L’expression avoir maille à partir avec quelqu’un signifie qu’on a, avec lui, un différend sur un sujet de peu d’importance. Comme l’indiquait déjà la première édition de notre Dictionnaire, le nom maille désigne ici une « espèce de petite monnoye de billon », c’est-à-dire bien peu de chose. En effet, si la locution monnaie de billon pouvait désigner une monnaie de cuivre ou de bronze, comme les anciens sous ou les pièces valant cinq et dix centimes qui eurent cours jusqu’à la Première Guerre mondiale, on l’utilisait ordinairement pour désigner une monnaie de très peu de valeur, voire de la fausse monnaie. Du nom billon avaient d’ailleurs été tirés ces mots, aujourd’hui disparus, mais ainsi définis dans la première édition de notre Dictionnaire : billonner, « Substituer des especes defectueuses en la place des bonnes », et billonnage, « crime de celuy qui billonne », c’est-à-dire qui fait usage de fausse monnaie. Quant au verbe partir, il a, dans cette expression, son sens ancien de « partager » : on retrouve ce sème de partage dans des mots de la même famille, qui sont, eux, encore en usage, comme les noms part, partie, partition ou répartition. On peut ajouter à ces termes l’adjectif mi-parti, qui qualifie ce qui est partagé en deux : les chambres mi-parties étaient des chambres de justice qui furent mises en place après la proclamation de l’édit de Nantes, et étaient composées, à parts égales, de juges catholiques et de juges protestants.
La maille étant la pièce ayant la plus faible valeur faciale, elle était impossible à partager, comme le serait aujourd’hui un centime d’euro : deux personnes qui ont maille à partir semblent donc affronter un problème aussi insoluble que celui qui consisterait à se partager une maille. On peut d’ailleurs rapprocher cette expression d’une autre semblable et reposant sur la même image, couper un liard en deux ou en quatre.
Le mot maille se rencontre dans quelques autres tours encore en usage, comme cela ne vaut pas une maille, qui se dit depuis la fin du Moyen Âge de ce qui est sans aucune valeur, n’avoir ni sou ni maille ou être sans sou ni maille, qui signifie « être sans argent ». On le rencontre aussi dans le mot composé pince-maille, terme vieilli que la 1re édition de notre Dictionnaire définissait comme un « homme fort attaché à ses interests », puisqu’il mettait tout en œuvre pour s’emparer d’une pièce ne valant presque rien. Littré en donne une variante assez savoureuse, fesse-maille, qui est elle-même un calque de fesse-mathieu, composé de fesse, forme conjuguée de fesser, et du nom du patron des changeurs, saint Mathieu. Le fesse-mathieu était proprement celui qui battait ce saint avec des verges pour lui soutirer de l’argent. Ce verbe, fesser, devait être fortement ancré dans l’imaginaire puisque les 5e, 6e et 7e éditions de notre Dictionnaire signalent l’existence d’une expression assez voisine : se faire fesser pour un liard, c’est-à-dire « être excessivement avare ».