Dire, ne pas dire

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Trop de + nom, suivi du singulier ou du pluriel

Le 11 juin 2020

Emplois fautifs

La locution trop de joue le rôle d’un déterminant indéfini et introduit un nom au singulier ou au pluriel, et le verbe qui suit ce groupe est tantôt au singulier, tantôt au pluriel. Il est au singulier quand le nom introduit par trop de est un nom singulier, en général non comptable (certains grammairiens disent aussi « massif »). Le poète et chansonnier Charles-François Panard (1689-1765) a mis en scène nombre de ces trop dans une pièce intitulée Vers d’un philosophe aimable, où l’on trouve cette leçon de tempérance, rousseauiste avant l’heure et parfaite illustration de la mediocritas aurea chère à Horace ou, plus encore, du mêden agan, « rien de trop », qui est au cœur de la sagesse grecque : ... « Il résulte de ce langage / Qu’il ne faut jamais rien de trop : / Que de sens renferme ce mot : / Qu’il est judicieux et sage: / Trop de repos nous engourdit, / Trop de fracas nous étourdit, / Trop de froideur est indolence, / Trop d’activité, turbulence ; / Trop d’amour trouble la raison, / Trop d’amour est un poison… »

Quand le nom qui suit trop de est un pluriel, le verbe se met généralement au pluriel : Trop d’élèves sont arrivés en retard, trop de soucis l’ont usé prématurément. On peut cependant trouver le singulier si l’on ne considère plus chacun des éléments séparément, mais si l’on envisage l’ensemble qu’il forme comme le complément d’un verbe sous-entendu. On distinguera ainsi Trop de séries télévisées sont de médiocre qualité, c’est-à-dire « un nombre important de séries télévisées sont de médiocre qualité », de Trop de séries télévisées nuit au travail scolaire des adolescents, que l’on pourrait gloser par « Regarder trop de séries télévisées nuit… » ou « Un excès de séries télévisées nuit… ».

Click and collect

Le 11 juin 2020

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

L’expression anglaise click and collect désigne, nous apprend l’excellent site du ministère de la Culture FranceTerme, le service qui permet à un client de venir, en automobile, retirer les achats qu’il a auparavant faits en ligne. Des formes françaises comme « retrait en magasin », « retrait au volant » ou « service au volant » disent la même chose. Pourquoi ne pas les utiliser ?

Prévenir au sens de Demander

Le 11 juin 2020

Extensions de sens abusives

Le verbe prévenir a plusieurs sens et, en particulier, celui d’« instruire par avance, avertir quelqu’un de quelque chose » : On m’avait prévenu qu’elle était très susceptible. Cet avertissement peut bien sûr revêtir un caractère officiel, mais prévenir ne peut néanmoins pas prendre le sens de « recommander fortement, intimer l’ordre de ». On peut donc dire Le gouvernement a prévenu que les rassemblements seraient interdits, mais pas Le gouvernement a prévenu de ne pas se rassembler.

on dit

on ne dit pas

Le gouvernement a interdit les déplacements

 

Le maire a défendu l’accès à la plage

Le gouvernement a prévenu de ne pas se déplacer

Le maire a prévenu qu’on n’aille pas sur la plage

Du sacré au trivial dans l’exclamative

Le 11 juin 2020

Expressions, Bonheurs & surprises

L’exclamative a volontiers recouru aux noms des dieux, ou de quelque autre puissance, puis de Dieu et de ce qui est sacré, pour donner plus de poids au discours. Chez les Grecs, Zeus était invoqué pour renforcer les serments, en particulier dans des tours comme ma ton Dia, ou nai ton Dia, « oui, par Zeus ». Chez les Latins, c’était parfois les dieux tous ensemble qui étaient invoqués : O di inmortales ! […] in qua urbe uiuimus ? « Ô dieux immortels ! […] dans quelle cité vivons-nous ? » lit-on dans la première Catilinaire de Cicéron. Des tours comme pro deum fidem, « bonté divine », sont aussi fréquents, à côté de Hercle, Hercule ou Mehercle, « par Hercule ».

