Dire, ne pas dire

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Va donc, eh, pédard !

Le 5 mars 2020

Expressions, Bonheurs & surprises

En 1898, le mot chauffard entrait dans notre langue. Composé à l’aide de chauffeur et du suffixe péjoratif -ard, il est, hélas, toujours en usage, l’espèce des conducteurs imprudents et dangereux ne semblant pas en voie de disparition. Quelques années plus tard, sur ce modèle, on créait à partir de pédaler le nom pédard qui désignait, comme l’indique fort bien le dictionnaire Larousse de 1923, à la page 818, un « cycliste grossier, maladroit, dangereux pour les autres ». Ce vilain personnage fit trois petits tours et s’en alla, mais depuis quelque temps il hante malheureusement de nouveau nos villes, oubliant que les trottoirs sont pour les piétons et que ceux-ci sont prioritaires sur les passages cloutés. À l’article Donc de notre Dictionnaire on lit cette apostrophe, qualifiée de triviale, Va donc, eh, chauffard ! Serons-nous bientôt obligés de redoubler de trivialité avec un Va donc, eh, pédard ? Espérons que non et penchons-nous plutôt sur ce trésor de page 818. C’est une mine, qui témoigne d’un temps où le latin était encore un élément ordinaire de la culture de l’honnête homme puisque l’on y trouve -et nous ne sommes pas dans les fameuses pages roses-, pas moins de quatre citations dans cette langue : pectus est quod disertos facit, « c’est le cœur qui fait les éloquents » ; pede poena claudo, « le châtiment au pied boiteux », une citation tirée des Odes d’Horace ; pede presto, « au pied rapide » ; et enfin pedibus cum jambis, « avec les pieds et les jambes », locution dont on fit aussi pedibus cum jambus, certes incorrecte grammaticalement, mais agrémentée d’un bel effet de rime. Il faut bien sûr espérer que tout ce latin ne fasse pas de nous un pédantasse, ce nom et adjectif signifiant « gros, lourd, pédant », qui nous ferait entrer dans la pédantaille, un mot dont on nous apprend qu’il désigne, familièrement et par dénigrement, un « ramassis de pédants », ou qu’il nous fasse pédantiser, c’est-à-dire « faire le pédant » ou « rendre pédant », un verbe que l’on se gardera bien de confondre avec son paronyme, bien vieilli aujourd’hui, pédanter, qui signifiait, apprend-on dans la sixième édition de notre Dictionnaire, « faire mal le métier de régent dans les collèges, dans les classes » (rappelons qu’à cette époque un régent de collège était un professeur de collège ou d’université). Tout cela nous amène au pédant dont on nous dit qu’après avoir désigné un professeur, il désigne « celui qui affecte de paraître savant ou de censurer les autres ». Diable, diable, il convient de s’interroger, Dire, ne pas dire, qui s’est donné pour tâche de signaler des formes fautives, serait-il œuvre de pédant ? À d’autres de trancher, -à un juge pédané, par exemple, un de ces juges subalternes qui, autrefois, jugeaient debout. Mais revenons plutôt à ce pédant. Son origine est incertaine, mais elle est toujours rattachée, d’une manière ou d’une autre, au grec pais, paidos, « enfant » et, dans ce cas, « enfant qui reçoit une éducation ». Si pédant et pédagogue sont liés, nous voilà sauvés et nous avons donc la possibilité de faire œuvre utile, en rappelant par exemple que l’on appelait naguère, lit-on toujours dans cette même page, pedestrians les coureurs, mais aussi les marcheurs, ceux-là mêmes qui sont aujourd’hui harcelés par les pédards.

Edouardo G. (Séville)

Le 5 mars 2020

Courrier des internautes

Bonsoir,

La professeure m’a signalé qu’on ne commence jamais une phrase en français avec « parce que » :

Je ne trouve pas une explication pour cette maudite erreur. Pouvez-vous me la donner, s’il vous plaît ? Merci beaucoup.

Edouardo G. (Séville)

L’Académie répond :

Monsieur,

Les propositions introduites par parce que sont des circonstancielles et, dans la plupart des cas, elles sont mobiles.

