Dire, ne pas dire

Extensions de sens abusives

Distanciation sociale

Le 7 mai 2020

Extensions de sens abusives

L’expression distanciation sociale est une transcription de l’anglais social distancing ; elle est assez peu heureuse, et ce, d’autant moins que ce syntagme existait déjà avec un tout autre sens. On le trouve en effet dans Loisir et culture, un ouvrage, paru en 1966, des sociologues Joffre Dumazedier et Aline Ripert ; on y lit : « Vivons-nous la fin de la “distanciation” sociale du siècle dernier ? Les phénomènes de totale ségrégation culturelle tels que Zola pouvait encore les observer dans les mines ou les cafés sont en voie de disparition. » Distanciation, que les auteurs prennent soin de mettre entre guillemets, désigne le refus de se mêler à d’autres classes sociales. On suppose pourtant que ce n’est pas le sens que l’on veut donner aujourd’hui à ce nom. Distanciation a aussi connu une heure de gloire grâce au théâtre brechtien, mais même s’il s’agit, comme on le lit dans notre Dictionnaire, pour le spectateur, de donner « priorité au message social ou politique que l’auteur a voulu délivrer », il est difficile de croire que ce soit le sens de la « distanciation sociale » dont on nous parle aujourd’hui. Peut-être aurait-on pu parler de « respect des distances de sécurité », de « distance physique » ou de « mise en place de distances de sécurité », comme cela se fait dans d’autres domaines ?

Initier

Le 2 avril 2020

Extensions de sens abusives

On lisait dans la première édition de notre Dictionnaire, à l’article Initier : « Il ne se dit proprement qu’en parlant de la Religion des anciens payens; & signifie, Recevoir au nombre de ceux qui font profession de quelque culte particulier, admettre à la connoissance, & à la participation des ceremonies secretes d’une Religion. » À ce sens, et par extension, s’est ajouté celui d’« inculquer les rudiments d’une discipline ». Et même si l’ancien français inicion, aussi écrit inition, signifiait « commencement », on évitera d’ajouter le sens de « prendre l’initiative de », qui s’est développé récemment sous l’influence de l’anglais to initiate. Notre langue dispose de verbes et de locutions verbales susceptibles d’exprimer ces idées comme commencer, inaugurer, engager, entreprendre, lancer, être à l’origine de, prendre l’initiative de, etc. Ce sont eux qu’il convient d’employer.

On dit

On ne dit pas

C’est lui qui a lancé le débat

Elle est à l’origine de ce beau projet

C’est lui qui a initié le débat

Elle a initié ce beau projet

Les personnels

Le 2 avril 2020

Extensions de sens abusives

Personnel est un nom collectif : il désigne toujours un ensemble d’individus. Aucun dictionnaire, aucune grammaire n’en mentionne l’emploi au pluriel, sinon Le Bon Usage de Grevisse, qui le présente comme fâcheux. Il est donc fautif de dire l’ensemble des personnels pour l’ensemble du personnel ; les personnels militaires pour le personnel des armées ; les effets de telle décision sur les personnels pour les effets sur le personnel et plus encore de dire un personnel pour un membre du personnel. Ce nom, personnel, n’est acceptable au pluriel que si l’on veut désigner effectivement plusieurs catégories distinctes d’individus. On dira ainsi les personnels des différentes armes, c’est-à-dire la réunion du personnel de l’armée de terre, du personnel de la gendarmerie, de la marine, etc., ou encore les personnels civil et militaire des armées, c’est-à-dire le personnel civil et le personnel militaire.

Ceci dit pour Cela dit

Le 5 mars 2020

Extensions de sens abusives

Le pronom ceci renvoie au dernier élément d’une série énoncée précédemment ou à ce qui suit ; cela renvoie au premier élément, au plus éloigné ou à ce qui précède : Ceci est l'ancien emplacement du village ; cela, sur la colline au loin, celui du fort. Si vous prétendez cela, je vous répondrai ceci… Ceci explique cela signifie que la dernière chose qui a été dite explique ce qui l’avait été auparavant. Ceci dit est donc incorrect. On doit dire : Cela dit, comme : Cela étant, cela fait, cela étant admis, etc. On pourra, pour ne pas l’oublier, se rappeler que la fable Le Loup et le Chien, de Jean de le Fontaine, se termine par ces mots : Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

On dit

On ne dit pas

Cela dit, il se tut définitivement

Je suis d’accord avec toi. Cela dit…

Ceci dit, il se tut définitivement

Je suis d’accord avec toi. Ceci dit…

Démultiplier pour Multiplier

Le 5 mars 2020

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Le préfixe dé- indique souvent la séparation ou la privation, comme dans déboucher ou décentraliser. Il peut aussi avoir une valeur intensive comme dans dépasser ou déplorer. Les mots démultiplication et démultiplier sont empruntés au vocabulaire de l’automobile, et dans l’un et l’autre le préfixe dé- est négatif. La démultiplication désigne en effet un rapport de réduction de vitesse dans la transmission d’un mouvement, et démultiplier, le fait d’assurer une démultiplication. On évitera donc de faire de démultiplier une forme intensive de multiplier, et l’on ne dira pas il a démultiplié les initiatives, mais il a multiplié les initiatives. Concluons en signalant que démultiplier a un antonyme, surmultiplier, qu’on employait aussi dans le domaine de l’automobile pour désigner le fait d’enclencher un rapport d’augmentation de la vitesse. On l’utilisait surtout au participe passé substantivé : passer la surmultipliée.

