Dire, ne pas dire

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Être entrain de

Le 12 juillet 2016

Emplois fautifs

Le nom entrain est une création de Stendhal. On ne sait pas s’il est tiré du verbe entraîner, au sens de « charmer, enthousiasmer », ou s’il s’agit d’une forme agglutinée de la locution adjectivale (être) en train, « (être) dans une bonne disposition ». Quoi qu’il en soit, on se gardera bien de confondre ce nom avec cette locution adjectivale ou avec la locution prépositive « en train de ».

 

on écrit

on n’écrit pas

Il est plein d’entrain

Elle se sent très en train

Ils sont en train de jouer

Il est plein d’en train

Elle se sent très entrain

Ils sont entrain de jouer

 

Philosophie au sens d’Opinion

Le 12 juillet 2016

Extensions de sens abusives

Le nom philosophie a des sens bien précis. Il convient de ne pas les affaiblir et de ne pas les étendre de manière inappropriée, comme on l’entend trop souvent, en faisant de ce mot un synonyme trop vague et quelque peu prétentieux d’idée, d’avis ou d’opinion, ou même, dans ce sens, religion.

on dit

on ne dit pas

Je n’arrive pas à cerner son opinion

A-t-il quelque avis sur la question ?

Je n’arrive pas à cerner sa philosophie

A-t-il quelque philosophie sur la question ?

 

Du malheur d’être une petite négation atone et du bénéfice que tira de cette situation un nom commun devenu adverbe

Le 12 juillet 2016

Expressions, Bonheurs & surprises

La langue latine avait deux négations principales : non, prononcé « none », et ne, prononcé comme « nez ». En passant du latin au français, le e de ne s’est affaibli est devenu un e atone susceptible de s’élider. Ce e non accentué allait vite poser de graves problèmes à l’oral puisque, dans une langue parlée familière, cette négation ne, peu audible, fut rapidement supprimée : il n’était donc plus possible de distinguer une forme affirmative d’une forme négative. La langue adjoignit alors à ce ne bien mal en point, quand il n’était pas complètement amuï, des noms pittoresques suggérant l’idée d’une très faible valeur, comme un pois, un ail, une cive, une areste, un festu, un boton, un denier, une cincerele (une petite mouche), une eschalope (une coquille d’escargot), une mûre, une prune, un clou, un copeau, un brin de laine, etc. Mais surtout, et c’est là l’origine de nos négations, la langue ajouta à ce ne des substantifs correspondant sémantiquement à la plus petite unité pouvant compléter tel ou tel verbe : on associa ainsi le nom pas au verbe marcher, le nom mie (miette) au verbe manger, le nom gote (goutte) au verbe boire. Très vite ces compléments devinrent de simples adverbes interchangeables et longtemps, en ancien français, mie fut la négation la plus employée (on la trouve ainsi quarante-trois fois dans La Chanson de Roland, alors que pas n’y figure que quatre fois) : Que del roi mie ne conut, « Parce qu’il n’a pas reconnu le roi » (Le Conte du Graal, de Chrétien de Troyes) ; Ne te recroire mie, mais serf encor, « Ne te décourage pas, mais continue à servir » (Le Jeu de saint Nicolas, de Jean Bodel).

Après mie, pas et point étaient les négations les plus employées. Au xviie siècle, des grammairiens essayèrent de trouver des critères pour justifier l’emploi de la négation pas ou de la négation point. Le linguiste Antoine Oudin enseignait ainsi qu’elles ne devaient pas être confondues : « Point se rapporte aux choses qui portent quantité, et pas conclut une négation simple, ou de qualité : Je n’ai point d’argent et non Je n’ai pas d’argent. Je n’ai point vu de personnes, mais je ne l’ai pas vu. »

Le lien entre verbe et unité minimale pouvant le compléter se perdit assez rapidement. La proximité phonétique entre boire et voir, fit que n’y voir point fut remplacé par n’y voir goutte, une forme encore en usage aujourd’hui et pourtant très ancienne puisqu’on lit déjà chez Villehardouin, au tout début du xiiie siècle : Li dux de Venise, qui vialx hom ere et gote ne veoit…, « Le duc de Venise, qui était un vieil homme et n’y voyait goutte… »

Aujourd’hui, force est de constater que l’adverbe pas est devenu la négation universelle et qu’il a aussi écrasé le nom pas dont il est tiré. Il n’est pour s’en convaincre que de consulter la passionnante étude de Gunnel Engwall, de l’université de Göteborg, parue en 1984 et intitulée Vocabulaire du roman français (1962-1968). Ces travaux montrent que l’adverbe de négation pas est, dans la langue française, le 17e mot par ordre de fréquence, quand le nom pas n’occupe que la 341e place, six places devant le nom point, quand la négation homonyme est 1839e.

L’usage fait que cet adverbe pas se trouve souvent placé en fin de proposition et qu’il est donc accentué, ce qui contribue à mettre de nouveau la particule ne en grand péril : elle est en effet de moins en moins souvent prononcée à l’oral et n’est même parfois plus notée à l’écrit. Il n’est pour s’en convaincre que de songer à une chanson populaire, fort en vogue dans les années 1970, et dont le titre était, horresco referens, Tu veux ou tu veux pas ?

 

Alexandre P. (France)

Le 12 juillet 2016

Courrier des internautes

Une nouvelle invention / exception linguistique commence son existence dans un paysage linguistique déjà assez embrouillé. Aujourd’hui, dans les média, on dit « à Cuba ». Souvent, le nom de ce pays est privé d’article. « Le Cuba » devient ainsi « Cuba » tout court et tout énervant.

