Dire, ne pas dire

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Est-ce une gageure de prononcer correctement Antienne ?

Le 6 février 2020

Emplois fautifs

Les mots français qui se terminent par les lettres -tien se partagent de manière égale entre ceux où ce groupe est prononcé sien et ceux où il est prononcé tien. On a, d’un côté, kantien ou lilliputien, de l’autre, chrétien ou proustien. La plupart de ces mots sont d’un usage courant, ce qui contribue à bien fixer leur prononciation. Il n’en va pas de même d’antienne. Ce nom féminin désigne, dans la liturgie chrétienne, un verset récité ou chanté, en totalité ou en partie, avant un psaume ou un cantique, et que l’on répète ensuite en entier : les antiennes du Magnificat. Par extension, on nomme aussi antienne un chant en l’honneur de la Vierge qui termine l’office de complies. Enfin, on l’emploie pour désigner familièrement les propos constamment répétés par tel ou tel. Voilà pour les sens ; il convient maintenant de rappeler que, phonétiquement, le t d’antienne garde toujours sa valeur première et que ce nom ne doit pas être prononcé comme ancienne. Signalons aussi pour conclure que, dans gageure, le groupe -eure se prononce ure.

On prononce

On ne prononce pas

Chanter une antienne

Les quatre antiennes mariales

Chanter une ancienne

Les quatre anciennes mariales

Quinzomadaire pour Bimensuel

Le 6 février 2020

Emplois fautifs

L’adjectif hebdomadaire signifie « qui se produit, qui paraît une fois par semaine » : une réunion hebdomadaire, un magazine hebdomadaire. De celui-ci est dérivé le mot bihebdomadaire, « qui a lieu, qui paraît deux fois par semaine ». Parallèlement à bihebdomadaire, existe la forme bimensuel que l’on emploie pour qualifier ce qui se produit, ce qui paraît deux fois par mois : une assemblée bimensuelle, une revue bimensuelle. C’est cet adjectif que l’on emploiera pour désigner ce qui se produit tous les quinze jours, et non quinzomadaire, qui semble le croisement étrange de quinze et de dromadaire, quand bien même ce mot aurait pour lui d’avoir été porté sur les fonts baptismaux de la langue par des rédacteurs d’un célèbre journal satirique paraissant le mercredi.

On dit

On ne dit pas

Une inspection bimensuelle

Un journal bimensuel, un bimensuel

Une inspection quinzomadaire

Un journal quinzomadaire, un quinzomadaire

Nos bons plans pour un monde plus green

Le 6 février 2020

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Naguère les verts inquiétaient parce qu’ils étaient considérés comme de doux utopistes manquant cruellement de réalisme ou comme des oiseaux de mauvais augure annonçant des lendemains peu chantants. Ce qui est arrivé à ces personnes semble se produire maintenant pour l’adjectif vert, que d’aucuns paraissent chercher à remplacer à toute force. Ainsi une grande ville, une capitale même, proposait il y a peu des « bons plans pour un monde plus green ». Un proverbe dit que l’herbe est toujours plus verte (ou plus grasse) dans le champ du voisin. Pourquoi vouloir nous faire croire qu’elle serait d’encore meilleure qualité si elle était green ? Le monde sera-t-il moins beau s’il est vert plutôt que green ? Le meilleur moyen de promouvoir la diversité – des espèces ou des langues – est-il véritablement de remplacer des mots français par d’autres d’une langue déjà dominante ? Cela n’est pas sûr, et il n’y aurait rien de choquant à ce que nos édiles s’adressent à leurs administrés dans la langue de ces derniers.

Ferdinand et Ferdinand, Passé composé et plus-que-parfait

Le 6 février 2020

Expressions, Bonheurs & surprises

La première phrase de Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline, « Ça a débuté comme ça », est un des incipits les plus fameux de la littérature française. On lit ensuite : « Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C’était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l’écoute. Restons pas dehors ! qu’il me dit. Rentrons ! Je rentre avec lui. Voilà. »

On trouve dans ce texte, nonobstant une grande différence de style, des échos d’un roman paru six ans plus tôt, La Grande Peur dans la montagne, de l’autre Ferdinand de la littérature francophone, Charles-Ferdinand Ramuz. Dans un des premiers chapitres il écrit : « La voix, quand elle est venue, leur est venue depuis derrière ; ils n’ont reconnu que c’était Barthélemy qu’à sa voix. On disait : – Vous n’avez rien entendu cette nuit ?