Circonlocution pour Circonvolution

Le 6 février 2020

Extensions de sens abusives

Circonlocution et circonvolution sont des paronymes, mais ils n’ont pas le même sens. Le premier est emprunté du latin circumlocutio, un calque du grec periphrasis, à l’origine de périphrase. La circonlocution consiste donc, conformément à son étymologie, à « parler autour » pour ne pas nommer franchement ce qui pourrait l’être, à user de détours au lieu d’aller au fait ou, comme dirait une langue familière, à « tourner autour du pot ». On donne aussi parfois ce sens au second, mais il désigne essentiellement les détours et les sinuosités d’une phrase. Avec les circonvolutions la phrase serpente, mais, en proposant force digressions et excursus ; la circonvolution sert à donner de l’ampleur à la phrase quand la circonlocution sert à masquer ce qui semble bien difficile à énoncer.

Comment pour Comme – Tu as vu comment il est fort

Le 6 février 2020

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Comme et comment peuvent être des adverbes. Le premier marque l’intensité, dans des exclamatives directes ou indirectes : Comme c’est beau ! Si vous saviez comme il est gentil. Le second sert surtout pour l’interrogation : Comment faut-il préparer ce poisson ? Je ne sais pas comment il a pu réussir. On évitera de mêler ces deux tours et d’employer comment dans l’exclamative indirecte et l’on ne dira donc pas tu as vu comment il est fort, un type de phrase fréquent dans la bouche des enfants – mais pas uniquement –, mais tu as vu comme (ou combien) il est fort.

On dit

On ne dit pas

Si tu savais comme j’ai eu peur, combien j’ai eu peur

Voyez comme il s’applique

Si tu savais comment j’ai eu peur


Voyez comment il s’applique

Doublet pour Doublé

Le 9 janvier 2020

Extensions de sens abusives

Le nom doublet s’emploie essentiellement en linguistique pour désigner deux mots de formes et de sens différents qui remontent à un même mot étranger, le plus souvent latin, mais dont l’un est d’origine populaire, l’autre, d’origine savante. Ainsi les verbes écouter et ausculter viennent-ils du latin auscultare. On pourrait aussi citer « mâcher » et « mastiquer » venant de masticare, « prêcheur » et « prédicateur », de praedicator, « grêle » et « gracile », de gracilis ou « captif » et « chétif », de captivus. Il faut éviter de confondre doublet avec le participe passif substantivé doublé, qui, dans le domaine du sport désigne une série de deux victoires dans deux épreuves différentes ou dans deux éditions de la même épreuve, ou bien encore le fait que les deux vainqueurs appartiennent à la même équipe, à la même nation. Signalons d’ailleurs que cette série peut se prolonger et que l’on peut parler de triplé, de quadruplé, etc. Rappelons aussi qu’une prononciation soignée distingue doublet, où le groupe -et est prononcé avec un è ouvert de doublé, où le é est fermé.

On écrit

On n’écrit pas

L’Italie réalisa le premier doublé de l’histoire de la Coupe du monde de football

« Fade » et « fétide », « hurler » et « ululer » sont des doublets

L’Italie réalisa le premier doublet de l’histoire de la Coupe du monde de football

« Fade » et « fétide », « hurler » et « ululer » sont des doublés

Volumétrie au sens de Volume, Quantité importante

Le 9 janvier 2020

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Le nom volumétrie, attesté depuis le début du xxe siècle, désigne la mesure de volumes : Procéder à la volumétrie d’un chargement. On l’emploie fréquemment en chimie, au sujet de dosages à réaliser, et dans des domaines comme la sylviculture ou le transport de marchandises. Dans ces derniers cas, il est synonyme de cubage, mais contrairement à ce dernier, volumétrie ne doit pas s’employer pour désigner le volume ainsi mesuré, ce qui hélas commence à se faire, sans doute par emphase, ici ou là.

On dit

On ne dit pas

Une pièce d’un très beau volume

Il faudra deux camions pour transporter un tel volume

Une pièce d’une très belle volumétrie

Il faudra deux camions pour transporter une telle volumétrie

À raison de pour En raison de

Le 5 décembre 2019

Extensions de sens abusives

Les locutions prépositionnelles à raison de et en raison de sont des paronymes, mais elles ne sont pas synonymes. En raison de signifie « en considération de, eu égard à, vu » : En raison de son cri strident, l’agami est aussi appelé oiseau-trompette ; Poil de carotte, le personnage de Jules Renard était ainsi nommé en raison de sa chevelure rousse. À raison de signifie « en proportion de, en fonction de, suivant » : Il est rémunéré à raison du travail accompli. Dans des phrases de ce type, à raison de est parfois, mais rarement, remplacé par en raison de, alors qu’au sens d’« en considération de », à raison de ne peut remplacer en raison de, aussi est-il préférable de donner son sens propre à chacune de ces locutions et de ne pas employer l’une pour l’autre.

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