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L’imparfait du subjonctif

Le 4 juin 2015

Expressions, Bonheurs & surprises

1901 et 1976 furent des années terribles pour l’imparfait du subjonctif. Le 26 février de la première paraissait un premier Arrêté relatif à la simplification de l'enseignement de la syntaxe française. On y lisait : « On tolérera le présent du subjonctif au lieu de l’imparfait dans les propositions subordonnées dépendant des propositions dont le verbe est au conditionnel présent : Il faudrait qu’il vienne ou qu’il vînt. » Le 28 décembre de la seconde paraissait, au Bulletin officiel de l’Éducation nationale, un nouvel arrêté. Il complétait le premier en ajoutant « […] dans les propositions subordonnées dépendant d’une proposition dont le verbe est à un temps du passé : j’avais souhaité qu’il vînt ou qu’il vienne sans tarder ». Il n’était désormais plus nécessaire que nous sussions conjuguer ce temps, que nous l’employassions à bon escient, que nous prissions en compte le temps du verbe de la principale et que nous écrivissions conformément à la concordance des temps. Il suffisait maintenant que l’on sache, que l’on emploie, que l’on prenne et que l’on écrive.

C’était porter un coup bien rude à ce temps, déjà trop souvent moqué pour son élégance un peu désuète et qui semblait un peu gêné de cette protubérance en -sse, -sses, -ssions, -ssiez ou -ssent, protubérance encombrante et un peu similaire au nez formidable de Cyrano. Rostand d’ailleurs ne s’y était pas trompé, qui fait dire à son personnage Il faudrait sur le champ que je me l’amputasse ! Un simple Que je me l’ampute aurait rendu cet appendice moins digne de la fameuse tirade. L’imparfait du subjonctif, c’est le vilain petit canard du conte : moqué parce que dissemblable, il lui faut pour s’épanouir la majestueuse compagnie des cygnes. Cet imparfait, un nom étrange qui paraît désigner quelque être disgracié, n’est, au fond, pas plus un imparfait que le cygne n’est un canard. Retrouver qui l’a engendré, c’est retourner aux sources de son élégance : cet allongement en -sse, -sses, etc. lui vient de son vrai père, le plus-que-parfait du subjonctif latin du type amavissem.

L’imparfait du subjonctif a en effet ce talent rare de donner de l’élégance à tout verbe, quelque trivial que soit ce dernier. Prenons-en un qui soit peu ragoûtant, comme cracher. Il semble bien difficile de lui donner bonne mine. Confions-le au Charles Trénet du Grand Café qui le mettra au subjonctif imparfait, et l’expectoration deviendra presque poétique :

« Par terre on avait mis de la sciure de bois

Pour que les cracheurs crachassent comme il se doit. »

Et ce n’est pas la seule vertu de ce temps. Il a aussi un caractère euphémistique qui lui permet de faire passer pour d’innocentes gamineries les scènes les plus violentes, les actes les plus barbares pour des espiègleries d’enfants de chœur. C’est ce que fait Rabelais quand il raconte la victoire de frère Jean des Entommeures sur les pillards qui détruisaient les vignes de l’abbaye :

« Les petits moinetons coururent au lieu où était frère Jean & lui demandèrent en quoi ils voulaient qu’ils lui aidassent. A quoy répondit qu’ils égorgetassent ceux qui étaient portez par terre. »

Rappelons, pour conclure, cette anecdote, preuve d’attachement à l’imparfait du subjonctif. Au retour d’une séance de l’Académie, Nicolas Beauzée trouva sa femme en galante compagnie. Le séducteur, qui disait à l’épouse infidèle « Quand je vous avertissais, madame, qu’il fallait que je m’en aille », fut repris par l’académicien, auteur d’une Grammaire générale et raisonnée, qui le corrigea ainsi : « Eh, monsieur, dites au moins : Que je m’en allasse ! »

 

Uta H. (Deutschland)

Le 4 juin 2015

Courrier des internautes

Sehr geehrte Damen und Herren,

Könnten Sie mir bitte sagen, wie man den Namen de Stael korrekt ausspricht?

Mit Betonung auf dem “e”? Oder wird das “e” gar nicht betont?

Ich bitte um Antwort. Danke.

(« Chère Madame, cher Monsieur,

Pourriez-vous m’indiquer comment il convient de prononcer le nom de Stael ? Faut-il faire entendre le e ou bien faut-il ne pas le prononcer du tout ? Je vous remercie pour votre réponse. »)

Uta H. (Deutschland)

L’Académie répond :

Sehr geehrte Frau Hillmann,

Man schreibt Staël, aber Man sagt Stal.

Mit freundlichen Grüssen.

