Dire, ne pas dire

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Off record

Le 11 juillet 2014

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Avant d’avoir le sens d’exploit sportif constaté officiellement et dépassant tout ce qui a été précédemment réalisé dans une même discipline, l’anglais record signifie « procès-verbal, témoignage » ; ce nom est un déverbal de to record, « enregistrer », qui est lui-même emprunté du français recorder, « se souvenir ». La locution anglaise off record sert donc à préciser que ce qui est dit ne doit pas être rendu public. Le français a à sa disposition des formes pouvant exprimer cette idée comme « officieusement », « hors micro » ou « confidentiellement ». Utilisons-les.

On dit

On ne dit pas

Des propos tenus hors micro

Une information confidentielle

Des propos tenus off record

Une information off record

 

De par

Le 11 juillet 2014

Extensions de sens abusives

La locution prépositive de par a encore son sens premier « de la part de », « au nom de », dans des formules figées comme de par le roi, de par la loi, de par la Constitution, de par la justice. Mais, en dehors de ces cas et de la forme de par le monde, il est préférable de ne pas employer cette locution en lieu et place de formes comme par, du fait de, grâce à, étant donné, etc.

On dit

On ne dit pas

Il a réussi par son seul talent

Du fait de son expérience, il est le mieux placé pour réussir

Il a réussi de par son seul talent

De par son expérience, il est le mieux placé pour réussir

 

Frustre (mélange de fruste et de rustre)

Le 11 juillet 2014

Extensions de sens abusives

L’adjectif fruste a été emprunté de l’italien frusto, « usé ». Il s’emploie au sens propre en archéologie. On parle ainsi de « monnaie fruste » ou de « sculpture fruste » quand les reliefs de celles-ci s’estompent. En médecine fruste s’emploie pour parler d’une maladie dont les manifestations sont atténuées. La proximité de forme avec l’adjectif rustre, « grossier, brutal », fait que l’on a ajouté à fruste les sens de « rude, inculte, mal dégrossi ». Il serait bon de ne pas abuser de cette extension de sens, et on se gardera plus encore d’utiliser le barbarisme frustre, produit monstrueux de ces deux adjectifs.

On dit

On ne dit pas

Des manières un peu rustres

Un individu rustre, fruste

Des manières un peu frustres

Un individu frustre

 

Chêne, druide, rouvre

Le 11 juillet 2014

Expressions, Bonheurs & surprises

La plupart des noms français désignant des arbres sont issus du latin : peuplier de populus, frêne de fraxinus, aulne de alnus, pin de pinus, etc. Mais celui que l’on considère comme le roi des arbres, le chêne, tire son nom du gaulois cassanus. Si ce nom s’est maintenu et s’il n’a pas été supplanté par une forme tirée de l’un des deux noms latins de cet arbre, robur et quercus, c’est parce qu’il était l’arbre sacré des Gaulois, qu’il jouait un grand rôle dans leur religion, religion dont les prêtres étaient les druides, un nom qui signifie « qui connaît » (wid), « le chêne, l’arbre » (dru-). Cette même racine apparaît aussi dans drus, le nom grec du chêne, et, plus largement, de l’arbre. De ce nom, on a tiré celui des nymphes des arbres, les dryades, et également, de manière moins visible, celui de la plante appelée germandrée, lointain descendant du grec khamaidrus, proprement « chêne nain ». C’est de cette racine encore que sont tirés l’autre nom grec de l’arbre, dendron, que l’on retrouve dans tous les composés en dendro-, dans rhododendron et dans dendrite, et le nom doru, « lance », que l’on retrouve dans doryphore, qui était le nom de soldats porteurs de lance. Par analogie ce mot a ensuite désigné un coléoptère, parce que les bandes noires que l’on voyait sur les élytres de cet insecte évoquaient les lances tendues des doryphores en formation de combat, et en particulier, les porteurs de lance de la phalange macédonienne.

Cette même racine se rencontre, modifiée, dans d’autres langues : en germanique existe une forme triu, qui est à l’origine de l’anglais tree, « arbre », et en slave une forme dub-, que l’on trouve dans des toponymes et des patronymes comme Dubcek, ou Dubrovnik, proprement « la chênaie ».

Mais revenons-en à cette fascination pour les chênes. La Fontaine en donne la raison dans les deux derniers vers du Chêne et le Roseau :

« Celui de qui la tête au ciel était voisine / Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts. »

Les chênes étaient en effet perçus comme des intermédiaires entre les hommes et les dieux. Chez les Grecs, les chênes du sanctuaire de Dodone étaient particulièrement réputés et on prédisait l’avenir en interprétant le bruit du vent dans leurs feuilles, ou dans des chaudrons d’airain qu’on y avait suspendus. L’Odyssée nous présente Ulysse allant le consulter sur son retour. C’est aussi dans un chêne de Dodone que furent taillés le mât et la proue du navire Argos.

