le [la] feme, derrainement espousée du chevalier, morut. » Force est donc de constater que le couple dernier/dernièrement a un fonctionnement différent de premier/premièrement, puisque dernièrement ne peut signifier « en dernier lieu ». Certains auteurs ont essayé, au début du xixe siècle en particulier, de donner ce sens à dernièrement ; parmi les plus illustres, on trouve Chateaubriand ou Mme de Staël, qui écrit dans De l’Allemagne : « La langue allemande, depuis mille ans, a été cultivée d’abord par les moines, puis par les chevaliers, puis par les artisans tels que Hans Sachs, Sébastien Brand, et d’autres, à l’approche de la Réformation, et dernièrement enfin par les savants, qui en ont fait un langage propre à toutes les subtilités de la pensée. » Mais force est de constater que cet emploi ne s’est pas ancré dans l’usage ; on emploiera donc dernièrement avec le sens de « récemment » et non d’« en dernier lieu ».

On dit

On ne dit pas

Et, enfin, faites cuire pendant trente minutes


En dernier lieu, relisez soigneusement votre devoir

Et, dernièrement, faites cuire pendant trente minutes

Dernièrement, relisez soigneusement votre devoir

Agenda au sens de Programme

Le 4 mai 2018

Extensions de sens abusives

Le nom agenda désigne un registre, un carnet comportant un calendrier et dans lequel on inscrit pour chaque jour ce que l’on se propose de faire.

On évitera d’ajouter à ce sens celui de programme, c’est-à-dire la suite d’actions qu’on s’impose d’accomplir dans un but donné, le plan que l’on a établi à l’avance ; en effet, employer agenda en ce sens est un anglicisme.

On dit

On ne dit pas

Quel est le programme du ministre pour la semaine ?

Quel est l’agenda du ministre pour la semaine ?

L’aire et L’ère

Le 4 mai 2018

Extensions de sens abusives

Ces deux homonymes sont en fait trois. En effet, le nom aire n’a pas la même étymologie lorsqu’il désigne l’endroit où l’on bat le blé, puis un espace bien délimité, que lorsqu’il désigne la surface plane d’un rocher élevé où nichent les rapaces. Dans le premier cas, il est issu du latin area, de même sens, duquel la Révolution française a aussi emprunté le nom are ; dans le second, il est issu du latin ager, « champ, fonds de terre ». À ces deux homonymes, il faut ajouter le nom ère ; ce dernier est issu du latin aes, qui pouvait désigner le cuivre ou le bronze (rappelons que ce nom a aussi donné « airain »). Le pluriel de ce nom, aera, a désigné en latin tardif une somme de monnaie – proprement « des pièces de cuivre ou de bronze » –, puis un nombre et enfin une époque, et c’est ce sens qu’a le français ère. On se gardera donc bien de confondre ces différentes formes et l’on veillera à les orthographier correctement.

 

On écrit

On n’écrit pas

L’aigle a établi son aire sur un piton rocheux

Des fossiles de l’ère tertiaire

On battait jadis le blé sur une aire

L’aigle a établi son ère sur un piton rocheux

Des fossiles de l’aire tertiaire

On battait jadis le blé sur une ère

Dû à au sens d’En raison de

Le 6 avril 2018

Extensions de sens abusives

Le participe passé se rencontre de plus en plus, de manière erronée, dans l’étrange et fautive locution prépositive dû à que l’on emploie en lieu et place d’« en raison de », « à cause de ». On peut bien sûr trouver des formes en français où le verbe devoir, à toutes les formes, est suivi de la préposition à et d’un complément de cause : il doit sa réussite à son travail, des accidents dus à l’imprudence. Mais l’emploi de dû à en tête de phrase, qui s’explique peut-être par l’anglais due to, « en raison de », est une grossière erreur qu’il convient de proscrire à toute force.

 

On dit

On ne dit pas

En raison des travaux, il est arrivé en retard     

Il a échoué à cause de son manque de travail

Dû aux travaux sur la route, il est arrivé en retard

Dû à son manque de travail, il a échoué

La psittacose et le psittacisme

Le 6 avril 2018

Extensions de sens abusives

Ces deux maladies ont à voir avec les perroquets, ou plutôt avec leur nom grec, psittakos. La forme psittacisme, que l’on doit à Leibnitz, est la plus ancienne. C’est le fait de reprendre des mots ou des phrases sans les comprendre ou de tenir des propos vides de sens. La seconde, psittacose, apparaît à la fin du xixesiècle et désigne une maladie contagieuse des perruches et des perroquets, transmissible à l’homme, et à d’autres mammifères, puisque voir son chien mordu par un perroquet arracha à un célèbre reporter ce cri d’inquiétude : « Milou, malheureux ! as-tu songé à la psittacose ? »

Idée au sens de But, principe, etc.

