Dire, ne pas dire

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De belle facture

Le 6 avril 2023

Extensions de sens abusives

La locution de bonne (ou de belle) facture s’est d’abord employée pour qualifier une œuvre littéraire ou artistique, puis des instruments de musique. Elle peut aussi qualifier aujourd’hui des objets artisanaux ou, pour prendre un mot de la même famille que facture, des objets manufacturés : un meuble, un bijou de belle facture. L’intervention de la main de l’homme est contenue dans cette expression, aussi ne fera-t-on pas de celle-ci, dans tous les cas, un synonyme de de qualité. On ne dira donc pas des cerises de bonne facture (quand bien même le travail de l’arboriculteur aura contribué à ce résultat), mais de belles cerises. Et on se gardera davantage encore de confondre ce nom facture, emprunté du latin factura, « façon, fabrication, œuvre », avec son homonyme, dérivé, lui, de facteur pris au sens d’« agent commercial », et qui désigne le mémoire établi par un vendeur dans lequel sont détaillés la quantité, la nature et le prix des marchandises livrées, puisqu’un produit de bonne facture n’est pas un produit dont le prix est élevé ou avantageux.

on dit

on ne dit pas

Un beau chêne, un chêne magnifique

Une prestation coûteuse, bon marché

Un chêne de bonne, de belle facture

Une prestation de belle facture

Des perles aux cochons : pauvre Catherine, pauvre Marguerite !

Le 6 avril 2023

Expressions, Bonheurs & surprises

Les voix qui demandèrent à Jeanne d’Arc de faire couronner Charles VII et de « bouter l’Anglois hors de France » étaient celles de l’archange saint Michel, mais aussi de sainte Marguerite d’Antioche, qui mourut martyre en 305, et de sa contemporaine, sainte Catherine d’Alexandrie. Les prénoms de ces deux saintes ont une riche histoire, qui mérite qu’on s’y arrête un peu. Même si l’on n’est pas certain de l’origine du mot Catherine, on l’a vite rattaché, avec Littré, au grec katharos, « pur ». Par la suite, par un étrange renversement, l’abrègement de ce prénom le fit passer de symbole de pureté à la dénomination générale des prostituées. Catherine fut en effet réduit à Catin, d’abord employé, au xvie siècle, comme terme d’affection adressé à une fille de la campagne, mais qui devint bien vite le nom donné aux filles de ferme ou d’auberge, puis aux femmes de mauvaise vie. Pourtant, deux siècles plus tard, le lien avec le prénom innocent n’était pas encore entièrement rompu puisqu’on lisait dans l’édition de 1718 du Dictionnaire de l’Académie française, à l’article Catin : « On ne met pas ce nom ici comme nom propre, mais comme un mot dont on se sert pour dire, Une personne de mauvaise vie. C’est une franche catin. »

Semblable déclassement est arrivé au prénom Marguerite, qui avait pourtant, lui aussi, belle allure, issu qu’il était, par l’intermédiaire du latin margarita, du grec margaritês, « perle ». Ce nom, emblème de ce qu’il y a de plus précieux, est fameux, entre autres raisons, grâce au précepte de l’Évangile de saint Matthieu : Neque mittatis margaritas vestras ante porcos (« Ne jetez pas vos perles aux pourceaux »). Hélas, ces mêmes perles contribuèrent plus que tout, nous dit Pline, dans son Histoire naturelle, « à la dévastation des mœurs », et il nous rappelle que, pour vaincre en magnificence Antoine, qui voulait l’écraser par le luxe de ses festins, Cléopâtre fit dissoudre dans du vinaigre deux perles valant ensemble des centaines de millions de sesterces. Quand le nom marguerite a commencé à désigner une fleur, à laquelle on trouvait quelque ressemblance avec une perle, il a cessé de désigner cette perle (rappelons que perle est issu du latin perna, « cuisse », puis « jambon » et, par analogie de forme, « pinne marine » et « perle »). Marguerite fut le prénom de reines et Dumas fit de l’une d’elles le personnage éponyme d’un de ses romans, en retenant la forme abrégée de son nom, Margot. Cette amputation, bien antérieure à notre auteur, avait privé ce prénom de ce qu’il avait de prestigieux et marqué le début de sa dégradation. Comme catin, margot fut en effet employé pour désigner des filles de ferme puis des filles faciles. On l’allongea ensuite pour en faire l’hypocoristique Margoton, qui devint un nom générique désignant les femmes aux mœurs légères. Dans Les Misérables, Courfeyrac donne ce conseil à Marius : « Ne lis pas tant dans les livres et regarde un peu plus les margotons. Les coquines ont du bon ! » Encore un dernier retranchement et c’est goton qui désignera une fille peu farouche et de bas étage, bien éloignée, tant pour la forme de son nom que pour ce qu’elle est, de notre Marguerite originelle. Dans Les Sœurs Vatard, Huysmans en dessine un archétype : « une fille populacière, râblée, solide, une goton lubrique, propre à vous tisonner les sens à chaque enjambée ». Mais ce nom se rencontre surtout au pluriel, ces femmes étant présentées de manière indifférenciée. Le père de Charles Bovary les fréquente et Flaubert nous dit que son épouse « le voyait courir après toutes les gotons de village ». Enfin, on retrouve ce nom, rehaussé par un « h », dans Sous le soleil de Satan, quand Bernanos fait le portrait de l’académicien qui rend visite au curé de Lumbres : « Aux gouvernantes qu’il entretenait jadis avec un certain décor succèdent aujourd’hui des gothons et des servantes, qui sont ses tyrans domestiques. »

