Le sel a eu, dès les temps les plus anciens, une grande valeur : parce qu’il rehausse la saveur des aliments ‒ ce qui explique que, dans son Dictionnaire, Féraud le définisse joliment comme ce « qui picote l’organe du goût » ‒ mais aussi parce qu’il est employé pour la conservation de la viande et du poisson. Par métaphore, dans les Évangiles, il désigne les apôtres, ainsi que le signalait la première édition de notre Dictionnaire, où l’on pouvait lire : « Dans l’Evangile Nostre Seigneur dit aux Apostres qu’Ils sont le sel de la terre, pour dire, que C’est à eux à preserver les autres fidelles de la corruption du siecle. » Le sens de cette expression s’est modifié et elle désigne plutôt aujourd’hui une élite, considérée comme rassemblant les éléments de plus haut prix d’un groupe. Le sel, ce bien précieux, est à l’origine du mot salaire. Nous l’avons en effet emprunté du latin salarium, qui fut d’abord la somme versée aux soldats de l’armée romaine pour qu’ils s’achètent du sel. Notons d’ailleurs que ce n’était pas leur seul défraiement : à côté de ce salarium, les soldats touchaient aussi un congiarium, un mot tiré du grec kogkhê, « conge », une mesure de liquide valant un peu plus de trois litres. Cet argent leur permettait d’acheter du vin, quand celui-ci ne leur était pas directement donné. Il existait aussi un caligarium, pour l’achat des chaussures, et enfin un vestiarium, un « vestiaire », c’est-à-dire une indemnité permettant de s’acheter des vêtements. Ce sens de vestiaire s’est longtemps conservé en français et on lisait, de la deuxième à la huitième édition de notre Dictionnaire, à l’article Vestiaire : « Se dit aussi De la despense que l’on fait pour les habits des Religieux & des Religieuses, ou de l’argent qu’on leur donne pour s’habiller. » De salaire dérive le verbe salarier. Ce dernier invite toute personne s’intéressant à la vie des mots à la prudence quand il s’agit de hasarder quelque pronostic au sujet de l’avenir de tel ou tel d’entre eux. Féraud écrivait dans Dictionnaire critique de la langue française, au sujet de ce verbe : « Il y a déja longtems que Richelet a dit que salarier était un mot vieux, et qui ne se disait plus. L’Académie lui done la même qualification. » Force est pourtant de constater qu’aujourd’hui ce verbe, grâce à son participe passé substantivé salarié, a repris quelque vigueur et que le moribond se porte bien.
Le mot sel s’emploie aussi couramment, au sens figuré, pour évoquer ce qui fait la saveur d’un propos, d’un ouvrage et l’on parlait de sel attique pour nommer ce qui avait « la pureté & des graces du langage d’Athenes ». On retrouve cette expression dans Les Femmes savantes (III, i) : « Le ragoût d’un sonnet, qui chez une princesse / A passé pour avoir quelque délicatesse. / Il est de sel attique assaisonné partout, / Et vous le trouverez, je crois, d’assez bon goût. » Le latin sal, dont vient notre sel, est aussi à l’origine de nombreux mots liés à l’art de la table et à l’utilisation de ce condiment en cuisine, parmi lesquels salade, sauce, saumure, saucisse et saucisson. Signalons, pour conclure, qu’on le retrouve également dans le mot salpêtre, qui détonne dans cette liste puisqu’il signifie proprement « sel de pierre » et désigne l’efflorescence composée d’un mélange de nitrate de potassium et d’autres nitrates, qui se forme sur les murs humides. Cela étant, ce salpêtre n’était pas, lui non plus, sans prix puisqu’il servait à fabriquer les explosifs et que la loi autorisait les « salpêtriers » à pénétrer chez les particuliers afin de le récolter.