On peut dire Il n’a pas pu venir parce qu’il était malade, mais aussi Parce qu’il était malade, il n’a pas pu venir. C’est car qui ne peut être en début de phrase.

Edouardo G. (Séville)

Le 5 mars 2020

Courrier des internautes

Bonsoir,

La professeure m’a signalé qu’on ne commence jamais une phrase en français avec « parce que » :

Je ne trouve pas une explication pour cette maudite erreur. Pouvez-vous me la donner, s’il vous plaît ? Merci beaucoup.

Edouardo G. (Séville)

L’Académie répond :

Monsieur,

Les propositions introduites par parce que sont des circonstancielles et, dans la plupart des cas, elles sont mobiles.

On peut dire Il n’a pas pu venir parce qu’il était malade, mais aussi Parce qu’il était malade, il n’a pas pu venir. C’est car qui ne peut être en début de phrase.

Est-ce une gageure de prononcer correctement Antienne ?

Le 6 février 2020

Emplois fautifs

Les mots français qui se terminent par les lettres -tien se partagent de manière égale entre ceux où ce groupe est prononcé sien et ceux où il est prononcé tien. On a, d’un côté, kantien ou lilliputien, de l’autre, chrétien ou proustien. La plupart de ces mots sont d’un usage courant, ce qui contribue à bien fixer leur prononciation. Il n’en va pas de même d’antienne. Ce nom féminin désigne, dans la liturgie chrétienne, un verset récité ou chanté, en totalité ou en partie, avant un psaume ou un cantique, et que l’on répète ensuite en entier : les antiennes du Magnificat. Par extension, on nomme aussi antienne un chant en l’honneur de la Vierge qui termine l’office de complies. Enfin, on l’emploie pour désigner familièrement les propos constamment répétés par tel ou tel. Voilà pour les sens ; il convient maintenant de rappeler que, phonétiquement, le t d’antienne garde toujours sa valeur première et que ce nom ne doit pas être prononcé comme ancienne. Signalons aussi pour conclure que, dans gageure, le groupe -eure se prononce ure.

On prononce

On ne prononce pas

Chanter une antienne

Les quatre antiennes mariales

Chanter une ancienne

Les quatre anciennes mariales

Quinzomadaire pour Bimensuel

Le 6 février 2020

Emplois fautifs

L’adjectif hebdomadaire signifie « qui se produit, qui paraît une fois par semaine » : une réunion hebdomadaire, un magazine hebdomadaire. De celui-ci est dérivé le mot bihebdomadaire, « qui a lieu, qui paraît deux fois par semaine ». Parallèlement à bihebdomadaire, existe la forme bimensuel que l’on emploie pour qualifier ce qui se produit, ce qui paraît deux fois par mois : une assemblée bimensuelle, une revue bimensuelle. C’est cet adjectif que l’on emploiera pour désigner ce qui se produit tous les quinze jours, et non quinzomadaire, qui semble le croisement étrange de quinze et de dromadaire, quand bien même ce mot aurait pour lui d’avoir été porté sur les fonts baptismaux de la langue par des rédacteurs d’un célèbre journal satirique paraissant le mercredi.

On dit

On ne dit pas

Une inspection bimensuelle

Un journal bimensuel, un bimensuel

Une inspection quinzomadaire

Un journal quinzomadaire, un quinzomadaire

Nos bons plans pour un monde plus green

Le 6 février 2020

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Naguère les verts inquiétaient parce qu’ils étaient considérés comme de doux utopistes manquant cruellement de réalisme ou comme des oiseaux de mauvais augure annonçant des lendemains peu chantants. Ce qui est arrivé à ces personnes semble se produire maintenant pour l’adjectif vert, que d’aucuns paraissent chercher à remplacer à toute force. Ainsi une grande ville, une capitale même, proposait il y a peu des « bons plans pour un monde plus green ». Un proverbe dit que l’herbe est toujours plus verte (ou plus grasse) dans le champ du voisin. Pourquoi vouloir nous faire croire qu’elle serait d’encore meilleure qualité si elle était green ? Le monde sera-t-il moins beau s’il est vert plutôt que green ? Le meilleur moyen de promouvoir la diversité – des espèces ou des langues – est-il véritablement de remplacer des mots français par d’autres d’une langue déjà dominante ? Cela n’est pas sûr, et il n’y aurait rien de choquant à ce que nos édiles s’adressent à leurs administrés dans la langue de ces derniers.

