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Tout de go

Le 9 septembre 2014

Expressions, Bonheurs & surprises

Contrairement à ce que l’on croit parfois, la locution adverbiale tout de go, « directement, sans préparation, sans précaution », n’est pas liée au verbe anglais to go, « aller ». Tout de go est la forme simplifiée de l’expression ancienne avaler tout de gob.

Cette forme ancienne gob est issue du gaulois *gobbo, « bec, bouche ». C’est d’elle encore qu’est dérivé l’ancien français gobet, « bouchée, gorgée », puis « pièce, morceau ». De ce dernier sens, on est passé à celui de « motte de terre ». Ainsi le français écobuage, qui désigne une méthode de fertilisation des sols, n’a-t-il rien à voir avec le préfixe éco- mais bien avec cette racine gob-, puisqu’il vient du poitevin gobuis, qui désignait la terre où l’on se prépare à mettre le feu.

De gob- dérive aussi bien sûr le verbe gober, qui a, au sens propre, le plus souvent comme complément les noms œuf (Gober une couple d’œufs, lisait-on dans la première édition du Dictionnaire de l’Académie française), et huître. La rapidité avec laquelle on gobe, on avale ces deux aliments, sans même prendre le temps de les mâcher, a fait de gober un verbe emblématique de la voracité. Il suffit pour s’en convaincre de lire La Fontaine : si, dans L’Huître et les Plaideurs, c’est bien une huître qui est gobée (« Celui qui le premier a pu l’apercevoir / En sera le gobeur »), il est nombre de fables où les proies sont de tout autre nature. On lit dans Le Chat et un vieux rat :

« Le pendu ressuscite, et sur ses pieds tombant, / Attrape les plus paresseuses. / Nous en savons plus d’un, dit-il en les gobant : / C’est tour de vieille guerre… »

Dans Les Grenouilles qui demandent un roi :

« Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue, / Qui les croque, qui les tue, / Qui les gobe à son plaisir… »

Dans Le Berger et son troupeau :

«  Quoi ? toujours il me manquera / Quelqu’un de ce peuple imbécile ! / Toujours le Loup m’en gobera ! »

L’image de l’animal ouvrant une large gueule pour engloutir ses victimes a donné naissance à une autre, plus douce, du rêveur bouche-bée qui, lui, ne gobe que la lune, les mouches ou le vent.

En revanche, c’est bien l’idée de voracité, de rapidité, parfois imprudente, que l’on retrouve dans des expressions comme gober le morceau, gober l’appât, au sens de « mordre à l’hameçon ». De la même manière que le mangeur ne prend ni le temps de goûter ni celui de mâcher, le naïf ne prend pas le temps de réfléchir. Arnolphe s’écrie ainsi dans L’École des femmes :

« Je ne suis pas homme à gober le morceau / Et laisser le champ libre aux yeux d’un damoiseau. »

On peut supposer que ce sont ces expressions qui sont à l’origine du sens qu’a également le verbe gober de « croire naïvement tout ce que l’on dit », et c’est à partir de cet emploi et par redoublement expressif de la première syllabe du verbe que la langue populaire a créé le nom gogo pour désigner un naïf, une dupe victime de sa crédulité.

 

Le train des sénateurs

Le 11 juillet 2014

Bloc-notes

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Le train des sénateurs

Parlant d’un ministre qui ne semblait pas pressé de mettre en place une réforme, un journaliste déclarait récemment à la télévision : « Il semble avoir pris le train des sénateurs. »

Non le Sénat romain ne prenait ni TGV ni tortillard : le « train » des sénateurs, c’est leur pas, l’allure de leur marche.

Toutes les langues abondent en locutions de ce type, souvent d’origine obscure, et qui sont le cauchemar des traducteurs ; l’enseignement du français langue étrangère, le « FLE », y consacre beaucoup de temps.

Malheureusement, elles sont en passe de devenir aussi un cauchemar quotidien pour les lecteurs de journaux ou les auditeurs des médias, qui souvent doivent opérer de douloureuses gymnastiques mentales pour comprendre ce qu’ils viennent de lire ou d’entendre. Ainsi, autre exemple très récent, pourquoi durant la Coupe du monde de football 2014, l’équipe de France était-elle jusqu’à sa défaite, selon du moins un commentateur, le « mouton noir » de l’équipe du Brésil ? Mais non ! sa langue avait fourché, il voulait dire « sa bête noire » ! Etc.