Le 2 mars 2018

Extensions de sens abusives

Le nom idée est polysémique. Il peut désigner une notion abstraite et générale fournie par l’entendement : l’idée du bien, du beau. On peut aussi donner ce nom à toute représentation d’un être, d’une chose, d’un fait, d’un acte, etc., que se forme l’esprit : une idée claire, juste, exacte. Dans l’expression se bercer, se laisser bercer d’idées, « idée » a le sens d’ « illusion ». Ce mot peut aussi désigner l’esprit lui-même, dans un certain nombre de locutions et d’expressions, d’un emploi souvent familier. On dira ainsi en idée, « en pensée, en imagination », par opposition à en fait, dans les faits. Enfin au pluriel, on l’emploie pour évoquer les opinions, les convictions d’un individu ou d’un groupe : les idées politiques d’un auteur, des idées hardies, rétrogrades.

À ces sens déjà nombreux, on se gardera bien d’ajouter ceux de « but » ou de « principe », que l’on commence à rencontrer dans des tours familiers comme « c’est quoi l’idée du jeu ? », en lieu et place de « quel est le but, le principe du jeu ? »

on dit

on ne dit pas

Le but, c’est de ne plus avoir de cartes

Le principe, c’est de ne refuser personne

L’idée, c’est de ne plus avoir de cartes

L’idée, c’est de ne refuser personne

Intuitif au sens de Facile à utiliser

Le 2 mars 2018

Extensions de sens abusives

L’adjectif intuitif signifie « qui résulte, qui relève de l’intuition » ou « qui procède par intuition ». Il qualifie alors des notions abstraites liées à la connaissance, à la pensée, etc. On peut ainsi parler de connaissance intuitive, de certitude intuitive, de vérité intuitive, etc. Cet adjectif peut aussi s’appliquer à une personne qui a des qualités d’intuition, qui comprend, agit en étant guidée par l’intuition : une élève intuitive, un chercheur intuitif. On évitera d’ajouter à ces sens ceux de « facile à utiliser, d’un emploi aisé », que l’on rencontre de plus en plus pour signaler que l’on peut deviner facilement comment fonctionne tel ou tel appareil. On ne dira donc pas un ordinateur intuitif, mais un ordinateur facile à utiliser. Tout cela vaut également pour contre-intuitif.

on dit

on ne dit pas

Un appareil photo d’un emploi aisé

Ce nouveau téléphone est très facile à utiliser

Un logiciel peu pratique

Un appareil photo intuitif

Ce nouveau téléphone est très intuitif

Un logiciel contre-intuitif

Réaliser que

Le 1 février 2018

Extensions de sens abusives

D’excellents auteurs comme Charles Baudelaire, André Gide ou François Mauriac ont parfois donné au verbe réaliser le sens d’« admettre comme réel en esprit » : Il ne réalise pas encore pleinement sa perte. Si cet emploi ne saurait être considéré comme fautif, l’utilisation abusive du verbe réaliser, au sens affaibli de « se rendre compte » est en revanche un anglicisme à éviter. Ainsi, on ne dira pas Il a réalisé qu’il devait partir, mais, par exemple, Il s’est aperçu, il a compris qu’il devait partir.

On dit

On évitera de dire

Il ne s’est pas rendu compte que le monde avait changé

Quand allez-vous comprendre qu’il est temps de vous mettre au travail ?

Il n’a pas réalisé que le monde avait changé


Quand allez-vous réaliser qu’il est temps de vous mettre au travail ?

Supputer au sens de Supposer

Le 1 février 2018

Extensions de sens abusives

Le verbe supputer est emprunté du latin supputare, « soupeser, calculer » et il signifie « estimer à quel chiffre monte une somme ; évaluer une quantité d’après certaines données » : Il faut supputer à combien monte la dépense annuelle. On ne doit donc pas en faire un synonyme pompeux de supposer, penser, croire, etc.

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