Ferdinand et Ferdinand, Passé composé et plus-que-parfait

Le 6 février 2020

Expressions, Bonheurs & surprises

La première phrase de Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline, « Ça a débuté comme ça », est un des incipits les plus fameux de la littérature française. On lit ensuite : « Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l’écoute. Restons pas dehors ! qu’il me dit. Rentrons ! Je rentre avec lui. Voilà. »

On trouve dans ce texte, nonobstant une grande différence de style, des échos d’un roman paru six ans plus tôt, La Grande Peur dans la montagne, de l’autre Ferdinand de la littérature francophone, Charles-Ferdinand Ramuz. Dans un des premiers chapitres il écrit : « La voix, quand elle est venue, leur est venue depuis derrière ; ils n’ont reconnu que c’était Barthélemy qu’à sa voix. On disait : – Vous n’avez rien entendu cette nuit ?

Le maître continua un instant de faire tourner avec une pelle de bois la masse de lait dans la chaudière ; puis le maître, sans qu’on pût deviner si c’était à lui plus particulièrement que Barthélemy s’était adressé, mais il était le maître :

– Non. Ne s’étant toujours pas retourné, et Barthélemy : Ah bon… si vous n’avez rien entendu… Il était éclairé sur l’épaule et autour de sa barbe par le jour ; il était éclairé sur le devant de sa personne par le feu ; il se tenait debout devant l’ouverture de la porte : il a dit

– Parce que l’autre fois ça avait commencé comme ça… Alors je me suis demandé si vous aviez entendu marcher cette nuit, parce que l’autre fois on avait entendu marcher, et moi, cette nuit, il m’a bien semblé entendre marcher, mais si vous n’avez rien entendu, peut-être que je me suis trompé. »

Il y a donc, dans ces textes, celui qui n’avait « jamais rien dit » et ceux qui n’ont « rien entendu », mais surtout il y a la distance entre l’humain, le trop humain Ça a débuté comme ça et le mystérieux Ça avait commencé comme ça. Le passé composé est un temps de la proximité ; il reste dans la sphère du présent et donne l’impression qu’on peut le toucher ; il est parfaitement apte à décrire des aventures humaines et semble fait pour être la marque du procès-verbal ; il donne des noms, des professions, un lieu, une forme de date. Il peut servir à décrire mille choses tristes, affreuses, cocasses ou drôles, mais il reste ancré dans la terre. Le plus-que-parfait, particulièrement chez Ramuz, est beaucoup plus troublant, on le dirait créé pour être le temps du surnaturel, le temps de ce qui échappe en grande partie à l’entendement humain, le temps qui abolit la netteté des frontières. Les je et moi, les nous des impératifs de première personne du pluriel qui accompagnent le passé composé de Céline ne sont pas ambigus, mais ils sont remplacés, quand Ramuz emploie le plus-que-parfait, par un indéterminé et bien étrange on. Ces deux temps et ces deux textes se croisent encore, on l’a vu, quand l’on a, d’un côté, Moi, j’avais jamais rien dit et, de l’autre, Mais si vous n’avez rien entendu. Si ce qui n’a pas été entendu c’est, étymologiquement, l’« inouï », cet inouï peut aussi être, on le sait, ce « qui, de mémoire d’homme, est sans exemple, sans précédent ». Mais ce qui suscite l’angoisse dans le texte de Ramuz, c’est que là, précisément, il y a un précédent, un précédent mystérieux et étrange, rappelé par l’inquiétant plus-que-parfait de Barthélemy : « parce que l’autre fois, ça avait commencé comme ça ».

Pourquoi m et non n devant m, b et p ?

