Dire, ne pas dire

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Un avertissement extrêmement grave

Le 6 juin 2024

Emplois fautifs

Il y a peu, des Parisiens, et particulièrement ceux dont les habitations ou les bureaux sont riverains de la Seine, ont reçu des autorités, en prévision des Jeux olympiques, un avertissement extrêmement grave. Nul doute que le motif de cet avertissement était des plus sérieux, mais la formulation en est légèrement hasardeuse. L’avertissement étant l’appel à l’attention de quelqu’un pour le garder d’une chose fâcheuse, d’un danger, c’est cette chose fâcheuse ou ce danger qui peuvent être extrêmement graves. L’avertissement sera lui, éventuellement, extrêmement utile.

Cet avertissement pourrait être grave si l’on donnait à ce mot son sens de punition, que définissait joliment la huitième édition de notre Dictionnaire : « Réprimande pour faute de gestion ou insubordination adressée à un fonctionnaire ou à un élève », mais il est peu probable que ce soit là le sens d’avertissement auquel pensaient les rédacteurs de cet envoi officiel.

« Décrocher un mot » ou « Décocher un mot »

Le 6 juin 2024

Emplois fautifs

Ces deux expressions sont attestées dès le xixe siècle, mais elles n’ont pas exactement le même sens, ni la même construction. Décrocher un mot s’emploie en général à la forme négative et le nom mot n’est pas accompagné d’un adjectif. Cette expression n’est pas sans rapport avec décrocher la timbale, c’est-à-dire « réussir ». On dit familièrement d’une personne qu’elle n’a pas décroché un mot quand elle n’a pas pu ou pas voulu prendre la parole, comme si les mots, telle la timbale accrochée au mât des kermesses d’autrefois, étaient hors d’atteinte pour elle. Décocher un mot s’emploie ordinairement à la forme affirmative et le nom mot est souvent qualifié de cruel ou de méchant. L’image est celle du trait d’esprit, semblable au trait, c’est-à-dire la flèche décochée par un arc, et qui vise à blesser. Il lui a décoché un mot cruel signifie « il lui a dit une parole blessante ».

On retrouve ce verbe décocher, avec un sens assez proche, dans d’autres emplois plus concrets, comme dans décocher un coup de pied, un uppercut.

« Les jours ouverts » ou « Les jours ouvrés »

Le 6 juin 2024

Emplois fautifs

Les verbes ouvrir et ouvrer sont des paronymes, mais leur sens et leur fréquence diffèrent sensiblement. Ouvrir, très en usage, signifie « déplacer, enlever ce qui maintenait fermé » et donc « permettre l’accès, le passage ; donner entrée à », tandis que le verbe ouvrer, très vieilli, a pour sens « travailler » et « façonner, mettre en œuvre un matériau ». On ne rencontre plus guère ce dernier qu’au participe passé dans les expressions linge ouvré, c’est-à-dire orné de broderies, de motifs, de dentelles, etc., et jour ouvré, c’est-à-dire jour qui est consacré au travail, où l’on exerce effectivement une activité professionnelle.

On confond parfois ces deux mots parce que pendant les jours ouvrés (on dit plus fréquemment aujourd’hui les jours ouvrables, « jours qui ne sont pas fériés, qui ne sont pas légalement chômés »), les boutiques et les magasins sont ouverts.

Des carottes fries

Le 13 mai 2024

Emplois fautifs

Le participe passé du verbe défectif frire est frit, mais on le rencontre surtout dans la forme substantivée au féminin pluriel, des frites, ellipse de des pommes de terre frites. Ce nom est devenu tellement courant qu’il tend à faire oublier son origine verbale et que l’on hésite parfois sur l’orthographe du participe : on trouve ainsi des menus où sont proposés des légumes fris ou des tomates fries, quand c’est bien sûr frits et frites qu’il aurait fallu écrire. Cette erreur est sans doute favorisée par le fait que nos frites se nomment fries en anglais. 

« Détoner » ou « Détonner » ?

Le 13 mai 2024

Emplois fautifs

Les verbes détoner et détonner ont des sens bien éloignés : détoner, emprunté du latin detonare, « tonner fortement », signifie « s’enflammer subitement avec bruit ; faire explosion », tandis que détonner, dérivé du nom ton, signifie « sortir du ton qu’on doit garder pour chanter ou pour jouer juste » et, figurément, « ne pas s’accorder avec ce qui est autour de soi, avec l’ensemble dont on fait partie ; produire un contraste désagréable ». S’ils sont homonymes, ils ne sont pas homographes, et il ne faut pas prendre l’un pour l’autre. Mais celui qui ferait cette faute pourrait se consoler en disant qu’il est probablement né trop tard, tant les orthographes des deux mots, que l’étymologie n’explique pas vraiment, a varié. Qu’on en juge : détoner s’est d’abord rencontré, chez Richelet, sous la forme détonner, puisqu’il la rattachait, fort justement, à tonnerre. Napoléon Landais adopte aussi cette orthographe dans son Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français (1834), en précisant qu’ainsi on la distingue de détoner (qui est aujourd’hui notre détonner). Féraud fait de même dans son Dictionnaire critique de la langue française. Quant à l’Académie française, dans les trois premières éditions de son Dictionnaire, elle écrivait détonner, pour « ne pas être dans le ton » ; ce verbe perdit brièvement un n dans la quatrième édition pour le retrouver dès la cinquième, sans doute car c’est dans cette cinquième édition que son homonyme fit son apparition. Ces variations font que, depuis plus d’un siècle et demi, des exégètes se demandent quel sens donner au détone de Verlaine dans « Nevermore », un des Poèmes saturniens :

« Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone. »

Date courte

Le 11 avril 2024

Emplois fautifs

Le nom date désigne un point sur la ligne du temps. On parle ainsi de date de naissance, de date de mariage et l’on dit que tel évènement s’est passé à telle date. Il convient de ne pas confondre ce nom avec délai, qui désigne le temps nécessaire à l’accomplissement d’un acte ou la prolongation consentie pour achever la réalisation d’un projet, et qui est, lui, étendu sur cette même ligne du temps. Le délai est une durée et peut donc être court ou long, ce qui n’est pas le cas de la date. On ne dira donc pas La date de péremption de ces produits est courte, mais Le délai avant la péremption de ces produits est court ou La date de péremption de ces produits est proche.

Peut-être que Paul vous aime-t-il ?

Le 11 avril 2024

Emplois fautifs

Quand il est placé en tête de phrase, l’adverbe peut-être est suivi d’une proposition dans laquelle le verbe et le sujet sont inversés : Peut-être Paul vous aime-t-il. On peut aussi avoir un tour plus familier dans lequel peut-être est suivi de la conjonction de subordination que. Dans ce cas, l’ordre sujet/verbe est conservé et l’on a Peut-être que Paul vous aime. Ces deux tours sont acceptés, mais il ne faut pas mêler ces formes et avoir à la fois la conjonction que et l’inversion du sujet. On ne dira pas ainsi Peut-être que Paul vous aime-t-il.

« Des résultats juste passables » ou « Des résultats justes passables »

Le 11 avril 2024

Emplois fautifs

Le mot juste peut avoir plusieurs sens, mais aussi plusieurs natures. Il est d’abord un adjectif qui signifie « conforme à la justice, au droit, à la raison ». On parlera ainsi d’un maître sévère mais juste, d’une loi juste, d’un impôt juste. Dans tous ces cas, juste est lié au nom justice. Il peut aussi l’être à justesse ; il signifie alors « qui convient parfaitement ; pertinent, vrai ». On dira alors : le mot juste, un raisonnement juste, l’heure juste. De ces sens on est passé à celui d’« ajusté », puis d’« étriqué, à peine suffisant ».

Notre adjectif a été substantivé pour désigner ce qui est conforme à la justice, comme dans le juste et l’injuste, mais aussi une personne qui agit selon la justice. C’est ce que l’on a dans dormir du sommeil du juste ou des justes ou c’est un juste. Aujourd’hui, ce nom s’emploie notamment dans l’expression Juste parmi les Nations, qui désigne une personne non juive ayant pris des risques pour sauver des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Dans certaines régions, on rencontre parfois ce même substantif pour désigner une personne un peu simplette, à l’intelligence limitée.

Enfin, juste peut être un adverbe signifiant « de façon à peine suffisante ». Dans ce cas, il reste invariable. On écrira donc des résultats juste passables et non des résultats justes passables.

« Elle le bat froid » ou « Elle lui bat froid »

Le 7 mars 2024

Emplois fautifs

Le verbe battre se construit ordinairement avec un complément d’objet direct : Il a facilement battu son adversaire ; on bat les tapis pour en ôter la poussière, mais c’est une erreur d’utiliser cette construction transitive directe quand battre entre dans la locution battre froid. Nous devons cette dernière à la langue de la métallurgie puisque le métal à travailler peut être battu à chaud (il est alors plus souple, plus malléable, se façonne mieux et les pièces ainsi ouvrées sont plus résistantes) ou à froid (le martelage est alors plus simple, moins dangereux, mais les pièces ainsi produites sont plus fragiles). L’expression battre froid était illustrée par cet exemple dans la première édition de notre Dictionnaire : « Lorsqu’un homme craignant de s’engager en quelque affaire, reçoit avec froideur la proposition qu’on luy en fait, on dit qu’Il bat froid, qu’il a battu froid. » À partir de la sixième édition la construction est indiquée : « Battre froid à quelqu’un ».

C’est donc bien Il lui bat froid, il lui a battu froid qu’il faut employer et non Il le bat froid, il l’a battu froid.

« Pourquoi » et « Pour quoi »

Le 1 février 2024

Emplois fautifs

L’adverbe pourquoi est le résultat de la contraction de la préposition pour et du pronom quoi, mais il n’est pas pour autant le synonyme de la locution pour quoi. Ordinairement, pourquoi s’emploie pour interroger sur la cause d’une chose, tandis que pour quoi s’emploie pour interroger sur son but. La phrase Pourquoi est-il en retard ? signifie « Quelle est la raison de son retard ? », tandis que Il est venu, mais pour quoi dire ? ou Il est venu, mais pour dire quoi ? signifie « Dans quel but est-il venu ? » La préposition pour a en effet ici un sens final, qui permet d’annoncer un but ; le pronom quoi est alors à comprendre comme « quelque chose ».

À la première question on répondra généralement en commençant par parce que, tandis que le premier mot de la réponse à la deuxième question sera le plus souvent pour.

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