Dire, ne pas dire

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Étranges parataxes

Le 3 octobre 2024

Emplois fautifs

La parataxe est une construction syntaxique juxtaposant des propositions sans mot de liaison marquant une coordination ou une subordination, comme dans Il pleut, je reste à la maison. Cette construction a pour elle la concision, qui lui donne une grande force. Mais il convient de ne pas employer incorrectement cette forme et donc de rappeler que dans l’immense majorité des cas, en français, deux propositions sont unies par une conjonction de subordination et on se souviendra que l’on doit dire je crois qu’il va venir et non je crois il va venir.

Rappelons aussi qu’en français, deux noms sont liés entre eux par une préposition et que l’on préfèrera donc dire escrime en fauteuil plutôt qu’escrime fauteuil.

On est sur un grand vin, on part sur un incendie accidentel

Le 3 octobre 2024

Emplois fautifs

À la pauvre préposition sur, on demande beaucoup, et sans doute beaucoup trop. Elle sert en effet, entre autres fonctions, à introduire des compléments qui amènent des précisions géographiques ou temporelles, qui signalent un rapport ou une relation de dépendance. Mais cette polyvalence fait qu’on la considère parfois comme une préposition universelle pouvant aussi servir de présentatif ou introduire un élément constituant une hypothèse. Ainsi entend-on de plus en plus des tours comme On est sur un grand vin quand Il s’agit d’un grand vin, voilà un grand vin » seraient préférables, ou On part sur un incendie criminel, quand On suppose qu’il s’agit d’un incendie criminel, tout porte à croire qu’il s’agit d’un incendie criminel seraient de meilleure langue.

Tri pour triage

Le 3 octobre 2024

Emplois fautifs

Tri et triage, ayant l’un et l’autre le sens d’« action de trier », peuvent parfois se substituer l’un à l’autre, mais se distinguent dans la majorité des cas. Tri s’emploie le plus couramment dans la langue courante, on fait le tri dans ses affaires, on opère un tri dans des dossiers de candidature, et aussi lorsqu’on parle du traitement des déchets (même si collecte sélective des déchets est plus correct que le tour pléonastique tri sélectif), ou de l’opération postale qui consiste à classer les lettres et les colis en fonction de leur destination. Triage, lui, se rencontre surtout dans des emplois spécialisés, et particulièrement dans l’expression Gare de triage, qui désigne l’ensemble de voies de garage où les wagons de marchandises sont triés et groupés suivant les directions qu’ils auront à prendre.

Injurier de…

Le 4 juillet 2024

Emplois fautifs

Le verbe traiter, au sens de « donner à quelqu’un un qualificatif insultant », se construit avec un complément d’objet direct et un nom ou un adjectif attribut de celui-ci : Il a traité son frère d’idiot, Elle nous a traités d’incapables. Si le verbe injurier partage avec lui le même sémantisme, il ne se construit pas de la même manière. On ne dira pas il m’a injurié de voleur, pas plus qu’on ne dira, comme nous l’avons rappelé dans un autre article, il m’a insulté de lâche.

« Sois-en certain » ou « Sois en certain » ?

Le 4 juillet 2024

Emplois fautifs

Quand le mot en est un pronom et qu’il suit un impératif, il se lie à ce dernier par un trait d’union qui permet, avec le contexte, de le distinguer de la préposition homonyme et homographe en. On écrira donc sois-en certain et non sois en certain, mais sois en confiance et non sois-en confiance. La présence du pronom en amène aussi, pour éviter un hiatus, l’ajout d’un s euphonique à la fin des verbes du premier groupe, à la deuxième personne du singulier de l’impératif présent. On écrira ainsi Voici des fraises : manges-en, tandis que l’on écrira Mange en silence.

Un avertissement extrêmement grave

Le 6 juin 2024

Emplois fautifs

Il y a peu, des Parisiens, et particulièrement ceux dont les habitations ou les bureaux sont riverains de la Seine, ont reçu des autorités, en prévision des Jeux olympiques, un avertissement extrêmement grave. Nul doute que le motif de cet avertissement était des plus sérieux, mais la formulation en est légèrement hasardeuse. L’avertissement étant l’appel à l’attention de quelqu’un pour le garder d’une chose fâcheuse, d’un danger, c’est cette chose fâcheuse ou ce danger qui peuvent être extrêmement graves. L’avertissement sera lui, éventuellement, extrêmement utile.