Le maître continua un instant de faire tourner avec une pelle de bois la masse de lait dans la chaudière ; puis le maître, sans qu’on pût deviner si c’était à lui plus particulièrement que Barthélemy s’était adressé, mais il était le maître :

– Non. Ne s’étant toujours pas retourné, et Barthélemy : Ah bon… si vous n’avez rien entendu… Il était éclairé sur l’épaule et autour de sa barbe par le jour ; il était éclairé sur le devant de sa personne par le feu ; il se tenait debout devant l’ouverture de la porte : il a dit

– Parce que l’autre fois ça avait commencé comme ça… Alors je me suis demandé si vous aviez entendu marcher cette nuit, parce que l’autre fois on avait entendu marcher, et moi, cette nuit, il m’a bien semblé entendre marcher, mais si vous n’avez rien entendu, peut-être que je me suis trompé. »

Il y a donc, dans ces textes, celui qui n’avait « jamais rien dit » et ceux qui n’ont « rien entendu », mais surtout il y a la distance entre l’humain, le trop humain Ça a débuté comme ça et le mystérieux Ça avait commencé comme ça. Le passé composé est un temps de la proximité ; il reste dans la sphère du présent et donne l’impression qu’on peut le toucher ; il est parfaitement apte à décrire des aventures humaines et semble fait pour être la marque du procès-verbal ; il donne des noms, des professions, un lieu, une forme de date. Il peut servir à décrire mille choses tristes, affreuses, cocasses ou drôles, mais il reste ancré dans la terre. Le plus-que-parfait, particulièrement chez Ramuz, est beaucoup plus troublant, on le dirait créé pour être le temps du surnaturel, le temps de ce qui échappe en grande partie à l’entendement humain, le temps qui abolit la netteté des frontières. Les je et moi, les nous des impératifs de première personne du pluriel qui accompagnent le passé composé de Céline ne sont pas ambigus, mais ils sont remplacés, quand Ramuz emploie le plus-que-parfait, par un indéterminé et bien étrange on. Ces deux temps et ces deux textes se croisent encore, on l’a vu, quand l’on a, d’un côté, Moi, j’avais jamais rien dit et, de l’autre, Mais si vous n’avez rien entendu. Si ce qui n’a pas été entendu c’est, étymologiquement, l’« inouï », cet inouï peut aussi être, on le sait, ce « qui, de mémoire d’homme, est sans exemple, sans précédent ». Mais ce qui suscite l’angoisse dans le texte de Ramuz, c’est que là, précisément, il y a un précédent, un précédent mystérieux et étrange, rappelé par l’inquiétant plus-que-parfait de Barthélemy : « parce que l’autre fois, ça avait commencé comme ça ».

Pourquoi m et non n devant m, b et p ?

