Dire, ne pas dire

Bleu mourant et autres couleurs

Le 8 juillet 2013

Expressions, Bonheurs & surprises

Le myosotis est parfois appelé le désespoir du peintre, en raison de la difficulté de reproduire la multitude des petites fleurs qu’il offre au regard ou au pinceau. Les noms de couleurs peuvent être le désespoir du traducteur. D’une langue à l’autre il est souvent difficile de trouver le mot ou l’expression qui rendra telle ou telle nuance.

Ainsi, les langues de l’Antiquité semblaient, beaucoup plus que les langues actuelles, porter une très grande attention à l’éclat des couleurs plus qu’aux couleurs elles-mêmes. Tant et si bien que l’on s’est demandé si des noms de couleurs, quoique très éloignées les unes des autres, telles que le bleu, le blanc, l’anglais black (noir), le latin flavus (blond), ne dérivaient pas d’une même racine indo-européenne *bhel-, signifiant « briller », que l’on retrouve, entre autres, dans l’allemand blinken, « briller », le latin flagrare, « être en feu », ou le grec phlox, « flamme ».

Et comment rendre, par exemple, dans d’autres langues, les différentes nuances qu’énonce Colbert en 1669 dans l’Instruction pour les teintures, où les bleus sont ainsi classés : Bleu blanc, bleu naissant, bleu pâle, bleu mourant, bleu mignon, bleu céleste, bleu de reine, bleu turquin, bleu de roy, bleu fleur de guesde, bleu aldego, bleu d’enfer ?

Plus qu’un manuel à l’usage des teinturiers, nous avons un ordre poétique du monde, où ce qui naît n’est pas plus éloigné de ce qui meurt que le roy ne l’est de la reine. On trouve avec plaisir l’ancienne orthographe guesde, désignant une plante dont on extrait l’indigo et qui s’écrit aujourd’hui guède, pour évoquer un bleu proche de l’indigo. Les hasards de la langue et le changement d’une minuscule en majuscule font que, quelques siècles plus tard, quand Georges Duhamel, dans Vu de la terre promise, parlera de nuance Guesde, il ne s’agira plus de bleu, mais de rouge puisque ce qui est teinté de nuance Guesde, en référence ici à Jules Guesde, est un « socialisme d’extrême-gauche imprégné de syndicalisme ».

Nous avons commencé en plaignant les traducteurs ; plaignons une fois encore ceux qui sont confrontés à une trilogie anglaise annonçant cinquante nuances de gris.