Autre caractéristique notable du chêne : sa dureté. C’est d’ailleurs d’un de ses noms latins robur, qui a donné « rouvre », que sont tirées les formes robuste, robustesse et roboratif. Et le latin médical a longtemps appelé les crampes et les spasmes robura passio, c’est-à-dire « le mal qui fait durcir les muscles ».

L’autre nom latin de cet arbre, quercus, a laissé peu de noms dans la langue courante. On le trouve dans quelques termes techniques comme quercine, querciné, quercite ou quercitron. Il est plus fréquent dans l’onomastique corse ou italienne, avec des toponymes comme Querciolo ou Quercia.

Voici maintenant, en guise de conclusion, la légende dite du chêne Guillotin, légende qui réunit l’araignée, dont nous venons de parler, et le chêne. Durant la Révolution vivait, en Bretagne, un prêtre réfractaire du nom de Guillotin, qui n’avait rien à voir, semble-t-il, avec son célèbre homonyme. Un jour que les révolutionnaires étaient à sa poursuite, il trouva refuge dans le creux d’un chêne. Quand ses poursuivants arrivèrent à cet arbre, l’un d’entre eux, qui savait qu’il était creux, signala que plusieurs personnes s’y pouvaient cacher. On s’approcha, mais on vit que l’ouverture était obstruée par une toile d’araignée intacte. On en conclut que personne n’avait pu s’y installer récemment et l’on partit. C’est ainsi, grâce à cette araignée véloce, que le prêtre fut sauvé. Ensuite la légende diverge : pour certains, le prêtre avait prié une sainte qui avait agi sous la forme d’une araignée ; pour d’autres, il s’agissait d’une véritable araignée à qui le prêtre aurait, de ce jour, quotidiennement apporté une mouche en témoignage de sa reconnaissance.

Légende universelle, semble-t-il ; en effet, l’islam raconte la même histoire, mais cette fois, le fugitif était Mahomet, et c’est ici l’entrée d’une grotte qu’aurait obstruée de sa toile une araignée.

 

Melchiade B. (Burundi)

Le 11 juillet 2014

Courrier des internautes

Que peut-on dire entre : « témoigner de sa reconnaissance » et « témoigner sa reconnaissance » ? pourquoi ?

Melchiade B. (Burundi, 25 mai)

L’Académie répond

Ces deux formes peuvent s’employer.

Témoigner sa reconnaissance signifie « exprimer, manifester, faire connaître sa reconnaissance » (le sujet est un être animé).

Témoigner de sa reconnaissance signifie « se porter garant de sa reconnaissance » (le sujet est un être animé), « être la preuve manifeste de sa reconnaissance » (le sujet est une chose).

Tristan B. (L’Île-Bouchard)

Le 11 juillet 2014

Courrier des internautes

Une étrange question est venue embrouiller mon esprit. Certaines personnes m’ont affirmé que le verbe « commencer » ne pouvait être employé en début de phrase lorsqu’il était conjugué à l’imparfait. Cependant, la phrase : « Nous commencions tout juste à marcher lorsque l’orage a éclaté » me semble correcte.

Pouvez-vous éclairer ma lanterne je vous prie.

Tristan B. (L’Île-Bouchard, 23 mai)

L’Académie répond

Quelle étrange interdiction !

On lit, dans le Dictionnaire de l’Académie française, les exemples suivants, avec commencer, à l’imparfait, en début de phrase : Le spectacle commençait par des acrobaties. L’aurore commençait à poindre, etc.

On trouve de nombreuses fois cette construction chez les meilleurs écrivains.

Bloc-notes de juin 2014

Le 19 juin 2014

Bloc-notes

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Écrire dans une langue, cela ne signifie pas seulement ni d’abord mobiliser un lexique déjà disponible, où les mots viendraient remplir de signifiants déjà disponibles des signifiés supposés déjà clairement et distinctement conçus par le locuteur écrivant. Car la langue impose parfois ses signifiants, qui signifient un autre signifié que celui qui était prévu ou recherché. La langue parle aussi d’elle-même et fait parler à côté, parfois aussi au-delà de l’intention signifiante d’origine. Cela se met à parler sans qu’on contrôle totalement, voire sans qu’on contrôle du tout la signification qui, alors, peut s’imposer et surgir d’elle-même. L’écrivain le constate parfois, le poète l’espère toujours. Mais le philosophe (ou le simple essayiste) en bénéficie aussi chaque fois qu’il renonce à forcer le lexique en lui imposant des néologismes ou des termes tirés (comme on tire un coup de feu) d’un lexique étranger. La philosophie, surtout en période de faiblesse (et c’est d’abord à ce symptôme qu’on les reconnaît), n’abuse que trop de ces artifices. Mais une langue, en l’occurrence le français, dispose de ressources inexploitées, pourvu qu’on sache la laisser parler et, pour y parvenir, qu’on l’écoute dire.