Le 6 février 2020

Expressions, Bonheurs & surprises

On reproche souvent à la langue française le décalage qui existe entre l’oral et la transcription de ce dernier. On lui reproche aussi certaines règles qui semblent arbitraires. Parmi ces dernières, celle qui veut que la lettre n soit changée en m devant un m, un b ou un p, appelée la règle m, b, p ou, chez les plus jeunes, un nom de footballeur devenant moyen mnémotechnique, la règle Mbappé. Or il se trouve que cette règle est l’héritage d’un temps où, justement, l’orthographe était la suivante fidèle de la prononciation. Ces trois lettres, m, b et p, sont des labiales, c’est-à-dire qu’elles sont articulées au niveau des lèvres, tandis que n, une dentale, l’est au niveau des dents. Dans la chaîne parlée, passer d’une dentale à une labiale demande un certain effort, dont on se dispense en transformant cette dentale en la labiale équivalente, et ainsi n devient m. Ce phénomène, qui voit un phonème donner tout ou partie de ses caractéristiques au phonème qui le précède, s’appelle l’assimilation régressive et a bien sûr touché aussi le latin et le grec, auxquels nous sommes redevables de nombre de nos mots. Ainsi, quand le préfixe latin in-, qui indique la négation ou un déplacement vers l’intérieur, était lié à un mot ou une racine commençant par une de ces trois lettres, il devenait im-. À côté de formes comme indolens, « qui ne souffre pas, indolent », composé de in- et de dolens, « souffrant » ; infamis, « perdu d’honneur, infâme », composé à partir de in- et de fama, « renommée, réputation » ; ou innocens, « qui ne fait pas de mal, innocent », composé à partir de in- et de nocere, « être nuisible », il y en a d’autres dans lesquelles, pour les raisons exposées plus haut, in- est passé à im-, comme immortalis, « immortel », composé de in- et de mortalis, « mortel » ; imbibere, « tremper, imbiber », de in- et bibere, « boire », ou impedire, « empêcher » et, proprement, « mettre dans les pieds », composé à partir de in- et de pes, pedis, « pied ».

La langue grecque connut, elle aussi, ce phénomène : le préfixe sun-, « avec, ensemble », passé à syn- en français, que l’on retrouve dans des mots comme synchronie, tiré de khronos, « temps », ou syntaxe, tiré de taxis, « ordre, arrangement », se rencontre sous la forme sym-, dans symbiose, tiré de bios, « vie », symphonie, tiré de phônê, « son, voix », ou symétrie, que l’on a écrit symmétrie jusqu’au xviiie siècle, tiré de metron, « mesure ». Nous avons hérité de ces mots et conservé leur orthographe, et ce qui fut d’abord la transcription fidèle de ce qui se disait est devenu un usage, puis une règle qui, par analogie, s’applique aussi aux mots créés même après que la première labiale, n ou m, a cessé de se faire entendre.

Ajoutons pour conclure que l’on a aussi le phénomène inverse. Ainsi, le préfixe latin cum-, « avec », que l’on trouve sous la forme com- en français, s’il s’est maintenu dans des formes comme combat, commettre ou comparaître, est passé à con- dans concéder, conduire, conférer, congratuler, conjurer, connaître, conquérir, consacrer, contenir ou convoquer, et même à col- ou cor-, dans collègue ou correspondre.

André B. (France)

Le 6 février 2020

Courrier des internautes

Bonjour,

Au gré de mes lectures, j’ai trouvé le titre de ministre de la Feuille. Titre d’Ancien Régime que j’ignore.

Merci d’avance.

André B. (France)

L’Académie répond :

Monsieur,

Le titre complet est ministre de la Feuille des bénéfices ; c’est un religieux, souvent le confesseur du roi, qui l’aide pour la désignation des titulaires de bénéfices ecclésiastiques. On disait aussi Évêque de la feuille. Et aussi, en un sens analogue La feuille des pensions.

Romain D. (France)

Le 6 février 2020

Courrier des internautes

Bonjour,

Je me permets de vous solliciter concernant une expression qui fait débat. Quelle est l’origine de l’expression : prendre son pied ?

Merci de vos lumières.

Romain D. (France)

L’Académie répond :

Monsieur,

L’expression c’est le pied est d’introduction récente en français. Elle a été beaucoup employée à partir de 1968 et dans les années suivantes pour exprimer toutes sortes de satisfactions, sexuelles ou non. Elle provient sans doute de l’expression que vous citez, un peu plus ancienne (années 1930) : prendre son pied. Celle-ci renvoie au sens argotique du mot pied, à savoir part, portion : prendre son pied signifie donc prendre sa part (de plaisir).