Que se passe-t-il ? Ce désordre dans l’emploi des expressions figurées inquiète. Il est le signe (parmi d’autres) que quelque chose se dérègle dans la transmission de la langue.

Il faut convenir qu’elles constituent un maquis aussi riche qu’opaque. Pour en rester au seul mot de train, il est à parier qu’il donne à l’avenir (« du train où nous allons ! ») du fil à retordre (autre expression figurée) à ceux qui se risqueront à utiliser les expressions où ce mot entre en composition. À l’horizon, d’autres fâcheux mécomptes – sur le sens par exemple du début fameux de l’Arlésienne de Bizet :

« De bon matin
J’ai rencontré le train
De trois grands rois qui partaient en voyage […] »

Venu du latin trahere (tirer), le « train », c’est d’abord l’allure, la façon d’aller. D’où « le train de sénateurs » immortalisé par La Fontaine dans Le lièvre et la Tortue, qui débute par la formule devenue un adage fameux : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. » Fort de sa supériorité évidente en matière de vélocité, le lièvre accepte le défi qu’elle lui lance, et prend tout son temps :

            « Il laisse la tortue
            Aller son train de sénateur.
            Elle part, elle s’évertue,
            Elle se hâte avec lenteur. »

S’apercevant à un moment qu’elle est sur le point d’arriver, il s’élance, fait de grands bonds, mais trop tard...

Institution religieuse autant que politique, le Sénat est dans la Rome antique pourvu d’une autorité et d’un prestige qui expliquent le rythme lent et solennel du pas des sénateurs. Mais on peut aussi « aller bon train », « à fond de train », et le mot train va s’enrichir, au figuré, de toute une série de sens plus généraux, désignant le mode de vie – mener grand train – et parfois même la mauvaise vie, comme le signale l’Académie en 1694, ajoutant « mais il est bas » : « Train, se dit aussi des gens de mauvaise vie. Il a du train, de mauvais train logé chez luy. »

Ce sens est conservé dans « mettre en train », ou être un vrai « boute-en-train ». Phénomène grammatical intéressant, avec l’accompagnement de la préposition « en », le mot train donne naissance à une variante française de ce que l’anglais appelle « présent progressif » : « être en train de ... » désigne une action qui se déroule et n’est pas encore terminée. Au passage, cette association donnera naissance à un substantif, l’« entrain », qui désigne l’enjouement, une forme communicative de joie de vivre. Mais il est vrai qu’on dit déjà : « je ne suis pas en train », quand on se sent manquer de courage ou d’énergie.

Le « train » finit donc par signifier aussi la noblesse, l’allure (au sens figuré cette fois), la belle apparence, la richesse : d’où l’expression « mener grand train ». Qu’il ne faut cependant pas confondre avec « aller grand train », qui désigne la marche rapide d’un cheval ou d’une voiture.

Très tôt, l’Académie (1694) ajoute au sens d’allure ou de mouvement, voire de commerce (d’où l’expression ancienne, aujourd’hui équivoque, de « train de marchandises »), le sens concret d’un ensemble ordonné pour la marche, comme, par exemple, « une suite de valets, de chevaux, de mulets, & particulièrement des gens de livrée. Grand train. Train leste, train magnifique, superbe. Il marche à grand train, il a vingt valets de livrée dans son train. Son train est habillé tout de neu »f.

Oscillant entre le figuré et le concret, passant de l’un à l’autre, «train » va désigner aussi tout ce qui glisse ou marche d’un même pas. Se dit ainsi d’« un grand amas de bois lié ensemble qui flotte sur l’eau. Train de mairein. Train de bois flotté » (Académie). D’où sa spécialisation militaire : « le train », pour « le train des équipages ». Avant que l’invention de la locomotive ouvre au mot la carrière que l’on sait.... Mais les expressions figurées construites à partir de sens plus anciens n’en continuent pas moins à circuler : ainsi du « train des réformes » dont quelquefois la lenteur impatiente. Et parfois un journaliste bien inspiré (une fois n’est pas coutume) peut jouer avec humour de leur coexistence : d’où ce gros titre « les cheminots hésitent à monter dans le train des réformes ».

