Les noms en -ois sont masculins en français, à l’exception notable de fois. La grande majorité de ceux qui se terminent en -oi le sont également, mais il y a là encore quelques exceptions, comme paroi et surtout foi et loi. C’est à certains de ces masculins que nous nous intéresserons, et d’abord au nom tournoi. Ce mot, qui a remplacé l’ancienne forme tournoiement, est un déverbal de tournoyer. Si le tournoi est un passage obligé des romans de chevalerie, comme en témoignent les romans de Walter Scott, et particulièrement Ivanhoe, c’était aussi, au Moyen Âge, une occasion pour les chevaliers peu fortunés de s’assurer des revenus, comme le montre l’essai de Georges Duby, Guillaume le Maréchal ou le Meilleur Chevalier du monde, qui narre les aventures de cet homme de guerre qui défia et défit plus de cinq cents adversaires dans les nombreux tournois auxquels il prit part.
La forme tournois peut bien sûr être le pluriel de tournoi, mais elle est aussi un adjectif qui nous renvoie, une fois encore, au monde médiéval et à l’argent. Cet adjectif, qui n’est pas terminé par un e au féminin, doit à sa rareté le fait d’être resté invariable, ou, comme on le lisait dans les éditions précédentes de notre Dictionnaire, d’être resté un adjectif des deux genres, c’est-à-dire un épicène. Il est en effet issu d’une forme latine terminée en -is, et ces formes étaient semblables au masculin et au féminin. Ainsi talis pouvait qualifier un homme ou une femme ; il en allait de même pour grandis. Cet état s’est maintenu au Moyen Âge, ce qui explique la graphie de mots composés comme grand-mère, grand-messe ou grand-rue, qui s’est fixée à cette époque, avant la création d’une forme de féminin grande. Rien de tel avec tournois, issu du latin turnensis, « de Tours », et qui qualifie, on le rappelle, une monnaie frappée dans cette ville. Si l’on parle naturellement de deniers tournois et de sous tournois, on parle également de livres tournois et de monnaie tournois. L’historien, philologue et lexicographe Jean-Baptiste de La Curne Sainte-Palaye, qui fut de l’Académie française et écrivit un toujours précieux Dictionnaire historique de l’ancien langage françois, écrit monnaie tournoise dans son ouvrage, mais son exemple n’a pas été suivi.
L’origine de tournois fait que ce mot n’est pas si éloigné de pavois, également lié au Moyen Âge et qui, avant d’avoir le sens de « bouclier », a d’abord été un adjectif. Pavois est en effet issu du latin pavensis, « de Pavie », adjectif épicène lui aussi. Cette ville étant spécialisée dans la fabrication d’écus et de boucliers, il advint que, comme l’adjectif armenius, dans l’expression mus armenius, proprement « rat d’Arménie », est à l’origine du nom hermine, l’adjectif pavensis, dans des locutions comme scutum pavense, « bouclier de Pavie », a donné le nom « pavois ». Pour conclure, intéressons-nous un peu à l’italien, notre sœur romane : les règles de la phonétique de l’ancien français et de l’ancien italien nous montrent que du latin mensem sont issus le français mois et l’italien mese. Il est donc normal que le latin pavensem, dont provient pavois, soit à l’origine de l’adjectif italien pavese, signifiant également « de Pavie ». Ce qui porte à croire que le grand écrivain italien Pavese, quoique né dans le Piémont, a sans doute eu des ancêtres originaires de cette ville.