En français, Dieu, bien souvent, est mis à contribution dans des tours comme Dieu, que c’est beau ; mon Dieu, comme il est intelligent ! On le trouve quelquefois avec un emploi presque adverbial comme dans Ce n'est pas dieu possible ! Il est parfois multiplié, mais alors le sacré semble inversement proportionnel à la valeur du multiplicateur, dans des expressions comme vingt dieux (que l’on trouvait parfois écrit vains dieux, pour désigner des dieux de l’Antiquité, supplantés par le christianisme) ou, plus rarement, cent dieux et mille dieux. Cependant, dans cette mathématique, le malin l’emporte : « Mille millions de diables ! Que j’enrage ! » s’exclame en effet, dans Lorenzaccio (acte V, scène v), l’orfèvre, dépité parce que les républicains ont refusé l’offre du gouverneur. De Florence, passons à la Sicile du Guépard, de Tomasi di Lampedusa ; c’est maintenant Marie qui est mise à l’honneur : « … dal gruppo […] si alzava una monotona continua invocazione sacra : “Maria ! Maria !” esclamavano perpetuamente quelle povere figliole. “Maria ! che bella casa !” “Maria ! che bell’uomo è il colonnello Pallavicino !”… “Maria ! che fame che ho !” » (« … de ce groupe […] s’élevait, monotone et continue, une invocation sacrée : “Marie ! Marie !”, s’exclamaient perpétuellement ces pauvres filles, “Marie ! Quelle belle maison !”, “Marie ! Quel bel homme le colonel Pallavicino !”… “Marie ! Que j’ai faim !” »

Le ciel étant, dans nombre de religions, la demeure des dieux et aussi, dans la religion chrétienne, celle du Dieu du Notre Père, on est passé, par métonymie, dans nos exclamations, des dieux à leur demeure : Ciel, que vous êtes sot ! Ce type d’exclamation est tellement entré dans l’usage en français que c’est lui que Charlotte Brontë met dans la bouche d’Adèle, une élève française de Jane Eyre, l’héroïne éponyme du célèbre roman : « … she merely exclaimed : “Oh, Ciel ! Que c’est beau !” and then remained absorbed in ecstatic contemplation. » Ce procédé avait l’avantage de permettre de ne pas enfreindre le deuxième commandement (« Dieu en vain tu ne jureras, ni autre chose pareillement »), commandement déjà bien souvent contourné à l’aide de formes euphémiques comme ventrebleu, altération de ventre Dieu, ou ventre-saint-gris, dans lequel un saint de fantaisie, saint Gris, remplacerait Dieu, à moins que cette forme soit une francisation burlesque de ventre sangue Christi, « par le ventre et le sang du Christ ». Ciel était donc employé comme morphème exclamatif, et notons que, par une autre métonymie, l’italien dit parfois stelle !, proprement « étoiles » : Stelle ! Che vedo !, « Cieux, qui vois-je ? » s’écrie don Giovanni, dans la scène v de l’acte I de l’opéra de Mozart.

Aujourd’hui, les exclamations commençant par Ciel ! ou Dieu ! se font plus rares, sans doute parce qu’elles sont concurrencées par des formes beaucoup plus triviales. L’extrait d’une lettre de Flaubert à son ami Ernest Chevalier, en 1842, dans laquelle il se plaint de ses difficultés à étudier son droit, nous aidera à comprendre cette évolution : « Nom de Dieu de nom de Dieu de nom de Dieu ! Et j’ai encore tout le Code civil dont je ne sais pas un article. Sacré nom de Dieu de merde de nom d’une pipe de vingt-cinq mille putains… » Dans cette longue tirade blasphématoire et exclamative, Flaubert n’a pas hésité à placer le mot putain à la suite d’un grand nombre d’occurrences de Dieu : force est de constater que, dans l’usage courant aujourd’hui, putain est beaucoup plus employé que Dieu avec cette valeur de morphème exclamatif et que les Dieu ! ou Ciel ! Que c’est beau ! sont remplacés par des Putain ! Que c’est beau !

Une souris et un lézard musclés

Le 11 juin 2020

Expressions, Bonheurs & surprises

Le nom souris est issu du latin populaire sorix, altération de sorex. On trouve ce mot dans Histoires naturelles (VIII, 82, 3), où Pline nous apprend que « les Annales sont pleines de cas où les auspices ont été interrompus par le cri des souris ». Mais les Latins usaient surtout d’un autre nom, mus, qui pouvait désigner indistinctement le rat ou la souris. Mus, dont le génitif est muris, est à l’origine de termes savants comme muridés (1834) et murins (apparu trois ans plus tard), qui sont attestés l’un et l’autre dans la version revue et augmentée par l’académicien Charles Nodier du Dictionnaire universel de la langue française de Pierre-Claude Victor Boiste. Ces deux noms sont de même sens, mais, sur le modèle de porcin, bovin, etc., murin peut aussi être adjectif (un élevage murin). Mus entre aussi dans la composition de noms plus courant comme musaraigne. Ce dernier est emprunté du latin musaraneus, composé de mus, « souris », et de l’adjectif araneus, « d’araignée », parce que l’on croyait que la morsure de la musaraigne, comme celle de l’araignée, était venimeuse. On le retrouve aussi dans musculus, proprement « la petite souris », à l’origine du nom français féminin « moule » et du nom masculin « muscle », le premier par analogie de forme et de couleur, la moule fermée ressemblant à une souris, le second parce que les Latins estimaient que lorsque les muscles roulaient sous la peau, ils faisaient penser à une petite souris qui aurait couru sous cette peau. On retrouve cette même image dans une lettre de Mme de Sévigné à sa fille, Mme de Grignan, en date du 3 novembre 1688 : « Cette souris de douleur qui lui court à une main, puis à l’autre, est aujourd’hui sur le genou. » Trois siècles plus tard, c’est encore grâce à une souris qu’une flèche court partout sur les écrans d’ordinateur...