Une forme d’expression populaire

Le 9 janvier 2020

Bloc-notes

 

C’est Borges qui m’a signalé, à sa manière, la source populaire de toute culture. Un ami lui a envoyé un conte qu’il venait d’écrire. Borges, l’ayant particulièrement aimé, lui répond que sa fable est « si merveilleuse qu’elle mérite d’être anonyme ». C’est l’une des premières réflexions de Borges qui me soit tombée sous les yeux, et c’est celle qui m’a poussé à plonger dans son œuvre afin de découvrir la source de ce paradoxe. Borges croit que la littérature est faite par des gens qui ont une existence particulière, alors qu’il n’hésite pas à affirmer que ce qui est bien appartient « au langage et à la tradition », c’est-à-dire à tout le monde. Cet individualiste forcené était donc pour le bien public. Je me suis longtemps demandé si Borges incluait le style dans sa réflexion. Le style m’a toujours semblé une affaire personnelle, jusqu’à ce que je tombe sur ce poème de Basho, peut-être le plus grand styliste japonais. Basho écrit :

« Les chants de repiquage

Des paysans du Nord

Première leçon de style »

Basho et Borges s’entendent sur ce point : il s’agit d’un fond porté par une forme. Il reste le travail du temps. Mais il y a des images si fulgurantes qu’on reste saisi par la vitesse avec laquelle elles nous ont traversés. J’ai vécu l’expérience d’un pareil météore juste après le tremblement de terre de Port-au-Prince. Deux jours après la catastrophe on ne lui avait pas encore trouvé de nom, et les gens disaient « la chose » en parlant d’elle. Puis j’ai entendu « goudougoudou ». On m’a expliqué que c’était le bruit de l’eau qui sort d’une bouteille à long col. Et c’est exactement ce qu’on a entendu lors du séisme. Depuis ce moment on n’a plus dit en Haïti, dans la vie quotidienne, pour désigner le tremblement de terre que « goudougoudou ». Ce son qui vient du ventre de la terre. Personne d’autre que ceux qui étaient présents ne peut témoigner de la justesse de ce mot : un son sourd, saccadé, grave, long comme un boa qui vous enlace pour vous étouffer en 35 secondes, montre en main. Cela reste un mystère pour moi qu’un mot puisse s’imposer aussi rapidement à plus de dix millions de personnes. J’ai assisté à la naissance d’un mot. J’aurais pu le toucher de la main.

La peinture

C’est un Américain Dewitt Peters qui rassembla, au centre d’Art qu’il venait de fonder avec quelques amateurs d’art haïtien, les premiers peintres professionnels du pays. C’est un chauffeur de taxi, Rigaud Benoit, qui arriva le premier avec un petit tableau, Chauffeur de taxi, un autoportrait. Cet homme très doux, Jasmin Joseph, n’aimait peindre que des animaux, surtout des lapins. Peters, en allant dans le Nord du pays, passa devant un temple couvert de peintures, des « vèvès », représentant des dieux venus d’Afrique et mettant en scène quelques rituels du vaudou. Peters invita le prêtre vaudou, Hector Hyppolite, dans son centre. Plus tard le balayeur Castera Basile échangea son balai contre un pinceau. Georges Liautaud, le forgeron de Croix-des-Bouquets qui ornait les tombes de croix d’un style très personnel, deviendra un sculpteur international. Puis, en 1975, André Malraux reçut la photo d’un petit cimetière peint de couleurs primaires et rayonnantes. Ce n’était pas les couleurs de la mort.

Malraux, qui était déjà très malade, a pensé, à sa manière légèrement délirante, que les artistes qui ont peint ce cimetière si coloré, doivent connaître un chemin qui mène à la mort sans passer par la douleur. Malraux a toujours préféré mourir à souffrir. Ces peintres paysans de Soissons-la-Montagne l’obsédèrent au point qu’il se rendit en Haïti cette année-là. Il relata cette visite dans son ouvrage d’art, L’Intemporel. Malraux fut impressionné par le fait que des paysans et des cuisinières ou de jeunes chômeurs puissent créer une œuvre qui réussisse à distance à le toucher autant. Les peintres de Saint-Soleil n’ont pas hésité à accueillir Malraux comme un des leurs. Autant Breton avait vu en Hector Hyppolite un maître de cet art à la fois mystique et mystérieux, plus authentique que son surréalisme qui sent parfois le frelaté, autant Malraux fut impressionné par ce « peuple qui peint », comme il l’a dit en arrivant. Si en Europe on rêve d’entendre la voix de ceux qui n’ont pas de voix, voilà qu’on s’exprime de la plus haute tenue dans ce pays miné par l’analphabétisme et la misère. Malraux rêvait que des paysans français puissent, un jour, regarder un tableau de Georges Braque sans rigoler, voilà que ce sont des paysans haïtiens qui exposent leurs œuvres, et c’est à Braque de ne pas rigoler.

