Dire, ne pas dire

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Claudia P. (France)

Le 6 juin 2013

Courrier des internautes

Mon travail consiste à transcrire, par écrit, des auditions de personnes (au sein de commissions, de conseils municipaux, de comités d’entreprise...). Je ne trouve pas de règle d’orthographe ou grammaticale concernant l’emploi de « que l’on » ou « qu’on », par exemple dans « il souhaite que l’on franchisse une étape... ». Est-ce correct, aussi, d’écrire « qu’on » ?

Je rappelle qu’il s’agit d’une transcription d’un document oral vers un document écrit.

Pour tout dire de mes recherches, dans leurs phrases explicatives des règles, les auteurs du Bescherelle écrivent « Lorsque l’on veut... ».

Claudia P. (France, 1er janvier)

L’Académie répond

Nous précisions à l’article On de notre Dictionnaire (consultable gratuitement en ligne) :

ON Tiré du latin homo, « homme ».

De son origine nominale, On a gardé la possibilité d’être précédé de l’article élidé l’. Le choix de cette forme tient aujourd’hui à une volonté d’élégance ou à certains usages liés à l’euphonie, notamment lorsqu’on veut éviter un hiatus. L’on se rencontre fréquemment après et, où, ou, si, qui, que, et d’autres conjonctions ou pronoms, comme dans « Puisque l’on s’obstine », « Un pays où l’on parle espagnol », « Ce que l’on connaît ». Il s’emploie plus rarement en tête de phrase et n’est pas d’usage après le relatif dont ou à proximité d’un mot commençant par l. On emploiera alors la forme on, comme dans « Ce dont on peut s’étonner », « Ici, on loue des vélos ».

Rien ne vous empêche donc d’écrire « qu’on ».

Du polichinelle au punch

Le 2 mai 2013

Bloc-notes

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Balzac, Le Cabinet des antiques, 1838. Rastignac regarde le jeune vicomte d’Esgrignon, fraîchement débarqué à Paris, et sur lequel une grande dame semble avoir jeté son dévolu. « Mon cher, dit-il à son ami Marsay, il sera, uist ! sifflé comme un polichinelle par un cocher de fiacre. »

Cette phrase énigmatique nous entraîne dans un dédale de mots extrêmement curieux.

Qu’est-ce qu’un « polichinelle » ? Quelques dictionnaires le signalent : le polichinelle, c’est de l’eau-de-vie. Mais comment et pourquoi ?

L’origine de Polichinelle est bien connue : Polichinelle, c’est la marionnette « Pulcinella », qui en italien veut dire « bec de poulet », à cause de son nez crochu. Ses origines se perdent dans la nuit des temps : c’est le bouffon Maccus, romain et même pré-romain, une figure archaïque, méchante, volontiers obscène. De là, le polichinelle français, bouffon, joyeux, menteur, matamore. Dont le nom se retrouve dans diverses expressions populaires, comme « être un polichinelle », être un pantin, quelqu’un dont on tire les ficelles et qui change tout le temps d’avis. Ou « secret de polichinelle » (un secret que tout le monde connaît) ou encore « avoir un polichinelle dans le tiroir », être enceinte.

En Angleterre, sous les Stuarts, Pulcinella devient « Punchinello », et enfin « Punch », ou « Mister Punch », tantôt jovial et bon enfant, tantôt parfait scélérat qui séduit toutes les femmes, tue la sienne, et s’en prend même au vieil Old Nick, le diable. En 1841, un hebdomadaire satirique en prendra le nom. Car punch, c’est aussi, en anglais, un mot du vocabulaire de la boxe, qui signifie « coup de poing vigoureux ». On y reconnaît l’ancien français ponchon, coup de pique, de pointe ou de poing. D’où l’expression moderne « avoir du punch », en anglais et en français d’aujourd’hui, au sens d’avoir du tonus, une grande capacité réactive… (d’où peut-être « avoir la pêche », par assonance ?)

Et le punch, c’est aussi une boisson, qui ne doit rien à Pulcinella, mais tout au rhum de la Jamaïque mêlé de sucre de canne. Son nom viendrait de l’hindi pendj : « cinq », comme penta en grec, parce qu’il y entre cinq ingrédients : thé, sucre, eau-de-vie, cannelle et citron. Mais comme sa vigueur roborative ne fait aucun doute, on voit bien la confusion qui s’est produite avec punch, au sens de « coup de poing » (bien que le punch boisson se prononce « ponche » – c’est d’ailleurs ainsi que le mot fut longtemps orthographié). Et très probablement avec Mister Punch, la marionnette libidineuse.

Mais revenons à Balzac, et au « polichinelle » que « siffle » le cocher : d’où lui vient ce nom ? Est-ce parce qu’une forte consommation d’eau-de-vie donne au buveur des gestes de pantin ? Est-ce une forme populaire du « punch », boisson à la mode dans les cercles romantiques ? Mais comment et par quel mystère le « polichinelle » du cocher aurait-il retrouvé le pulcinella des origines, devenu en anglais punchinello puis Mister Punch ? Et ayant, dans cette métamorphose, rencontré le punch de la Jamaïque ?