Le 6 février 2020

Expressions, Bonheurs & surprises

On reproche souvent à la langue française le décalage qui existe entre l’oral et la transcription de ce dernier. On lui reproche aussi certaines règles qui semblent arbitraires. Parmi ces dernières, celle qui veut que la lettre n soit changée en m devant un m, un b ou un p, appelée la règle m, b, p ou, chez les plus jeunes, un nom de footballeur devenant moyen mnémotechnique, la règle Mbappé. Or il se trouve que cette règle est l’héritage d’un temps où, justement, l’orthographe était la suivante fidèle de la prononciation. Ces trois lettres, m, b et p, sont des labiales, c’est-à-dire qu’elles sont articulées au niveau des lèvres, tandis que n, une dentale, l’est au niveau des dents. Dans la chaîne parlée, passer d’une dentale à une labiale demande un certain effort, dont on se dispense en transformant cette dentale en la labiale équivalente, et ainsi n devient m. Ce phénomène, qui voit un phonème donner tout ou partie de ses caractéristiques au phonème qui le précède, s’appelle l’assimilation régressive et a bien sûr touché aussi le latin et le grec, auxquels nous sommes redevables de nombre de nos mots. Ainsi, quand le préfixe latin in-, qui indique la négation ou un déplacement vers l’intérieur, était lié à un mot ou une racine commençant par une de ces trois lettres, il devenait im-. À côté de formes comme indolens, « qui ne souffre pas, indolent », composé de in- et de dolens, « souffrant » ; infamis, « perdu d’honneur, infâme », composé à partir de in- et de fama, « renommée, réputation » ; ou innocens, « qui ne fait pas de mal, innocent », composé à partir de in- et de nocere, « être nuisible », il y en a d’autres dans lesquelles, pour les raisons exposées plus haut, in- est passé à im-, comme immortalis, « immortel », composé de in- et de mortalis, « mortel » ; imbibere, « tremper, imbiber », de in- et bibere, « boire », ou impedire, « empêcher » et, proprement, « mettre dans les pieds », composé à partir de in- et de pes, pedis, « pied ».

La langue grecque connut, elle aussi, ce phénomène : le préfixe sun-, « avec, ensemble », passé à syn- en français, que l’on retrouve dans des mots comme synchronie, tiré de khronos, « temps », ou syntaxe, tiré de taxis, « ordre, arrangement », se rencontre sous la forme sym-, dans symbiose, tiré de bios, « vie », symphonie, tiré de phônê, « son, voix », ou symétrie, que l’on a écrit symmétrie jusqu’au xviiie siècle, tiré de metron, « mesure ». Nous avons hérité de ces mots et conservé leur orthographe, et ce qui fut d’abord la transcription fidèle de ce qui se disait est devenu un usage, puis une règle qui, par analogie, s’applique aussi aux mots créés même après que la première labiale, n ou m, a cessé de se faire entendre.

Ajoutons pour conclure que l’on a aussi le phénomène inverse. Ainsi, le préfixe latin cum-, « avec », que l’on trouve sous la forme com- en français, s’il s’est maintenu dans des formes comme combat, commettre ou comparaître, est passé à con- dans concéder, conduire, conférer, congratuler, conjurer, connaître, conquérir, consacrer, contenir ou convoquer, et même à col- ou cor-, dans collègue ou correspondre.

André B. (France)

Le 6 février 2020

Courrier des internautes

Bonjour,

Au gré de mes lectures, j’ai trouvé le titre de ministre de la Feuille. Titre d’Ancien Régime que j’ignore.

Merci d’avance.

André B. (France)

L’Académie répond :

Monsieur,

Le titre complet est ministre de la Feuille des bénéfices ; c’est un religieux, souvent le confesseur du roi, qui l’aide pour la désignation des titulaires de bénéfices ecclésiastiques. On disait aussi Évêque de la feuille. Et aussi, en un sens analogue La feuille des pensions.

Romain D. (France)

Le 6 février 2020

Courrier des internautes

Bonjour,

Je me permets de vous solliciter concernant une expression qui fait débat. Quelle est l’origine de l’expression : prendre son pied ?

Merci de vos lumières.

Romain D. (France)

L’Académie répond :

Monsieur,

L’expression c’est le pied est d’introduction récente en français. Elle a été beaucoup employée à partir de 1968 et dans les années suivantes pour exprimer toutes sortes de satisfactions, sexuelles ou non. Elle provient sans doute de l’expression que vous citez, un peu plus ancienne (années 1930) : prendre son pied. Celle-ci renvoie au sens argotique du mot pied, à savoir part, portion : prendre son pied signifie donc prendre sa part (de plaisir).

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