Dire, ne pas dire

Coin, Aloi

Le 19 juin 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

L’argent étant un domaine important dans la vie des hommes, il n’est guère étonnant que plusieurs noms liés à la monnaie figurent dans des expressions imagées. Au nombre de celles-ci, on trouve être frappé ou marqué au coin du bon sens. Le coin y désigne le poinçon qui servait à marquer les pièces de monnaie ou les médailles que l’on frappait pour en attester l’authenticité. Le nom coin, tiré du latin cuneus, a d’abord désigné, comme son étymon, une pièce de métal triangulaire que l’on fait entrer de force dans du bois ou des pierres pour les fendre. Il est ainsi apparenté au nom cognée, issu du latin cuneata, « en forme de coin », qui désigne une hache, et au verbe cogner, qui signifie d’abord « serrer avec un coin ; enfoncer ». De façon plus savante, il est aussi de la même famille que l’adjectif cunéiforme, qui qualifie une écriture tracée à l’aide de signes en forme de coins.

C’est en moyen français que coin prend une valeur figurée. On disait alors de deux personnes qui avaient des traits communs, qu’elles étaient d’un coin, un étant ici un adjectif numéral, comme si elles avaient été frappées d’un seul et même coin et que celui-ci avait laissé son empreinte sur l’une et l’autre. Au xviie siècle, l’expression être frappé ou marqué au coin de, au sens de « porter la marque de », est devenue courante. Elle connaît de multiples déclinaisons : on pouvait ainsi dire au sujet de vers d’une grande beauté qu’ils étaient frappés au coin de l’immortalité, ou parler de procédés marqués au coin du bon goût. La quatrième édition de notre Dictionnaire évoquait encore des ouvrages frappés au coin de l’Antiquité. À la même époque, être marqué au bon coin signifiait « être de bonne qualité » ou, pour utiliser une autre expression qui à l’origine qualifiait de la monnaie, « être de bon aloi ».

Aloi, qui ne s’utilise plus guère que dans l’expression de bon ou de mauvais aloi, désignait l’alliage des métaux servant à fabriquer les monnaies : il est d’ailleurs parent de ce nom alliage puisqu’il est issu du verbe aloier, forme ancienne d’allier. Une monnaie de bon aloi était une monnaie qui avait la juste proportion de métal précieux. Dès le Moyen Âge, aloi s’est employé dans des locutions figurées servant à qualifier des personnes ou des choses, le plus souvent avec une connotation négative : les textes anciens parlent, par exemple, de « prêtres de petit aloy », de « juge de faux aloy » et même de « gens de put aloi ». Rappelons que l’ancien français put, proprement « puant », puis « mauvais, sale, méchant », est issu du latin putidus, « puant, pourri, fétide » : il est à l’origine des noms pute et putain, mais aussi de putois, animal réputé pour son odeur repoussante, et de l’adjectif punais, proprement, « qui pue du nez », dont le féminin substantivé, punaise, a servi à nommer un insecte qui répand une odeur fétide quand on l’écrase.