La question est ouverte.

Danièle Sallenave
de l’Académie française

C’est tendance

Le 2 mai 2013

Emplois fautifs

Dans Madame Bovary, Lheureux, le marchand de nouveautés, convainc régulièrement Emma d’acheter tel ou tel objet ou vêtement grâce à une phrase à laquelle elle semble ne pouvoir résister : C’est le genre ou sa variante C’est là le genre. Un siècle et demi plus tard, ni le bovarysme ni l’injonction à suivre les modes n’ont disparu, mais c’est le genre a été remplacé par c’est tendance ou ça fait tendance. Entre Flaubert et notre siècle, le complément du présentatif a perdu son article et son statut de nom pour devenir un adjectif invariable. Et, comme l’était déjà c’est là le genre d’autrefois, il s’agit là d’un déplaisant tic de langage.

On dit

On ne dit pas

C’est tout à fait dans l’air du temps

Des chaussures à la pointe de la mode

C’est, ça fait très tendance

Des chaussures très tendance

 

Jouer un disque

Le 2 mai 2013

Emplois fautifs

Le verbe jouer est très employé dans le vocabulaire de la musique. On le trouve d’abord avec un nom d’instrument comme complément : jouer du piano, de la clarinette. On trouve ensuite le nom du morceau qui est joué : jouer un prélude, une sonate. Enfin, jouer peut aussi avoir comme complément un nom de musicien, précédé ou non d’un article partitif : jouer du Bach ou jouer Bach. Dans ces derniers cas, le sujet du verbe peut aussi, par extension, désigner le support qui reproduit de la musique enregistrée, mais faire de ce support le complément d’objet direct de Jouer est une faute que l’on doit éviter.

 

On dit

On ne dit pas

Mettre un disque

Un disque qui joue une valse, qui joue Mozart

Jouer un disque

Jouer un disque de valse, de Mozart

 

Définitivement

Le 2 mai 2013

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

L’adverbe définitivement existe en français et signifie « de manière définitive » ou « pour en finir ». L’anglais definitely a la même origine, mais il n’a pas le même sens : il sert essentiellement à donner plus de poids à une réponse affirmative. Ne confondons pas les deux langues, et préférons « absolument, vraiment » ou « oui, bien sûr » pour mettre en valeur nos propos ou répondre par l’affirmative à une question.

 

On dit

On ne dit pas

Viendrez-vous demain ? Oui, bien sûr

Je suis absolument sûr de moi

Viendrez-vous demain ? Définitivement

Je suis définitivement sûr de moi

Les doublets étymologiques

Le 2 mai 2013

Expressions, Bonheurs & surprises

Notre langue est doublement redevable au latin.

De nombreux mots français sont le résultat d’une lente évolution du latin classique au français actuel, en passant par le latin tardif et l’ancien français et, comme les pièces de monnaie qui ont trop servi, ils sont parfois peu reconnaissables parce qu’ils ont été altérés et déformés par l’usage. Ces mots ont le plus souvent perdu une ou plusieurs syllabes et leur sens s’est modifié. Ainsi les mots glaïeul, liège et malotru, pour ne citer qu’eux, sont issus du latin gladiolum, « petite épée », levis, « léger », et male astrucus, « né sous une mauvaise étoile ».

Notre langue a également emprunté consciemment un grand nombre de mots au latin classique, généralement à partir des XIIIe et XIVe siècles. Ce sont le plus souvent des mots appartenant à un registre de langue plus élevé ; ils sont très proches du modèle latin et seule la terminaison est francisée. Parmi des milliers d’autres, on peut citer bénédiction, calamité, déambuler, empruntés de benedictio, calamitas, deambulare, ou encore nombre de mots appartenant à des domaines scientifiques comme fémur, fructifère, gallinacé ou manducation.

Il est aussi souvent arrivé qu’un même mot latin ait donné deux ou plusieurs mots français, les uns au terme d’une longue évolution phonétique et sémantique qui en a modifié la forme et le sens, les autres par un emprunt plus tardif. On parle alors de doublets étymologiques. En voici quelques-uns : Poison/potion (de potio) ; poitrail/pectoral (de pectorale) ; fléau/flagelle (de flagellum) ; foison/fusion (de fusio) ; chétif/captif (de captivus) ; moule/module (de modulus) ; millième/millésime (de millesimus) ; hurler/ululer (de ululare) ; loyal/légal (de legalis) ; métier/ministère (de ministerium) ; nager/naviguer (de navigare) ; écouter/ausculter (de auscultare) ; épaule/spatule (de spatula) ; essaim/examen (de examen) ; étroit/strict (de strictus) ; fade/fétide (de fetidus) ; octroyer/autoriser (de autorisare) ; outil/ustensile (de ustensilia) ou encore évier et aquarium (de aquarium).

Défense du point-virgule

Le 4 avril 2013

Bloc-notes

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« En province, les femmes dont peut s’éprendre un homme sont rares : une belle jeune fille riche, il ne l’obtiendrait pas dans un pays où tout est calcul ; une belle fille pauvre, il lui est interdit de l’aimer ; ce serait comme disent les provinciaux, marier la faim et la soif ; enfin une solitude monacale est dangereuse au jeune âge. »

Ce court texte de Balzac, emprunté à La Vieille Fille (1836), donne un parfait exemple de la nature, de la fonction, de l’usage du point-virgule.

