Le 7 juillet 2017
Extensions de sens abusives
Prémisse et prémices : ces deux noms sont souvent confondus, ce qui n’est guère étonnant puisque nos deux homonymes sont assez rares et que leurs sens ne sont pas très éloignés, alors que des homonymes d’usage fréquent et ayant des significations vraiment différentes ne courent pas ce risque. Ainsi qui entend ou lit les vers de Corneille ne soupçonne pas notre dramaturge de pratiquer en amateur la sériciculture, ni de souffrir d’une infection intestinale, mais présume que l’on évoque son œuvre poétique. La proximité de prémisse et de prémices est plus périlleuse. Prémices, qui ne s’emploie qu’au pluriel, a d’abord désigné les premières productions de la terre ou de l’élevage que l’on offrait en sacrifice aux dieux, puis, par extension, ce nom a aussi pris le sens de « prélude, signe avant-coureur ». Quant à prémisse, qui se rencontre au singulier comme au pluriel, il appartient à la langue de la logique et désigne chacune des deux propositions d’un syllogisme d’où résulte la conclusion ; par extension, ce nom désigne aussi tout argument d’où découle une conséquence. On veillera donc bien à ne pas employer l’un pour l’autre et on rappellera que tous deux sont des féminins.
on écrit
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on n’écrit pas
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Offrir à Cérès les prémices d’une récolte
Ces manifestations furent les prémices de l’émeute
Une théorie fondée sur des prémisses douteuses
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Offrir à Cérès les prémisses d’une récolte
Ces manifestations furent les prémisses de l’émeute
Une théorie fondée sur des prémices douteuses
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Le 1 juin 2017
Extensions de sens abusives
Ces deux-là étaient trop proches dans leur forme pour qu’on ne les confonde pas. Pourtant que de différences entre eux. Le premier, aréopage, est de quatre siècles antérieur au second, aéroport. Il est emprunté, par l’intermédiaire du latin areopagus, du grec Areios pagos, alors que l’autre est un composé d’un suffixe français, même s’il remonte à une forme grecque, aéro-, et du nom port. Le premier est rare, le second est d’usage courant. Areios pagos, c’est, proprement, « la colline d’Arès », un monticule consacré à ce dieu et où étaient jugés, à Athènes, les homicides. Aréopage a gardé ce sens en français, auquel s’est ajouté, au xviiie siècle, celui d’« assemblée de personnes se donnant pour mission de juger, d’apprécier les œuvres dont ils ont connaissance », puis celui d’« assemblée de savants ». Il convient donc de ne pas inverser ni de répartir faussement les premières syllabes de ces deux noms, aréo- et aéro-, dont les sens n’ont rien de commun, et de rappeler que l’on dit un aéroport et un aréopage.
on dit
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on ne dit pas
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L’avion a quitté l’aéroport
Un aréopage de savants
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L’avion a quitté l’aréoport
Un aéropage de savants
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Le 1 juin 2017
Extensions de sens abusives
Le nom couvert s’est d’abord employé au sens d’« abri, logement ; toit » ; c’est celui qu’il a dans la fable « Le Rat qui s’est retiré du monde », de La Fontaine :
En peu de jours, il eut au fond de l’ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage ?
Le vivre désignait la nourriture ; on ne l’emploie plus guère en ce sens au singulier ; aujourd’hui l’usage préfère le pluriel les vivres. Mais depuis le xvie siècle, couvert désigne aussi et surtout les ustensiles dont on se sert pour manger quelque chose ; par métonymie et par une extension abusive, on en a aussi fait un synonyme incorrect de « vivre, nourriture ». L’expression le vivre et le couvert perdait son sens et l’on a substitué à vivre le nom gîte, une forme phonétiquement proche et qui doit sa fortune aux locutions gîte d’étape et gîte rural. Il conviendrait pourtant de redonner à cette expression sa forme originelle et à couvert un sens qu’il serait dommage de voir s’évanouir.
on dit mieux
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on pourrait dire
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Le vivre et le couvert
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Le gîte et le couvert
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Le 4 mai 2017
Extensions de sens abusives
La locution conjonctive quand même est parfois remplacée, à tort, par la forme comme même sans doute en raison de la proximité phonétique de ces deux formes. On doit dire quand même (ou quand bien même) je devrais m’en repentir, je partirais demain et non comme même je devrais m’en repentir, je partirais demain. Notons cependant que l’on peut rencontrer comme même, il ne s’agira pas alors d’une locution mais de la succession de la conjonction de subordination comme et de l’adverbe même. On dira ainsi comme même sa famille ne pouvait venir, il a reporté la cérémonie. Mais, en dehors de ce cas, c’est quand même qui s’impose.
on dit
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on ne dit pas
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Quand même il pleuvrait, nous visiterions la ville
Quand même il le voudrait, il ne pourrait pas
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Comme même il pleuvrait, nous visiterions la ville
Comme même il le voudrait, il ne pourrait pas
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Le 4 mai 2017
Extensions de sens abusives
Le nom retour est polysémique. Il désigne, entre autres, le fait de revenir à son point de départ ou à un état antérieur ; il désigne aussi le fait de renvoyer une chose à son expéditeur. C’est ce dernier sens qu’il prend dans l’expression répondre par retour du courrier ou, simplement, par retour. À partir de cette expression, on a parfois étendu le sens de retour pour en faire un synonyme de réponse, voire de réaction ou de commentaire. Il s’agit d’une extension abusive, qui ne répond à aucune nécessité puisque les formes citées conviennent mieux.