On pourrait se livrer à un exercice comparable à propos de mainte autre expression dite « figée », dont l’emploi naturel, spontané et correct est la preuve indéniable d’une bonne maîtrise de la langue. Ces locutions n’en demeurent pas moins une source de difficultés parce qu’elles ne peuvent pas être comprises, donc déduites, littéralement, à partir des mots qui les composent. Elles reposent souvent sur des métaphores dont il faut avoir une connaissance globale, par exemple : Avoir du pain sur la planche. Renvoyer aux calendes grecques. À la bonne franquette. Crier haro sur le baudet. Se mettre martel en tête...

On ne peut se passer d’elles ; elles surgissent à tout moment dans une rhétorique de l’expressivité ; ce sont elles qui donnent du caractère et du charme au discours. Or aujourd’hui les expressions figurées subissent une crise tout à fait nouvelle. Non qu’elles tendent à disparaître : au contraire. Mais dans la majorité des cas elles sont utilisées à contresens ou de manière impropre. Et comme elles sont la vie même de la langue, cette menace affecte la langue au même titre, et peut-être plus gravement encore, que les fautes d’orthographe, de grammaire et de syntaxe.

Il y a bien des raisons à cela. Les expressions dites « figées », tournures expressives, imagées, ont une origine souvent populaire. L’ancienneté, la fréquence de leur usage, leur avaient conféré un tour proverbial, typique de l’ancienne langue ; elles témoignent souvent, par leur construction et par leur vocabulaire, d’un état de civilisation disparu. Leur transmission était de tradition plus que d’enseignement. Or les grandes mutations sociales du dernier siècle et la généralisation de l’enseignement scolaire ont entraîné une forte baisse de la valeur et de la légitimité de ces formes de transmission par le village, la boutique, la famille.

Mais tout n’était pas perdu : reprises par la langue écrite, littéraire, par les grands auteurs, ces expressions se voyaient codifiées et pourvues d’une nouvelle légitimité que l’école contribuait ensuite à relayer. Or l’école, ces trente ou quarante dernières années, a renoncé à faire de la langue des grands textes, de la langue des bons auteurs l’index de référence d’une pratique aisée et correcte de l’expression. Pendant longtemps, transmises plutôt correctement, à l’oral ou par écrit, sans qu’elles soient forcément comprises, ou sans que leur origine soit clairement repérée, les locutions « figées » relevaient d’une sédimententation dans l’histoire même de la langue, confirmée par un aller-retour et un échange constants entre la langue parlée et la grande langue. De cet échange, l’école était le garant : elle ne l’est plus.

Mais il y a autre chose. Les expressions figurées sont peut-être victimes de certains tours que la presse a imposés à la langue : en particulier de l’habitude de jouer avec les mots, les expressions figurées, les proverbes. Cet esprit de dérision généralisé, qui s’applique aux mots et aux choses, est venu d’une certaine presse d’après 68, et s’est étendu maintenant à peu près à tous les médias. Le jeu sur les mots est souvent l’aveu d’une impuissance à peser sur les choses, ou même à les penser. On imagine s’en libérer en se libérant des contraintes et de la rigueur que le langage nous impose : victoire purement symbolique, on n’est pas dupe, et de plus on fait rire !

D’où ce caractère forcé, rituel, artificiel du ton parodique qu’emploient la plupart des journaux et journalistes, dans la rédaction d’un article, ou la formulation d’un titre. On se lasse vite de cette culture du calembour, de l’à-peu-près et du jeu de mots : mais ce jeu n’est pas innocent, il fait des ravages dans la conscience des locuteurs les plus fragiles et les moins formés.

Fragilisées par ce maniement brutal, dé-figurées par leur réécriture parodique, les expressions figurées risquent de disparaître dans une novlangue qui n’a ni la vigueur de la langue orale, ni la rigueur de la langue écrite.

Danièle Sallenave
de l’Académie française

Off record

Le 11 juillet 2014

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Avant d’avoir le sens d’exploit sportif constaté officiellement et dépassant tout ce qui a été précédemment réalisé dans une même discipline, l’anglais record signifie « procès-verbal, témoignage » ; ce nom est un déverbal de to record, « enregistrer », qui est lui-même emprunté du français recorder, « se souvenir ». La locution anglaise off record sert donc à préciser que ce qui est dit ne doit pas être rendu public. Le français a à sa disposition des formes pouvant exprimer cette idée comme « officieusement », « hors micro » ou « confidentiellement ». Utilisons-les.