Les poètes

La poésie est une constante de ma vie. Elle a barbouillé mon enfance, débordant jusqu’au milieu de mon adolescence. Pas le poème qui m’obligeait à bailler, plutôt cette fièvre qui faisait subitement monter ma température. Un regard de biais, une nuque dégagée, le parfum de la mangue à midi, ma grand-mère buvant son café ou un vélo rouge appuyé contre un arbre. J’ai attendu de croiser un poète pour m’intéresser au poème. Cela s’est passé un dimanche, vers quatre heures du matin. J’accompagnais ma mère à la messe quand, passant près du marché de charbon, elle pointa du doigt un homme, à moitié nu, sur un lit de carton. Elle me glissa à l’oreille, sur un ton dégoûté : « C’est un poète ! » En effet, c’était Carl Brouard. Je le découvris plus tard dans mon manuel de littérature haïtienne, cravaté, sourire mondain de fils de la bonne bourgeoisie. Sa poésie légère et triste m’a tout de suite attiré. Je me revois encore regardant passer un cortège interminable lors de ses funérailles. Cette vie dans la boue noire du marché, c’était son choix. Un autre poète a eu le même destin ; lui aussi avait rejeté la vie confortable des beaux quartiers pour vivre dans les bas-fonds. Magloire-Saint-Aude, dont le père était le fondateur du grand quotidien national Le Matin, a vécu avec Les Parias (le titre d’un de ses livres). C’est de lui que Breton parle quand il dit : « Mais vous savez bien que tout est beaucoup trop lâché aujourd’hui. Il y a une seule exception : Magloire-Saint-Aude. » Ce goût de traverser les frontières n’est pas nouveau chez les poètes, mais c’est quand même étonnant que ces deux poètes aient eu des funérailles nationales. Pas de demi-mesure en Haïti : on emprisonne les poètes ou on leur fait des funérailles nationales. En lisant leur poésie on comprend tout de suite ce qu’ils étaient allés chercher dans cette zone noire de boue : ce mélange fait de rituels du vaudou, de chants sacrés et profanes, de fulgurances du créole et de danses impudiques du dieu Baron Samedi, le concierge de la mort. Cela fait une poésie elliptique, parfois ésotérique dans le cas de Saint-Aude, proche de la peinture d’un Saint-Brice.

La mort

Des décennies plus tard, j’ai entrepris la rédaction d’un roman sur la mort, un sujet qui m’intéressait depuis l’adolescence. J’avais déjà posé la question, de façon brutale, à ma grand-mère, un après-midi d’été. « Da, qu’est-ce que la mort ? » Elle m’avait répondu, sans détours, « Tu verras ». Peut-être la plus succincte réponse jamais donnée à la plus angoissante question qui travaille tout être humain, de l’enfance à la vieillesse. Le livre que j’écrivais avait un titre énigmatique : Pays sans chapeau. C’est ainsi que les Haïtiens nomment l’au-delà parce qu’on n’a jamais enterré personne avec son chapeau sur la tête. L’absence d’un élément vestimentaire définit la mort tout en effaçant l’angoisse qui l’accompagne généralement. La plus concrète et la plus sereine définition de la mort, à mon avis. Tout cela pour dire que la culture populaire haïtienne reste, malgré tous les tourments, riche et subtile. Est-ce pour cette raison que je voudrais vous proposer ici un bouquet de proverbes haïtiens. J’avais acheté un livre où sont répertoriés plus de trois mille proverbes. Naturellement un grand nombre se retrouve, sous différentes formes, dans d’autres cultures. Je vous prie de me croire que ça sonne plus juste en créole que ma tentative de traduction. On a peut-être perdu la poésie mais le sens est là.

Je vous en offre dix.