La forme latine mus a de nombreux correspondants dans d’autres langues indo-européennes, et d’abord le grec mus, muos, qui signifie également « muscle » et « souris », et qui nous a donné nombre de mots en myo-, comme myosotis, proprement « oreille de souris », mygale, proprement « la souris belette », le pendant inversé de la musaraigne, myocarde, myopathie, myopotame, myocastor, le nom savant du ragondin. La racine indo-européenne se retrouve aussi dans le germanique à l’origine de l’allemand Maus et de l’anglais mouse, un nom intéressant car il témoigne des variations des formes de l’ancien anglais en fonction du nombre, puisque ce mot a comme pluriel mice.

Notons cependant que l’étymologie qui fait venir « muscle » de la petite souris latine n’était pas unanimement acceptée au xixe siècle. Dans son Dictionnaire national, Bescherelle préférait, non sans une certaine logique, le grec muein, « bouger » ; ce n’était pas la bonne étymologie, mais ce verbe, qui signifie d’abord « fermer », n’est cependant pas resté sans descendance : il est à l’origine de myope, « celui qui ferme à demi les yeux pour voir », et de mystère, « ce qui est fermé à qui n’est pas initié ».

Mais notre souris musculus n’est pas le seul animal à avoir donné son nom à des muscles. Semblable aventure est arrivée au nom latin lacerta, que l’on trouve aussi sous la forme lacertus et qui a d’abord désigné un lézard, puis les muscles du haut du bras, longs et effilés comme des lézards, et enfin n’importe quel muscle. Ce lacertus / lacerta n’a pas servi à former en français des noms en lien avec les muscles, mais il se trouve être à l’origine des formes savantes synonymes lacertiens et lacertiliens, qui désignent un sous-ordre de reptiles, mais aussi de lézard (lazerde, puis laisarde en ancien français) et, par l’intermédiaire de l’espagnol el lagarto, « le lézard », de notre alligator.

Concluons en signalant qu’à travers ces deux noms d’animaux utilisés pour désigner les muscles, les Latins font preuve d’une grande qualité d’observation et nous donnent peut-être les clés d’une esthétique valorisant tantôt les corps aux muscles ronds comme des souris et tantôt les corps aux muscles longs comme des lézards.

Bernard L. (Belgique)

Le 11 juin 2020

Courrier des internautes

Avez-vous déjà remarqué que les groupe bl, br, cl, cr, gl, gr, etc. n’ont pas de nom. Les grammairiens ne s’en sont pas souciés. C’est dommage. Les orthophonistes (les logopèdes, en Belgique) leur en ont donné un : une symphone. Vous devriez, me semble-t-il, demander aux académiciens de se pencher sur le problème.

Bernard L. (Belgique)

L’Académie répond :

Monsieur,

Il nous semble que les groupes de consonnes n’ont jamais de nom en français. « Symphone » est peut-être un peu ambigu puisque l’on risque de croire que ces consonnes sont prononcées ensemble, alors que, même si la deuxième s’appuie sur la première, elles sont énoncées séparément. Cela étant, ces groupes formés d’une occlusive et d’une liquide sont intéressants dans la mesure où ils appartiennent à la même syllabe, tandis que d’ordinaire, dans un groupe de deux consonnes, celles-ci se répartissent sur deux syllabes. Cette particularité explique le fait qu’il faut un accent sur le e qui précède : église, écrevisse, alors que dans les autres cas, la double consonne fait passer le e à è sans qu’il soit nécessaire de lui ajouter un accent : elle, assiette, espace. Dans certains mots, comme espiègle, on a les deux cas de figure.