On dit

On ne dit pas

Des propos tenus hors micro

Une information confidentielle

Des propos tenus off record

Une information off record

 

De par

Le 11 juillet 2014

Extensions de sens abusives

La locution prépositive de par a encore son sens premier « de la part de », « au nom de », dans des formules figées comme de par le roi, de par la loi, de par la Constitution, de par la justice. Mais, en dehors de ces cas et de la forme de par le monde, il est préférable de ne pas employer cette locution en lieu et place de formes comme par, du fait de, grâce à, étant donné, etc.

On dit

On ne dit pas

Il a réussi par son seul talent

Du fait de son expérience, il est le mieux placé pour réussir

Il a réussi de par son seul talent

De par son expérience, il est le mieux placé pour réussir

 

Frustre (mélange de fruste et de rustre)

Le 11 juillet 2014

Extensions de sens abusives

L’adjectif fruste a été emprunté de l’italien frusto, « usé ». Il s’emploie au sens propre en archéologie. On parle ainsi de « monnaie fruste » ou de « sculpture fruste » quand les reliefs de celles-ci s’estompent. En médecine fruste s’emploie pour parler d’une maladie dont les manifestations sont atténuées. La proximité de forme avec l’adjectif rustre, « grossier, brutal », fait que l’on a ajouté à fruste les sens de « rude, inculte, mal dégrossi ». Il serait bon de ne pas abuser de cette extension de sens, et on se gardera plus encore d’utiliser le barbarisme frustre, produit monstrueux de ces deux adjectifs.

On dit

On ne dit pas

Des manières un peu rustres

Un individu rustre, fruste

Des manières un peu frustres

Un individu frustre

 

Chêne, druide, rouvre

Le 11 juillet 2014

Expressions, Bonheurs & surprises

La plupart des noms français désignant des arbres sont issus du latin : peuplier de populus, frêne de fraxinus, aulne de alnus, pin de pinus, etc. Mais celui que l’on considère comme le roi des arbres, le chêne, tire son nom du gaulois cassanus. Si ce nom s’est maintenu et s’il n’a pas été supplanté par une forme tirée de l’un des deux noms latins de cet arbre, robur et quercus, c’est parce qu’il était l’arbre sacré des Gaulois, qu’il jouait un grand rôle dans leur religion, religion dont les prêtres étaient les druides, un nom qui signifie « qui connaît » (wid), « le chêne, l’arbre » (dru-). Cette même racine apparaît aussi dans drus, le nom grec du chêne, et, plus largement, de l’arbre. De ce nom, on a tiré celui des nymphes des arbres, les dryades, et également, de manière moins visible, celui de la plante appelée germandrée, lointain descendant du grec khamaidrus, proprement « chêne nain ». C’est de cette racine encore que sont tirés l’autre nom grec de l’arbre, dendron, que l’on retrouve dans tous les composés en dendro-, dans rhododendron et dans dendrite, et le nom doru, « lance », que l’on retrouve dans doryphore, qui était le nom de soldats porteurs de lance. Par analogie ce mot a ensuite désigné un coléoptère, parce que les bandes noires que l’on voyait sur les élytres de cet insecte évoquaient les lances tendues des doryphores en formation de combat, et en particulier, les porteurs de lance de la phalange macédonienne.

Cette même racine se rencontre, modifiée, dans d’autres langues : en germanique existe une forme triu, qui est à l’origine de l’anglais tree, « arbre », et en slave une forme dub-, que l’on trouve dans des toponymes et des patronymes comme Dubcek, ou Dubrovnik, proprement « la chênaie ».

Mais revenons-en à cette fascination pour les chênes. La Fontaine en donne la raison dans les deux derniers vers du Chêne et le Roseau :

« Celui de qui la tête au ciel était voisine / Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts. »

Les chênes étaient en effet perçus comme des intermédiaires entre les hommes et les dieux. Chez les Grecs, les chênes du sanctuaire de Dodone étaient particulièrement réputés et on prédisait l’avenir en interprétant le bruit du vent dans leurs feuilles, ou dans des chaudrons d’airain qu’on y avait suspendus. L’Odyssée nous présente Ulysse allant le consulter sur son retour. C’est aussi dans un chêne de Dodone que furent taillés le mât et la proue du navire Argos.