Pourriez-vous intervenir publiquement pour (r)établir la norme ?

Alexandre P. (France)

L’Académie répond :

Devant les noms de certaines petites îles d’Europe et devant des noms masculins de grandes îles lointaines, on ne met pas d’article et on emploie la préposition : À Malte, à Chypre, à Guernesey, à Jersey, à Cuba, à Madagascar, à Haïti.

David T. K. (France)

Le 12 juillet 2016

Courrier des internautes

J’aimerais savoir si le mot « retrouvailles » doit toujours être employé au pluriel ou alors si un emploi au singulier serait correct.

David T. K. (France)

L’Académie répond :

Retrouvailles s’emploie essentiellement au pluriel pour évoquer le fait que des personnes se retrouvent.

Mais cette forme existe au singulier ; elle a alors un autre sens. Retrouvaille désigne le fait de retrouver ce dont on était séparé, ce qu’on avait perdu.

Roxane D. (France)

Le 12 juillet 2016

Courrier des internautes

J’aimerais savoir si l’on doit dire « Nous vivons les portes grand ouvertes » ou « grandes ouvertes »

Peut-on écrire grand’mère, grand’ place, ou doit-on écrire grand-mère, grand-place ?

Roxane D. (France)

L’Académie répond :

Grand employé adverbialement est le plus souvent variable dans des formules comme : ouvrir la porte toute grande ; ouvrir toute grande la porte ; les portes sont grandes ouvertes ; des rideaux grands ouverts ; les yeux grands ouverts. Cependant, on ne doit pas considérer l’invariabilité comme fautive : elle n’est pas rare à l’écrit.

Grand est issu du latin grandis, qui est un adjectif épicène, c’est-à-dire qu’il a la même forme au masculin et au féminin. C’était le cas en ancien français où grand était aussi la forme de féminin.

C’est à cette époque qu’a été créée la forme grand-mère, mais aussi d’autres comme grand rue ou grand porte. Ensuite, par analogie avec petit/petite, on a ajouté un e au féminin de grand.

Donner une messe

Le 2 juin 2016

Emplois fautifs

Le verbe donner peut signifier, entre autres sens, « présenter à un auditoire, à un public ». On peut ainsi donner un concert, une conférence. Dans Hécatombe, Georges Brassens évoquait d’ailleurs les commères de Brive-la-Gaillarde, qui donnèrent […] un spectacle assez croquignol. Ce verbe s’emploie encore à propos d’un professeur qui donne un cours. Mais on se gardera bien de l’utiliser pour évoquer ce qui ne ressortit pas au spectacle ou à l’éducation, et on veillera à ce qu’il n’ait pas comme complément des noms comme hommage, cérémonie ou messe, noms qui s’emploieront avec d’autres verbes comme rendre, célébrer ou offrir.

on dit

on ne dit pas

Célébrer, dire, offrir une messe

Rendre un hommage

Donner une messe

Donner un hommage

 

Enjoindre quelqu’un

Le 2 juin 2016

Emplois fautifs

Quand le complément d’un verbe transitif indirect est un nom, il est généralement introduit par la préposition à, mais, si on substitue un pronom à ce nom, la préposition disparaît : Tu dis à Paul de venir, mais tu lui dis de venir. Tu ordonnes à Rémy de…, mais tu lui ordonnes de… Si, à la troisième personne, les pronoms compléments directs et indirects sont distincts (Il lui obéit mais ne le craint pas), ce n’est plus le cas pour les pronoms de première et deuxième personnes : Il nous obéit mais ne nous craint pas. Peut-être est-ce à cause de formes comme Il vous enjoint de … que certains ont pu croire qu’enjoindre était un verbe transitif direct. Il n’en est rien, enjoindre est un verbe transitif indirect et doit être construit comme tel.

on dit

on ne dit pas

Je lui ai enjoint de venir

Ils enjoignent à Pierre de les aider

Je l’ai enjoint de venir

Ils enjoignent Pierre de les aider

 

Il n’aura de cesse qu’il n’a réussi

Le 2 juin 2016

Emplois fautifs

La locution verbale n’avoir de cesse (on trouve aussi, dans une langue plus littéraire ou plus vieillie, ne pas connaître de cesse, ne prendre cesse) signifie « ne pas cesser, faire des efforts ». Elle peut être suivie de l’infinitif (Il n’a de cesse de repartir), mais si elle introduit une subordonnée conjonctive, elle doit être suivie, comme la conjonction de subordination avant que, du subjonctif : Il n’aura point de cesse que vous lui ayez donné ce qu’il veut. On se gardera donc bien, ce qui serait une grossière erreur, de construire n’avoir de cesse que avec l’indicatif.

on dit

on ne dit pas

Il n’aura de cesse qu’il n’ait réussi

Il n’aura de cesse qu’il n’a réussi

 

En regard de au sens d’Au regard de

Le 2 juin 2016

Extensions de sens abusives

L’expression au regard de signifie « compte tenu de, par rapport à, eu égard à ». On dira ainsi : Au regard de ses résultats, cet élève ne pourra passer dans la classe supérieure. Il convient de ne pas confondre cette expression avec en regard de, qui signifie « en vis-à-vis de, en face de » : Inscrire les recettes en regard des dépenses.

on dit

on ne dit pas

Au regard de la loi, tous les hommes sont égaux

Un texte d’Eschyle avec la traduction en regard

En regard de la loi, tous les hommes sont égaux

Un texte d’Eschyle avec la traduction au regard

 

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