Dire, ne pas dire

Chèvres et crevettes

Le 6 avril 2023

Expressions, Bonheurs & surprises

Le vocabulaire français est fortement redevable au nom latin de la chèvre, capra. On lui doit bien sûr les formes savantes caprin et capriné, mais aussi capricorne, qui désigne à la fois une constellation en forme de chèvre et un insecte aux longues antennes, également appelé longicorne. On notera au passage que les Latins avaient deux noms pour désigner cette constellation : capricornus et sidus hircinum, proprement « l’étoile du bouc ». Mais revenons à notre chèvre. Le nom chevreuil est issu de capreolus, diminutif de caprea, « chèvre sauvage », et c’est de ce même capreolus qu’est issue, par l’intermédiaire du périgourdin bebe a chabro, proprement « boire comme un chevreau », l’expression faire chabrol (ou chabrot), c’est-à-dire verser du vin rouge dans le fond de son assiette de soupe et y boire directement ce mélange. Capreolus a également donné le nom chevrotin, chevreuil de moins de six mois, dont on fit un adjectif avec l’expression balle chevrotine, qui désignait un projectile employé pour la chasse au gros gibier, et qui donna, par ellipse, le nom chevrotine. La femelle du chevreuil est la chevrette, mais le féminin de capreolus, capreola, qui désignait en latin une gazelle, nous est revenu en français, par l’intermédiaire de l’italien cabriola, sous la forme cabriole, pour désigner les sauts et gambades propres aux caprins. Du saut à la saute d’humeur, il n’est qu’un pas et nous retrouvons encore notre chèvre dans le nom caprice. Ce nom vient de l’italien capricio, dérivé de capo, « tête » ; c’était à l’origine une tête hérissée d’effroi mais, par rapprochement avec capra, il a ensuite désigné un mouvement d’humeur imprévisible. On retrouve cette idée dans l’adjectif capricant, « désordonné, sautillant », d’abord employé en médecine dans l’expression (pouls) capricant, « inégal et saccadé ». C’est toujours au caractère sautillant de cet animal, et à son entêtement, que l’on doit les différents sens de notre verbe cabrer, et c’est aussi parce qu’il semble toujours en mouvement qu’on a donné à un petit crustacé le nom de chevrette, avant que le normand, par une métathèse du « r », n’en fasse une crevette. Les noms régionaux de cet animal marin montrent bien que son mode de déplacement est l’une de ses principales caractéristiques, puisque nombre d’entre eux sont formés à l’aide des verbes latins salire et saltare, « sauter ». Sur les côtes de la Manche, on l’appelle en effet chevrette, chevrie et crevette mais aussi sauticot, salicoque et sautelicot. Pour conclure, arrêtons-nous un instant sur le crustacé que les savants nomment palaemon serratus, proprement « Palaemon (dieu marin grec) en forme de scie », et dont le nom courant est bouquet. Lui aussi doit son origine, à plusieurs titres, aux caprins : le bouquet tire son nom de bouc, d’abord parce qu’il est un peu plus gros que la crevette, comme le bouc est un peu plus gros que la chèvre, mais aussi parce qu’il saute comme un bouc, et enfin parce que ses longues antennes rappellent la barbe de ces animaux...