Autre caractéristique notable du chêne : sa dureté. C’est d’ailleurs d’un de ses noms latins robur, qui a donné « rouvre », que sont tirées les formes robuste, robustesse et roboratif. Et le latin médical a longtemps appelé les crampes et les spasmes robura passio, c’est-à-dire « le mal qui fait durcir les muscles ».

L’autre nom latin de cet arbre, quercus, a laissé peu de noms dans la langue courante. On le trouve dans quelques termes techniques comme quercine, querciné, quercite ou quercitron. Il est plus fréquent dans l’onomastique corse ou italienne, avec des toponymes comme Querciolo ou Quercia.

Voici maintenant, en guise de conclusion, la légende dite du chêne Guillotin, légende qui réunit l’araignée, dont nous venons de parler, et le chêne. Durant la Révolution vivait, en Bretagne, un prêtre réfractaire du nom de Guillotin, qui n’avait rien à voir, semble-t-il, avec son célèbre homonyme. Un jour que les révolutionnaires étaient à sa poursuite, il trouva refuge dans le creux d’un chêne. Quand ses poursuivants arrivèrent à cet arbre, l’un d’entre eux, qui savait qu’il était creux, signala que plusieurs personnes s’y pouvaient cacher. On s’approcha, mais on vit que l’ouverture était obstruée par une toile d’araignée intacte. On en conclut que personne n’avait pu s’y installer récemment et l’on partit. C’est ainsi, grâce à cette araignée véloce, que le prêtre fut sauvé. Ensuite la légende diverge : pour certains, le prêtre avait prié une sainte qui avait agi sous la forme d’une araignée ; pour d’autres, il s’agissait d’une véritable araignée à qui le prêtre aurait, de ce jour, quotidiennement apporté une mouche en témoignage de sa reconnaissance.

Légende universelle, semble-t-il ; en effet, l’islam raconte la même histoire, mais cette fois, le fugitif était Mahomet, et c’est ici l’entrée d’une grotte qu’aurait obstruée de sa toile une araignée.

 

Melchiade B. (Burundi)

Le 11 juillet 2014

Courrier des internautes

Que peut-on dire entre : « témoigner de sa reconnaissance » et « témoigner sa reconnaissance » ? pourquoi ?

Melchiade B. (Burundi, 25 mai)

L’Académie répond

Ces deux formes peuvent s’employer.

Témoigner sa reconnaissance signifie « exprimer, manifester, faire connaître sa reconnaissance » (le sujet est un être animé).

Témoigner de sa reconnaissance signifie « se porter garant de sa reconnaissance » (le sujet est un être animé), « être la preuve manifeste de sa reconnaissance » (le sujet est une chose).

Tristan B. (L’Île-Bouchard)

Le 11 juillet 2014

Courrier des internautes

Une étrange question est venue embrouiller mon esprit. Certaines personnes m’ont affirmé que le verbe « commencer » ne pouvait être employé en début de phrase lorsqu’il était conjugué à l’imparfait. Cependant, la phrase : « Nous commencions tout juste à marcher lorsque l’orage a éclaté » me semble correcte.

Pouvez-vous éclairer ma lanterne je vous prie.

Tristan B. (L’Île-Bouchard, 23 mai)

L’Académie répond

Quelle étrange interdiction !

On lit, dans le Dictionnaire de l’Académie française, les exemples suivants, avec commencer, à l’imparfait, en début de phrase : Le spectacle commençait par des acrobaties. L’aurore commençait à poindre, etc.

On trouve de nombreuses fois cette construction chez les meilleurs écrivains.

Bloc-notes de juin 2014

Le 19 juin 2014

Bloc-notes

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Écrire dans une langue, cela ne signifie pas seulement ni d’abord mobiliser un lexique déjà disponible, où les mots viendraient remplir de signifiants déjà disponibles des signifiés supposés déjà clairement et distinctement conçus par le locuteur écrivant. Car la langue impose parfois ses signifiants, qui signifient un autre signifié que celui qui était prévu ou recherché. La langue parle aussi d’elle-même et fait parler à côté, parfois aussi au-delà de l’intention signifiante d’origine. Cela se met à parler sans qu’on contrôle totalement, voire sans qu’on contrôle du tout la signification qui, alors, peut s’imposer et surgir d’elle-même. L’écrivain le constate parfois, le poète l’espère toujours. Mais le philosophe (ou le simple essayiste) en bénéficie aussi chaque fois qu’il renonce à forcer le lexique en lui imposant des néologismes ou des termes tirés (comme on tire un coup de feu) d’un lexique étranger. La philosophie, surtout en période de faiblesse (et c’est d’abord à ce symptôme qu’on les reconnaît), n’abuse que trop de ces artifices. Mais une langue, en l’occurrence le français, dispose de ressources inexploitées, pourvu qu’on sache la laisser parler et, pour y parvenir, qu’on l’écoute dire.