(« Chère Madame Hillmann,

On écrit Staël (avec un tréma sur le e) mais on prononce “Stal”. Cordiales salutations. »)

Disgression au lieu de digression

Le 7 mai 2015

Emplois fautifs

Le préfixe dis- appartient à la langue latine et à la langue française et, dans ces deux langues, il est particulièrement productif. Le plus souvent, il conserve sa forme originale, mais il arrive, en latin, que le s de dis- s’efface quand la consonne initiale du mot auquel il se lie est une consonne sonore. C’est pour cette raison que le nom latin *disgressio, composé à l’aide de la particule dis-, qui marque la négation ou l’écart, et de gradi, « marcher, s’avancer », est devenu digressio. Dire et écrire disgression est donc une faute parfaitement explicable, d’autant plus que le s est conservé dans le nom de la même famille transgression, mais n’en reste pas moins une faute et, pour évoquer ce type de pas de côté, on veillera à n’utiliser que le substantif digression.

on dit

on ne dit pas

Se perdre dans des digressions

Si vous me permettez cette digression

Se perdre dans des disgressions

Si vous me permettez cette disgression

 

Adriana S. (Chicago)

Le 7 mai 2015

Courrier des internautes

Je travaille pour une académie qui enseigne le français à Chicago et je vous serais très reconnaissante si vous pouviez me répondre à la question suivante (suite à un débat eu avec un collègue professeur de français) :

Est-ce qu’on fait l’élision devant les noms propres qui commencent par une voyelle ? Je dis que oui : La vie « d’Adèle », le livre « d’Alex », etc.

Adriana S. (Chicago)

L’Académie répond :

Vous avez raison ; la préposition de, de même que les articles définis, le pronom relatif que, nombre de conjonctions s’élident devant les noms, propres ou communs, commençant par une voyelle ou un h muet : la bataille d’Angleterre, le roi d’Espagne, les travaux d’Hercule, une copie de l’Hercule Farnèse, l’enlèvement d’Hélène, les livres d’Italo Calvino, le règne d’Auguste, les victoires qu’Attila a remportées.

Jordan L. (France)

Le 7 mai 2015

Courrier des internautes

Je vous contacte aujourd’hui afin d’éclaircir un grand débat sur la phrase suivante :

« Tu m’avais dit que tu me suivrai » ou « Tu m’avais dit que tu me suivrais » ?

On prend en compte le fait que la personne s’était ENGAGÉE à la suivre.

C’est donc une promesse, un acte qui va se produire. « Tu m’avais dit (à l’époque) que tu me (moi) suivrai (futur)... du futur donc ? Si la réponse est bien « ais », pourquoi est-ce considéré comme du conditionnel ?

Jordan L. (France)

L’Académie répond :

Nous avons ici ce que l’on appelle un futur dans le passé, qui prend la forme d’un conditionnel.

Le fait que l’on ait suivrais avec comme sujet tu nous montre bien que l’on n’a pas un futur simple car celui-ci serait tu me suivras.

Uta H. (Deutschland)

Le 7 mai 2015

Courrier des internautes

könnten Sie mir bitte sagen, wie man den Namen de Stael korrekt ausspricht?

Mit Betonung auf dem “e”? Oder wird das “e” gar nicht betont?

Ich bitte um Antwort.

(« Pourriez-vous m’indiquer comment il convient de prononcer le nom de Stael ? Faut-il faire entendre le e ou bien faut-il ne pas le prononcer du tout ? Je vous remercie pour votre réponse. »)

Uta H. (Deutschland)

L’Académie répond :

Man schreibt Staël, aber Man sagt Stal.

(« Chère Madame Hillmann,
On écrit Staël (avec un tréma sur le e) mais on prononce “Stal”. »

Dénoter pour détonner

Le 2 avril 2015

Emplois fautifs

Ces deux verbes sont proches par la forme, mais ils diffèrent par le sens et la construction. Dénoter est transitif direct et signifie « révéler, indiquer telle ou telle caractéristique », alors que détonner est intransitif et signifie « ne pas s’accorder avec ce qui est autour de soi, produire un contraste désagréable ». Si la faute qui consiste à employer détonner à la place de dénoter est peu fréquente, on entend malheureusement de plus en plus l’erreur inverse (sa tenue dénote au lieu de détonne), erreur qui s’explique sans doute parce qu’on associe dénote et fausse note, mais dont il convient cependant de se garder.

on dit

on ne dit pas

Ses propos détonnent en ce lieu

Ses propos dénotent en ce lieu

 

Ajoutons pour conclure que l’on se gardera également de confondre ces verbes avec le verbe détoner, qui signifie « exploser ».