1. À force de caresser son enfant la guenon l’a tué.

2. Avant de grimper à un arbre assure-toi de pouvoir en descendre.

3. Les morts ne connaissent pas le prix des cercueils.

4. Dieu est tellement subtil qu’il peut placer une blessure derrière la tête du chien s’il ne veut pas qu’il la lèche.

5. La bouche de la femme ne connaît pas de dimanche. (Pour ma mère cela voulait dire qu’elle passait la journée à parler pour prévenir, raconter, enseigner, ordonner, consoler, invoquer...)

6. On sait et on ne sait pas. (Le plus mystérieux.)

7. Ce que la mère du chaton lui a appris, la mère du raton le lui avait appris longtemps avant.

8. Nous sommes comme ces fruits qui même mûrs ne tombent jamais de l’arbre. (On ne se rend pas.)

9. N’accroche pas ton chapeau là où ta main ne pourrait pas arriver.

10. N’insulte jamais le caïman avant d’avoir complètement traversé la rivière.

 

L’esprit

Ce mois-ci, le 12 janvier, cela fera dix ans depuis le tremblement de terre qui a causé en 35 secondes 230 000 morts, des milliers de blessés et des dégâts matériels qu’on n’a pas fini d’évaluer. J’y étais et je me souviens de chaque craquement. Une journaliste montréalaise, Chantal Guy, qui lors était à Port-au-Prince, voulait un commentaire, à chaud, à propos de cette tragédie. J’ai choisi plutôt de parler de ce qui a étonné le monde entier, non pas du tremblement de terre lui-même, mais de la manière dont les Haïtiens ont fait face à cette catastrophe. J’ai résumé cela par cette déclaration, assez risquée dans un pareil moment, qui a fait, à mon grand étonnement, le tour du monde. Je ne sais toujours pas ce qui m’a pris ce jour-là de parler de culture et non de douleur : « Quand tout tombe, il reste la culture. » La réponse se trouve peut-être dans ce texte qui dit la richesse de l’expression populaire haïtienne et le caractère fondamentalement heureux du peuple haïtien.

Dany Laferrière
de l’Académie française

Il y a un moment donné

Le 9 janvier 2020

Emplois fautifs

L’expression À un moment donné signifie « en un temps déterminé » : La linguistique synchronique étudie l’état d’une langue à un moment donné. Dans une langue un peu plus familière, elle signifie aussi « tout à coup, soudain » : À un moment donné, il s’est mis en colère et a cassé un vase. L’expression Il y a un moment où signifie, quant à elle, « arrive un temps où » : Il y a un moment où il faut savoir se reposer. On évitera de mêler ces deux expressions pour donner naissance au tour incongru Il y a un moment donné.

On dit

On ne dit pas

À un moment donné, la voiture a fait une embardée et est allée dans le fossé

Il y a un moment où il faudra rentrer

Il y a un moment donné, la voiture a fait une embardée et est allée dans le fossé

Il y a un moment donné où il faudra rentrer

La démarche à suivre

Le 9 janvier 2020

Emplois fautifs

Le nom démarche peut désigner la manière de marcher, l’allure propre à une personne : avoir une démarche gracieuse, élégante, pataude, etc., mais aussi une action entreprise en vue de faire aboutir un projet, une affaire auprès d'une autorité : Il a dû faire de nombreuses démarches avant de voir sa requête satisfaite. Marche désigne au propre le fait, l’action de marcher et, au figuré, une manière d’agir, de procéder. C’est avec ce nom que l’on a construit l’expression marche à suivre, c’est-à-dire la « manière de procéder à laquelle on doit se conformer pour obtenir ce que l’on veut ». On évitera donc d’employer, à la place de cette dernière, le tour inusité démarche à suivre, mais l’on pourra dire il a songé à une démarche ingénieuse pour résoudre ce problème.

On dit

On ne dit pas

Quelle est la marche à suivre pour relancer le moteur ?

Respectez la marche à suivre ou l’expérience échouera 

Quelle est la démarche à suivre pour relancer le moteur ?

Respectez la démarche à suivre ou l’expérience échouera

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