Notons ce que cela donne. Justement : ce que cela donne. Que dit, que veut nous dire cette formule ? Quand le peintre la prononce, il vient de reculer de quelques pas pour voir ce qu’il a peint ; ou plutôt non : pour laisser ce qu’il a peint intentionnellement, et donc qu’il avait déjà bien vu, se montrer de lui-même. C’est-à-dire se montrer autrement que ce que lui, le peintre avait pré-vu. Il donne une chance au visible vu d’apparaître autrement qu’il n’avait été vu. Le visible reprend l’initiative de son apparition et se montre autrement que prévu, pour la première fois en lui-même. Il donne plus qu’il n’avait reçu, et autre chose. Advenant ainsi – montrant ce que cela donne quand on laisse le visible se montrer à partir de lui-même –, il opère exactement ce que l’allemand dit lorsqu’il dit es gibt, formule que le français il y a et l’anglais there is spatialisent et donc objectivent sous la prise de notre regard, alors que l’allemand inverse l’initiative de l’apparition, qui passe de l’œil à la chose. Le visible se donne donc à son initiative. Il s’agit d’une donnée, le départ du problème en mathématique, d’un donné, qui nous départ le réel, d’une donne qui ouvre le jeu (la partie de cartes, le capital investi dans une entreprise). D’ailleurs on donne le départ, parce qu’au commencement se trouve toujours un don. Et un don véritable ne donne jamais donnant-donnant : car il s’agirait alors d’un échange, d’un commerce (équitable ou le plus souvent non équitable), qui en fait et en droit présuppose toujours un premier don, sans cause, sans raison, sans présupposé, sans condition. Le don vient du néant et l’abolit, parce que, commençant de rien et sans rien, le don procède par définition d’un excès – d’une redondance (quoique le terme provienne sans doute d’un re-tour d’onde, de vague et de source). Quoi qu’il en soit, le don naît d’excès et c’est pourquoi il se donne sans cesse, ne cesse de se redonner, ce qui, en bonne logique, implique qu’il pardonne soixante-dix-sept fois sept fois, autant dire sans fin. Le don ne donne pas seulement ce qu’il donne, mais, se redonnant sans fin en pardonnant, il se donne sans retour, et, par définition, il s’abandonne : il ne récupère jamais sa mise. Faut-il en conclure qu’il se perd et qu’éperdu, il ne s’y retrouve jamais ? Tout au contraire : comme le don se donne par définition sans préalable et sans condition de réciprocité, plus il s’abandonne et abandonne, plus il se donne et, ainsi, se manifeste et s’accomplit. Il joue à qui perd gagne et ainsi, toujours, gagne. Le don devient habitué à donner, ne peut se retenir de donner, ni s’en passer – le don donne et redonne sans trêve, au point de ne pouvoir s’en passer. Le don s’adonne. Et, nous ne pouvons le recevoir, qu’en devenant, nous aussi, adonnés à lui.

Ainsi parle la langue, quand on l’écoute.

 

Jean-Luc Marion
de l’Académie française

La peur va grandissante

Le 10 juin 2014

Emplois fautifs

On utilise le verbe aller suivi d’un gérondif pour montrer une action dans son déroulement. Ce gérondif peut être précédé de la préposition en, mais l’omission de celle-ci est très fréquente. Certains bons auteurs, comme Alexandre Dumas père ou Eugène Sue, ont parfois accordé ce gérondif avec le sujet du verbe aller. C’est une erreur qu’il convient de ne pas suivre. On dit Au sortir du torrent, la rivière va s’élargissant, et non s’élargissante. Rappelons cependant que si un adjectif en -ant se rapporte au sujet du verbe aller, il s’accorde naturellement avec celui-ci. On écrira ainsi : Elles allaient riantes et joyeuses à la fête du village.

On dit

On ne dit pas

Sa santé va s’améliorant

Une rivière sortant de son lit

Sa santé va s’améliorante

Une rivière sortante de son lit

 

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