Notons enfin que, malgré la présence de telles formes abrégées, Catherine et Marguerite sont restés des noms propres. Ce n’est pas le cas d’un autre nom propre, lié à l’histoire de sainte Marguerite, qui n’existe plus guère aujourd’hui que dans le nom commun qu’il a donné. C’est en effet du nom Olibrius (d’Antioche), le persécuteur de la sainte, qu’a été tiré le nom commun olibrius, qui désigne celui qui fait le brave, le fanfaron et se rend ridicule par son comportement excentrique.

Détoxer

Le 2 mars 2023

Emplois fautifs

Le nom grec toxon, « arc », a eu de nombreux dérivés et,par métonymie, divers sens. Après l’arc, il a rapidement désigné la flèche que projetait cet arc. Par la suite, un dérivé de toxon, le nom toxikon, a désigné un carquois, puis le poison dont on imprégnait les flèches pour qu’elles fussent plus efficaces. À cette forme on doit le nom et adjectif français toxique, mais aussi des termes comme toxine, toxicité et intoxiquer. De ce verbe on a tiré fort naturellement, et voilà plus d’un siècle et demi, l’antonyme désintoxiquer, un verbe, qu’il n’est pas nécessaire de pourvoir de l’inutile doublet détoxer, dont certains magazines et agences de publicité nous abreuvent, quand bien même notre monde pourrait sembler plus toxique qu’il ne l’était à la naissance de désintoxiquer.

Les conditions sont glissantes

Le 2 mars 2023

Emplois fautifs

En hiver, les conditions de circulation ne sont pas toujours fameuses : la pluie, la neige, le verglas, le givre ou le grésil peuvent rendre les routes glissantes. Pour évoquer ce phénomène, on évitera d’user d’une métonymie qui ferait que l’adjectif employé pour nous renseigner sur l’état des routes n’en vienne à qualifier les conditions de circulation elles-mêmes. Par temps de verglas on dira donc les chaussées sont glissantes et non les conditions sont glissantes.

Omission de l’article : exemples de « garder contact » et « sur base de »

Le 2 mars 2023

Emplois fautifs

L’ancien français se distingue du français actuel essentiellement par le vocabulaire et l’orthographe, mais aussi par le fait que les articles (et les pronoms sujets) y étaient beaucoup moins en usage qu’en français moderne. De cette époque, nous avons gardé nombre de locutions verbales, comme avoir faim, chercher noise, demander pardon, faire peur, prendre froid, ou adverbiales, comme sauf erreur, par hasard, à plus forte raison, qui ne comptent pas d’article. Ces formes ont été sanctionnées et validées par le temps et il est préférable de ne pas en créer de nouvelles en supprimant l’article dans des locutions ou des expressions où il est d’usage ancien. On dira donc garder le contact et sur la base de et non garder contact et sur base de.

« Dark » pour « Sombre, obscur, inquiétant »

Le 2 mars 2023

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

L’expression les âges obscurs (ou les siècles obscurs) désigne une période de la Grèce antique, allant environ du xiie au viiie siècle av. J.-C., de la fin du monde mycénien aux temps archaïques, que l’on considère comme une période de fort déclin. On trouve un même type de jugement, porté sur le Moyen Âge cette fois, dans le Pantagruel de Rabelais, avec cette différence, toutefois, qu’obscur est remplacé par ténébreux : « Le temps etoit encores tenebreux et sentant l’infelicité et la calamité des Gothz, qui avoient mis à destruction toute bonne literature. » On le voit avec ces adjectifs, auxquels on pourrait ajouter sombre, le français n’est pas démuni pour qualifier ce qui est funeste, marqué par le malheur, la désolation, ou ce qui est inquiétant, menaçant. Aussi n’est-il pas nécessaire de les remplacer par l’anglais dark.

