Y a-t-il un lien entre le sens des mots et leur forme ? C’était le sujet du Cratyle de Platon. Une grosse vingtaine de siècles plus tard, dans son Cours de linguistique générale, Saussure tranchait en affirmant que le signe est arbitraire ; en diachronie à tout le moins puisque, en synchronie, une forme est un héritage. Ce point dérange d’ailleurs certains locuteurs qui aimeraient qu’il existât une corrélation entre signifiant et signifié. À ceux-là, nous pouvons dire que tous les mots ne sont pas soumis à cet arbitraire. Il y a une niche de résistance, ou mieux, un nid. En effet, le nom de certains oiseaux s’explique, après quelques modifications liées à l’histoire, par la transcription de leurs cris. Varron le notait déjà dans son De lingua latina (5. 75) : […] de his pleraeque ab suis vocibus ut haec: upupa, cuculus, corvus, ulula, bubo (« parmi ceux-ci [les oiseaux], la plupart tirent leurs noms de leurs cris, comme la huppe, le coucou, le corbeau, la chouette, le hibou »).
Intéressons-nous d’abord à la huppe : upupa (rappelons qu’en latin la lettre u se prononce « ou ») est bien une tentative pour transcrire le cri de cet animal. Cette onomatopée est donc à l’origine de notre huppe, mais aussi, en raison de la réputation de saleté qu’on lui prête, du mot salope, forme soudée de sale hoppe, altération de sale huppe. De son côté, coucou vient de cuculus, mot censé imiter le chant de ce volatile. Comme on avait observé qu’il avait coutume de pondre dans les nids des autres, cuculus désigna aussi un amant adultère et, par antithèse, le mari trompé : c’est à une variante de coucou que nous devons le nom cocu. C’est aussi d’une onomatopée imitant le cri de cet oiseau, kokku, que les Grecs avaient tiré la forme kokkux, pour nommer cet oiseau squatteur. La transcription en alphabet latin de ce mot grec est coccyx, nom qui vint à désigner un os semblable au bec de cet oiseau.
C’est sans doute aussi à une onomatopée que l’on doit le nom corbeau, venu du latin corvus, cousin du grec korax. Le nom de la chouette, ulula, est, comme l’écrivent joliment Ernout et Meillet dans leur Dictionnaire étymologique de la langue latine, « un mot imitatif ». On le retrouve d’ailleurs dans les noms scandinaves de cet oiseau : ugla en islandais, ugle en norvégien, uggla en suédois. Quant au français, il a gardé son dérivé hululer. Il en va de même avec le hibou, bubo en latin. Voyons maintenant le paon ; son nom est issu du latin pavo, qui imite le cri de cet animal (nous entendons plutôt léo(n), mais la forme leo, leonis désignait déjà le lion). Profitons de ce que nous l’évoquons pour en rappeler la prononciation. Si celle du nom du mâle est bien connue (« pan »), n’oublions pas que celui de la femelle paonne se prononce comme « panne », et celui du petit, paonneau, comme « panneau ».
Il en est d’autres que donnent Varron et qui étonnent plus : item haec: anser, gallina, columba. (même chose pour anser, « oie », gallina, « poule, géline », columba « colombe »). Il est difficile de voir dans ces formes des onomatopées, mais souvenons-nous que la manière dont nous percevons les cris des animaux est aussi culturelle et que les coqs français font « cocorico », tandis que ceux d’outre-manche font « cock-a-doodle-doo », qu’en Allemagne c’est « kikeriki » que l’on entend et en Espagne « kikiriki »…
Il est d’autres oiseaux dont le nom vaut description : le rouge-gorge, l’engoulevent, (l’équivalent de l’anglais swallow wind) ou encore le hoche-queue, dont Varron avait déjà expliqué le nom : motacilla, […] quod semper movet caudam (« le hoche-queue parce qu’il remue toujours la queue »).