Opérer au sens d’Exploiter

Le 2 avril 2015

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le verbe opérer est emprunté du latin operari, « travailler, s’occuper de ». Il signifie « accomplir, réaliser, produire » et aussi, spécialement, « pratiquer une intervention chirurgicale ». On se gardera bien d’ajouter à ces sens ceux de « gérer, diriger, exploiter », qui appartiennent à l’anglais des États-Unis to operate… On ne dira donc pas Les vols intérieurs seront opérés par… mais Les vols intérieurs seront assurés par…

Adhésion pour Adhérence

Le 2 avril 2015

Extensions de sens abusives

Adhésion et adhérence ont la même origine : ils remontent tous deux au latin adhaerere, « être attaché à », verbe de la même famille que le substantif hedera, dont est issu le français lierre, cette plante grimpante munie de petits crampons qui lui permettent de se fixer solidement sur les troncs, les murs, etc. Les sens de ces deux substantifs sont néanmoins distincts : adhésion concerne les personnes et désigne le fait d’adhérer à un groupe, à une organisation ou, par extension, d’approuver telle ou telle idée, alors qu’adhérence concerne les choses et désigne la liaison étroite entre deux corps solides.

on dit

on ne dit pas

Emporter l’adhésion

Donner son adhésion à un projet

Ce pneu n’a qu’une faible adhérence au sol

Emporter l’adhérence

Donner son adhérence à un projet

Ce pneu n’a qu’une faible adhésion au sol

 

Rodomonts, matamores et sacripants

Le 2 avril 2015

Expressions, Bonheurs & surprises

Avant d’être des noms communs rodomont et matamore ont été les noms de héros littéraires. Rodomont vient de Rodomonte, proprement « ronge-montagne », personnage du Roland furieux que l’Arioste avait emprunté au Roland amoureux de Boiardo. Le Rodomonte de Boiardo est un roi d’Alger, brave et belliqueux, mais altier et insolent, une série de traits que lui conserva l’Arioste. Ainsi, il n’hésite pas à affronter une terrible tempête et à défier les flots déchaînés :

« Souffle vent, disais-je, si tu sais souffler ; car je veux traverser cette nuit en dépit de toi. Je ne suis ni ton vassal, ni celui de la mer pour que vous puissiez me retenir ici à votre disposition. »

Et Rodomonte fera la traversée, quitte à y perdre, et ce fut ce qui arriva, toute sa flotte.

Moins de cinquante ans après le décès de l’Arioste, rodomont devenait, en français, un nom commun désignant un fanfaron, un fier-à-bras, alors que, jusqu’à la fin du xvie siècle, les noms rodomont et rodomontade n’étaient pas dévalorisants. C’est à cette époque que Brantôme écrit ses Discours d’aucunes rodomontades et gentilles rencontres et paroles espagnoles. Ce livre, qui met en scène des conquistadors, les présente sous un jour favorable, « d’autant qu’il faut confesser », ajoute l’auteur « [que] la nation espaignolle [est] brave, bravache et valleureuse, et fort prompte d’esprit et de belles parolles profférées à l’improviste ».

Une dizaine d’années plus tard, les Espagnols ne sont plus perçus comme de courageux guerriers, mais comme des fanfarons : c’est, en tout cas, le portrait qu’en fait en 1607 Nicolas Baudouin dans ses Rodomontades espagnoles. Colligées des Commentaires de tres-espouvantables, terribles et invincibles Capitaines, Matamores, Crocodilles et Rojabroqueles, (ce dernier nom signifiant proprement « boucliers rouges »).

Ce livre aura un grand succès, puisqu’il connaîtra une vingtaine de rééditions, traductions ou adaptations dans le même siècle. Le préfacier essaiera de voiler un peu ses attaques en écrivant : « Vous ne trouverez aucune chose sinon quelques risees honnestes, sans faire tort ou injure à aucune creature, ny mesme aux Espagnols, le nom desquels est icy un nom emprunté », mais le livre fera que les rodomontades deviendront, pour les Français, emblématiques du caractère espagnol. Ils seront aidés en cela par le nom matamore, qui, lui, est d’origine espagnole. Il est en effet emprunté de Matamoros, proprement « le tueur de Maures », et désigne un faux brave qui ne cesse de chanter ses exploits et fuit au moindre danger. Ce Matamore va vite devenir un personnage de comédie dont Corneille fixera définitivement les traits dans L’Illusion comique.

Il s’agit là d’un type humain universel, hâbleur et vantard, dont Plaute avait déjà fait le sujet d’une de ses pièces, le Miles gloriosus, « Le Soldat fanfaron ».

Notons pour conclure que rodomont n’est pas le seul nom tiré des œuvres de Boiardo et de l’Arioste, puisque notre sacripant nous vient aussi d’un de leurs personnages, Sacripante, un valeureux et courageux roi de Circassie, qui, en passant de nom propre italien à nom commun français, va devenir un mauvais sujet ou un séducteur compulsif. Ne lit-on pas dans Rocambole, de Ponson du Terrail : « Un vaurien, un sacripant qui se moque de la vertu des femmes, de l’honneur des maris » ?

 

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