on dit
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on ne dit pas
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J’espère avoir une réponse favorable
Il craint des réactions négatives
Ils se sont attiré nombre de commentaires peu flatteurs
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J’espère avoir un retour favorable
Il craint des retours négatifs
Ils se sont attiré nombre de retours peu flatteurs
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Le 6 avril 2017
Extensions de sens abusives
Les adjectifs compréhensif et compréhensible sont attestés depuis plusieurs siècles dans notre langue ; l’un et l’autre viennent du latin, le premier de comprehensivus, « qui comprend, qui contient », le second de comprehensibilis, « qui peut être saisi, concevable, compréhensible », deux formes qui dérivent de comprehendere, « saisir ensemble », puis « saisir par la pensée, comprendre ». En français compréhensible signifie « qui peut être compris », et compréhensif « qui a la faculté de saisir par l’esprit » (une intelligence compréhensive), puis « qui juge avec indulgence ». Ces deux termes ne sont donc pas synonymes et un texte où l’on emploierait l’un pour l’autre serait bien peu compréhensible.
on dit
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on ne dit pas
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Un message difficilement compréhensible
Il a la chance d’avoir des parents très compréhensifs
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Un message difficilement compréhensif
Il a la chance d’avoir des parents très compréhensibles
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Le 6 avril 2017
Extensions de sens abusives
Nous sommes généralement beaucoup plus en contact avec les mots et expressions de manière orale que de manière visuelle ; il résulte de ce fait que des locuteurs hésitent ou se trompent quand il s’agit d’employer des formes qu’ils ont entendues, mais qu’ils n’ont jamais ou presque jamais vues écrites. Certains humoristes ont joué de ces confusions, en employant, par exemple, Ni des lèvres ni des dents, quand c’était Ni d’Ève ni d’Adam qui était attendu. Le problème ne reste pas qu’oral puisque, rapidement, ce qui est mal entendu et mal compris sera mal écrit. Nous en avons un exemple avec la forme tant bien même que l’on commence à entendre et à lire en lieu et place de quand bien même. Rappelons donc que seule cette dernière est correcte et que tant bien même doit être proscrit.
on dit
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on ne dit pas
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Quand bien même il réussirait, nous ne saurions l’approuver
Il agira ainsi quand bien même vous ne le voudriez pas
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Tant bien même il réussirait, nous ne saurions l’approuver
Il agira ainsi tant bien même vous ne le voudriez pas
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Le 2 mars 2017
Extensions de sens abusives
La locution a minima s’emploie dans le domaine du droit, et se rencontre dans l’expression appel a minima, qui signifie que le ministère public fait appel pour augmenter une peine qu’il juge en inadéquation avec la faute commise. Cette locution, tirée du latin juridique a minima poena, « à partir de la plus petite peine », appartient donc à une langue spécialisée et ne doit être employée que dans ce cadre. On ne doit pas en faire un synonyme de tours comme au moins ou au minimum.
on dit
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on ne dit pas
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Sa copie mérite au minimum 17/20
Il devrait obtenir au moins la médaille de bronze
À tout le moins, il pourrait se sentir gêné
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Sa copie mérite a minima 17/20
Il devrait obtenir a minima la médaille de bronze
A minima, il pourrait se sentir gêné
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Le 2 mars 2017
Extensions de sens abusives
La conjonction sinon signifie « si ce n’est » : je ne sais rien, sinon qu’il est venu ; tous l’aimaient, sinon comme un frère, au moins comme un ami. Elle peut aussi signifier « sans quoi, faute de quoi » : travaillez avec constance et application, sinon vous n’obtiendrez que de médiocres résultats. On ne doit pas ajouter à ces sens celui de « par ailleurs, d’autre part ». On ne dira donc pas, ce que l’on entend hélas trop souvent, il a un bel appartement à Paris, sinon il a aussi une maison en Vendée ; toute sa famille va bien, et, sinon, sa sœur vient de se marier.
on dit
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on ne dit pas
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Il marche beaucoup et, par ailleurs, il nage régulièrement
Quant à toi, comment te portes-tu ?
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Il marche beaucoup et, sinon, il nage régulièrement.
Et sinon, toi, ça va ?
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Le 2 février 2017
Extensions de sens abusives
Le verbe investir est emprunté de l’italien investire, « mettre en possession d’une charge », puis « attaquer », lui-même étant issu du latin investire, « garnir, entourer » et donc « assiéger », c’est-à-dire entourer étroitement comme le fait un vêtement. En français investir a conservé les sens de l’italien : on peut donc investir quelqu’un d’une dignité et, dans le domaine militaire, investir une place forte, c’est-à-dire en faire le siège. Il convient de ne pas ajouter à ce dernier sens celui de « prendre, envahir ».
on dit
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on ne dit pas
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Après un long siège, les assaillants ont pris la ville
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Après un long siège, les assaillants ont investi la ville
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