Notons ce que cela donne. Justement : ce que cela donne. Que dit, que veut nous dire cette formule ? Quand le peintre la prononce, il vient de reculer de quelques pas pour voir ce qu’il a peint ; ou plutôt non : pour laisser ce qu’il a peint intentionnellement, et donc qu’il avait déjà bien vu, se montrer de lui-même. C’est-à-dire se montrer autrement que ce que lui, le peintre avait pré-vu. Il donne une chance au visible vu d’apparaître autrement qu’il n’avait été vu. Le visible reprend l’initiative de son apparition et se montre autrement que prévu, pour la première fois en lui-même. Il donne plus qu’il n’avait reçu, et autre chose. Advenant ainsi – montrant ce que cela donne quand on laisse le visible se montrer à partir de lui-même –, il opère exactement ce que l’allemand dit lorsqu’il dit es gibt, formule que le français il y a et l’anglais there is spatialisent et donc objectivent sous la prise de notre regard, alors que l’allemand inverse l’initiative de l’apparition, qui passe de l’œil à la chose. Le visible se donne donc à son initiative. Il s’agit d’une donnée, le départ du problème en mathématique, d’un donné, qui nous départ le réel, d’une donne qui ouvre le jeu (la partie de cartes, le capital investi dans une entreprise). D’ailleurs on donne le départ, parce qu’au commencement se trouve toujours un don. Et un don véritable ne donne jamais donnant-donnant : car il s’agirait alors d’un échange, d’un commerce (équitable ou le plus souvent non équitable), qui en fait et en droit présuppose toujours un premier don, sans cause, sans raison, sans présupposé, sans condition. Le don vient du néant et l’abolit, parce que, commençant de rien et sans rien, le don procède par définition d’un excès – d’une redondance (quoique le terme provienne sans doute d’un re-tour d’onde, de vague et de source). Quoi qu’il en soit, le don naît d’excès et c’est pourquoi il se donne sans cesse, ne cesse de se redonner, ce qui, en bonne logique, implique qu’il pardonne soixante-dix-sept fois sept fois, autant dire sans fin. Le don ne donne pas seulement ce qu’il donne, mais, se redonnant sans fin en pardonnant, il se donne sans retour, et, par définition, il s’abandonne : il ne récupère jamais sa mise. Faut-il en conclure qu’il se perd et qu’éperdu, il ne s’y retrouve jamais ? Tout au contraire : comme le don se donne par définition sans préalable et sans condition de réciprocité, plus il s’abandonne et abandonne, plus il se donne et, ainsi, se manifeste et s’accomplit. Il joue à qui perd gagne et ainsi, toujours, gagne. Le don devient habitué à donner, ne peut se retenir de donner, ni s’en passer – le don donne et redonne sans trêve, au point de ne pouvoir s’en passer. Le don s’adonne. Et, nous ne pouvons le recevoir, qu’en devenant, nous aussi, adonnés à lui.

Ainsi parle la langue, quand on l’écoute.

 

Jean-Luc Marion
de l’Académie française

La peur va grandissante

Le 10 juin 2014

Emplois fautifs

On utilise le verbe aller suivi d’un gérondif pour montrer une action dans son déroulement. Ce gérondif peut être précédé de la préposition en, mais l’omission de celle-ci est très fréquente. Certains bons auteurs, comme Alexandre Dumas père ou Eugène Sue, ont parfois accordé ce gérondif avec le sujet du verbe aller. C’est une erreur qu’il convient de ne pas suivre. On dit Au sortir du torrent, la rivière va s’élargissant, et non s’élargissante. Rappelons cependant que si un adjectif en -ant se rapporte au sujet du verbe aller, il s’accorde naturellement avec celui-ci. On écrira ainsi : Elles allaient riantes et joyeuses à la fête du village.

On dit

On ne dit pas

Sa santé va s’améliorant

Une rivière sortant de son lit

Sa santé va s’améliorante

Une rivière sortante de son lit

 

Donner son go

Le 10 juin 2014

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

On commence à entendre, ici ou là, un étrange mélange d’anglais et de français, donner son go, une expression qui n’est correcte dans aucune de ces deux langues. Le français dispose de nombreuses expressions signalant que l’on donne l’autorisation de faire telle ou telle chose : donner son accord, son feu vert ou, plaisamment donner son imprimatur.

On dit

On ne dit pas

Donner son feu vert pour le lancement du projet

Donner son go pour le lancement du projet

 

Confidentiel

Le 10 juin 2014

Extensions de sens abusives

L’adjectif confidentiel signifie « qui se fait en secret » et « qui ne doit être communiqué qu’à des personnes qualifiées ». On parle ainsi d’entretien confidentiel, de dossier confidentiel. Par extension, cet adjectif peut aussi s’appliquer à une revue qui a peu de lecteurs. On parlera ainsi de revue confidentielle, tirage confidentiel, mais on évitera d’étendre ce sens à des établissements qui n’ont pas une clientèle importante.

On dit

on ne dit pas

Un restaurant peu fréquenté

Un café connu des seuls initiés

Un restaurant confidentiel

Un café confidentiel

 

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