Ajoutons pour conclure que ce phénomène était déjà connu des Grecs et des Latins puisque, en versification antique, une voyelle brève était allongée quand elle se trouvait devant deux consonnes réparties sur deux syllabes, mais que cet allongement n’avait pas lieu si ces deux consonnes appartenaient à la même syllabe.

Classe de CM1 (France)

Le 11 juin 2020

Courrier des internautes

Madame, Monsieur,

Nous sommes des élèves de CM1, nous souhaiterions savoir pourquoi le mot abuseur a été supprimé du dictionnaire, alors que nous l’utilisons encore.

Merci pour votre réponse,

Classe de CM1 (France)

L’Académie répond :

Chers élèves,

Le mot « abuseur » a été supprimé de notre Dictionnaire parce qu’il était trop peu employé. On lisait déjà, dans l’édition de 1835 : « Il est familier et peu employé. » De plus, le Trésor de la langue française écrit à son sujet : « semble être sorti d’usage ». Il est vrai cependant que la pièce qui fut à l’origine du mythe de don Juan, El Burlador de Sevilla, de Tirso de Molina, fut souvent traduite par L’Abuseur de Séville.

Ce qui fait aussi qu’il pouvait facilement être supprimé, c’est que son sens se laisse facilement deviner ; en effet, à partir des verbes, on crée des dérivés en -eur qui signifient « celui qui » : chanteur, « celui qui chante » ; menteur, « celui qui ment », etc.

Cela étant, si vous redonnez vie à ce mot, peut-être reviendra-t-il dans des dictionnaires.

Nous vous vous félicitons pour l’intérêt que vous portez à notre langue et vous souhaitons à tous beaucoup de bonheur et de succès dans vos études.

Au sud de la France pour Dans le Sud de la France

Le 7 mai 2020

Emplois fautifs

La préposition à (éventuellement combinée avec les articles définis le, la, les) et la préposition dans ont parfois des sens proches, par exemple dans des propositions comme Il est dans le champ et Il est au champ. Mais si l’on emploie ces deux prépositions avec un nom de point cardinal et deux entités géographiques pour les situer l’une par rapport à l’autre, alors leurs sens diffèrent. On distinguera ainsi au sud de, qui indique que la première entité n’est pas incluse dans la seconde, et dans le Sud de, qui indique que la première entité est située dans celle qui suit.

On dira ainsi Marseille est dans le Sud de la France et L’Espagne est au sud de la France, et non Marseille est au sud de la France ni L’Espagne est dans le Sud de la France.

On dit

On ne dit pas

Le Danemark est au sud de la Suède

Strasbourg est dans l’Est de la France

Le Portugal est à l’ouest de l’Espagne

Le Danemark est dans le Sud de la Suède

Strasbourg est à l’est de la France

Le Portugal est dans l’Ouest de l’Espagne

Le covid 19 ou La covid 19

Le 7 mai 2020

Emplois fautifs

Covid est l’acronyme de corona virus disease, et les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation. On dit ainsi la S.N.C.F. (Société nationale des chemins de fer français) parce que le noyau de ce groupe, société, est un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est composé de mots étrangers, le même principe s’applique. On distingue ainsi le FBI, Federal Bureau of Investigation, « Bureau fédéral d’enquête », de la CIA, Central Intelligence Agency, « Agence centrale de renseignement », puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau, et dans l’autre, par un nom féminin, agence. Corona virus disease – notons que l’on aurait pu préférer au nom anglais disease le nom latin morbus, de même sens et plus universel – signifie « maladie provoquée par le corona virus (“virus en forme de couronne”) ». On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie. Pourquoi alors l’emploi si fréquent du masculin le covid 19 ? Parce que, avant que cet acronyme ne se répande, on a surtout parlé du corona virus, groupe qui doit son genre, en raison des principes exposés plus haut, au nom masculin virus. Ensuite, par métonymie, on a donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui la provoque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien.

Drive

Le 7 mai 2020

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le verbe anglais to drive signifie « conduire (une automobile) ». Il est entré en français récemment comme nom pour désigner un système de vente dans lequel les clients passent une commande à un producteur, un commerçant, avant de se faire remettre, dans leur automobile, cette commande. Le français dispose, pour évoquer ce type de pratique, d’expressions comme « retrait automobile » ou « retrait en magasin », que l’on préfèrera donc à cet anglicisme. Il en ira de même quand drive est suivi d’un adjectif indiquant dans quel type de commerce s’effectue ce retrait. Dans les cas où, par métonymie, drive désigne le lieu où s’effectue le retrait, on peut parler de « point de retrait automobile » ou simplement de « point de retrait ».

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