Il s’agit d’une seule phrase qui propose l’illustration et le commentaire d’une vérité d’expérience : la rareté des jeunes filles disponibles en province. La phrase se développe en plusieurs parties, à la fois séparées et reliées par des points-virgules. Notons que ces parties de longueur égale ne sont pas sur le même registre. Illustration et commentaires ne sont pas sur le même plan ; ils sont cependant réunis et mis à égalité par un même point-virgule.

D’où une série de questions. La virgule aurait-elle été préférable ? Non. Qu’on l’essaie : on verra qu’elle enlève toute structure à la phrase. Le point, alors ? Qu’on l’essaie aussi : et on verra qu’il donne au récit un ton d’énumération laconique et brutale qui ne convient pas à un propos fait de distance et d’ironie légère.

Le point-virgule non seulement convient, mais il est indispensable. Il laisse à la phrase le temps de s’épanouir, il évite de rompre l’unité de la pensée par la multiplication des phrases courtes. Il respecte la phrase, mais il la construit, au lieu d’en juxtaposer les éléments comme le fait la virgule.

Le point-virgule est le signe de ponctuation par lequel on peut donner à la phrase une certaine ampleur, autrement que par la molle et paresseuse succession de virgules. Le point-virgule confère à la phrase une rigueur sans excès, il en module le ton, et fait ainsi entendre la voix de l’auteur.

Dans son Traité de la ponctuation française (Tel, 1991), Jacques Drillon écrit : « Le point-virgule atteste un plaisir de penser. »

C’est si vrai qu’on ne saurait se résigner facilement à sa disparition partout annoncée.

 

Danièle Sallenave
de l’Académie française

Friendly

Le 4 avril 2013

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Voici un autre cas mêlant un anglicisme et l’usage abusif de la construction appositive : les locutions bâties sur le modèle de gay friendly, expression employée pour caractériser les bars, cafés, etc. qui accueillent sans aucune discrimination les personnes homosexuelles ou qui en font leur clientèle privilégiée. On rencontre aujourd’hui, parmi beaucoup d’autres, les formes hétéro friendly, family friendly, child friendly, etc. Il existe de nombreux équivalents français pour remplacer ces tournures. On pourrait penser à l’adjectif sympathisant déjà utilisé par La Fontaine au sujet du chat dans la fable intitulée Le Cochet, le Chat et le Souriceau :

« Je le crois fort sympathisant

Avec Messieurs les Rats ; car il a les oreilles

En figure aux nôtres pareilles. »

Mais il existe aussi d’autres termes de sens équivalent comme accueillant, amical, respectueux, etc. Ne serait-il pas préférable de les utiliser ?

 

On dit

On ne dit pas

Qui accueille volontiers les enfants

Ouvert aux conjoints

Respectueux de l’environnement

Child friendly

Conjoint friendly

Éco-friendly

 

Estelle D. (Toulouse)

Le 12 mars 2013

Courrier des internautes

Bonjour, je souhaite obtenir une réponse de l’Académie quant à une formule de politesse imposée par mon employeur. De façon officielle, par courrier si cela vous est possible, pourriez-vous me confirmer ou m’infirmer que la phrase de politesse suivante est correcte : «Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées. »

Je vous remercie par avance de votre réponse, qui me permettra d’avoir une validation ou une modification reconnue.

Estelle D. (Toulouse)

L’Académie répond

L’Académie française n’exerce aucun magistère en matière de codes sociaux : elle ne saurait en aucun cas constituer une « autorité officielle » concernant les formules de politesse. Ces dernières relèvent des usages, des bonnes manières et certains ouvrages, qui se disent spécialistes en la matière, peuvent se contredire les uns les autres. On s’accorde néanmoins pour dire que le verbe agréer peut introduire les termes d’expression ou d’assurance : veuillez agréer l’expression de mes hommages, de mes respects, l’assurance de ma considération. En revanche la forme « expression de mes salutations distinguées » est considérée comme incorrecte : on ne peut transmettre que l’expression d’un sentiment, d’une attitude (respect, hommage, etc.). On peut seulement dire « (…) agréer mes salutations » (« l’expression de mes salutations » est une sorte de non-sens).

À Le Mans, de Le Havre

Le 7 mars 2013

Emplois fautifs

Les articles définis le et les se contractent avec les prépositions à et de. On obtient alors les formes au, aux, du et des : Aller au bois, aux champs, descendre du grenier, tomber des nues. Cette règle s’applique avec les noms communs comme avec les noms propres, qu’ils désignent un pays, une région (Vivre au Danemark, aux États-Unis, revenir du Portugal, des Antilles) ou, comme on l’oublie trop souvent, une ville.

 

On dit

On ne dit pas

Le train arrive au Mans

La mairie du Havre

Les plages des Sables-d’Olonne

Le train arrive à Le Mans

La mairie de Le Havre

Les plages de Les Sables-d’Olonne

 

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