Arnaud V. (Saint-Martin Lalande)

Le 2 mars 2023

Courrier des internautes

Bonjour,

Pourquoi le nom Pyrénées est-il un féminin ?

Arnaud V. (Saint-Martin Lalande)

L’Académie répond :

Monsieur,

Dans les langues régionales voisines de cette chaîne de montagnes, le nom est un masculin : o Pireneu / os Perinés en aragonais, els Pirineus / el Pirineu en catalan, los Pirineos / el Pirineo en espagnol, et los Pirenèus en gascon. Toutes ces formes sont issues des syntagmes latins Pyraneus mons et Puranei montes, « la montagne (ou les monts) des Pyrénées » ou saltus Pyraneus, « le défilé, les gorges des Pyrénées » dans lesquels on trouve les noms masculins mons et saltus. Par la suite Pyraneus a été substantivé en gardant le genre du nom qu’il qualifiait, ce qui explique le genre masculin des formes citées plus haut.

En français, le nom féminin Pyrénées est une forme savante empruntée du grec et non dérivée du latin. Or, en grec, Purênaia était un neutre pluriel, mais dont la terminaison en -a était semblable à celle des féminins singuliers, ce qui explique que c’est une forme féminine qui s’est imposée en français. Cette chaîne de montagnes était, dans l’Antiquité, présentée comme un énorme tumulus, bâti par Héraclès pour servir de tombe à sa bien-aimée Pyrênê.

Philippe D. (France)

Le 2 mars 2023

Courrier des internautes

Pourquoi écrire sylvestre, sylviculture avec un y, et non un i, comme dans le latin silva, « forêt » ?

Philippe D. (France)

L’Académie répond :

Monsieur,

Dans son Dictionnaire, en 1873, Littré mentionne que l’on écrit aussi silvestre ; c’est d’ailleurs sous cette forme que ce mot s’est rencontré pour la première fois dans notre langue, au xive siècle.

En latin, on a d’abord écrit silva pour désigner une forêt, un bois, un bosquet, mais la proximité de sens avec le grec hulê – qui signifiait d’abord, lui aussi, « forêt, bosquet », avant de désigner, par extension, le bois comme matériau, puis toute matière – explique que l’on a remplacé le i latin par un upsilon grec, transcrit par un y. La forme sylva a, à son tour, pris le sens de « matériau » et « matière », ce qui fait que, pour tous ces sens, on trouvait indistinctement silva et sylva. Si les formes en syl- se sont imposées, c’est parce que le y donnait un caractère savant aux mots qui le contenaient.

Des pâtisseries « faites maison » ou « faites maisons »

Le 2 février 2023

Emplois fautifs

La locution adjectivale fait maison s’emploie pour qualifier ce qui est fabriqué par l’artisan qui en fait commerce, et diffère donc de ce qui est produit de façon industrielle. Cette locution est une ellipse de fait à la maison. Il s’ensuit que le nom maison reste invariable tandis que le participe passé fait s’accorde, en genre et en nombre, avec le nom du produit concerné. On dira et on écrira donc des pâtisseries faites maison (et non des pâtisseries faites maisons ou des pâtisseries fait maison), comme on dira, encore par ellipse, des pâtisseries maison.

Il en va de même pour la locution fait main : des pulls faits main.

Elle s’est forgé un corps d’athlète

Le 2 février 2023

Emplois fautifs

L’accord du participe passé du verbe forger à la forme pronominale est parfois source d’hésitations. Rappelons donc que cet accord dépend de la fonction du pronom personnel réfléchi se (ou de sa forme élidée s’). On écrira ainsi elle s’est forgé un corps d’athlète (comme on écrirait elle s’est construit une maison) parce que, dans ce cas, le pronom s’ est le complément d’objet indirect du verbe, le complément d’objet direct étant le groupe nominal un corps d’athlète. Si le complément d’objet direct est placé avant le verbe, le participe passé s’accordera avec celui-ci et on écrira les idées qu’il s’est forgées (les idées qu’il a forgées pour lui). En revanche, on écrira cette théorie s’est forgée peu à peu (comme on écrirait cette maison s’est construite en huit mois), parce que, dans ce cas, le pronom personnel s’ n’est pas analysable : il s’agit d’une forme pronominale à valeur passive (équivalant à on a forgé cette théorie peu à peu) qui commande l’accord du verbe avec le sujet.

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