Cet avertissement pourrait être grave si l’on donnait à ce mot son sens de punition, que définissait joliment la huitième édition de notre Dictionnaire : « Réprimande pour faute de gestion ou insubordination adressée à un fonctionnaire ou à un élève », mais il est peu probable que ce soit là le sens d’avertissement auquel pensaient les rédacteurs de cet envoi officiel.

« Décrocher un mot » ou « Décocher un mot »

Le 6 juin 2024

Emplois fautifs

Ces deux expressions sont attestées dès le xixe siècle, mais elles n’ont pas exactement le même sens, ni la même construction. Décrocher un mot s’emploie en général à la forme négative et le nom mot n’est pas accompagné d’un adjectif. Cette expression n’est pas sans rapport avec décrocher la timbale, c’est-à-dire « réussir ». On dit familièrement d’une personne qu’elle n’a pas décroché un mot quand elle n’a pas pu ou pas voulu prendre la parole, comme si les mots, telle la timbale accrochée au mât des kermesses d’autrefois, étaient hors d’atteinte pour elle. Décocher un mot s’emploie ordinairement à la forme affirmative et le nom mot est souvent qualifié de cruel ou de méchant. L’image est celle du trait d’esprit, semblable au trait, c’est-à-dire la flèche décochée par un arc, et qui vise à blesser. Il lui a décoché un mot cruel signifie « il lui a dit une parole blessante ».

On retrouve ce verbe décocher, avec un sens assez proche, dans d’autres emplois plus concrets, comme dans décocher un coup de pied, un uppercut.

« Les jours ouverts » ou « Les jours ouvrés »

Le 6 juin 2024

Emplois fautifs

Les verbes ouvrir et ouvrer sont des paronymes, mais leur sens et leur fréquence diffèrent sensiblement. Ouvrir, très en usage, signifie « déplacer, enlever ce qui maintenait fermé » et donc « permettre l’accès, le passage ; donner entrée à », tandis que le verbe ouvrer, très vieilli, a pour sens « travailler » et « façonner, mettre en œuvre un matériau ». On ne rencontre plus guère ce dernier qu’au participe passé dans les expressions linge ouvré, c’est-à-dire orné de broderies, de motifs, de dentelles, etc., et jour ouvré, c’est-à-dire jour qui est consacré au travail, où l’on exerce effectivement une activité professionnelle.

On confond parfois ces deux mots parce que pendant les jours ouvrés (on dit plus fréquemment aujourd’hui les jours ouvrables, « jours qui ne sont pas fériés, qui ne sont pas légalement chômés »), les boutiques et les magasins sont ouverts.

Des carottes fries

Le 13 mai 2024

Emplois fautifs

Le participe passé du verbe défectif frire est frit, mais on le rencontre surtout dans la forme substantivée au féminin pluriel, des frites, ellipse de des pommes de terre frites. Ce nom est devenu tellement courant qu’il tend à faire oublier son origine verbale et que l’on hésite parfois sur l’orthographe du participe : on trouve ainsi des menus où sont proposés des légumes fris ou des tomates fries, quand c’est bien sûr frits et frites qu’il aurait fallu écrire. Cette erreur est sans doute favorisée par le fait que nos frites se nomment fries en anglais. 

« Détoner » ou « Détonner » ?

Le 13 mai 2024

Emplois fautifs

Les verbes détoner et détonner ont des sens bien éloignés : détoner, emprunté du latin detonare, « tonner fortement », signifie « s’enflammer subitement avec bruit ; faire explosion », tandis que détonner, dérivé du nom ton, signifie « sortir du ton qu’on doit garder pour chanter ou pour jouer juste » et, figurément, « ne pas s’accorder avec ce qui est autour de soi, avec l’ensemble dont on fait partie ; produire un contraste désagréable ». S’ils sont homonymes, ils ne sont pas homographes, et il ne faut pas prendre l’un pour l’autre. Mais celui qui ferait cette faute pourrait se consoler en disant qu’il est probablement né trop tard, tant les orthographes des deux mots, que l’étymologie n’explique pas vraiment, a varié. Qu’on en juge : détoner s’est d’abord rencontré, chez Richelet, sous la forme détonner, puisqu’il la rattachait, fort justement, à tonnerre. Napoléon Landais adopte aussi cette orthographe dans son Dictionnaire général et grammatical des dictionnaires français (1834), en précisant qu’ainsi on la distingue de détoner (qui est aujourd’hui notre détonner). Féraud fait de même dans son Dictionnaire critique de la langue française. Quant à l’Académie française, dans les trois premières éditions de son Dictionnaire, elle écrivait détonner, pour « ne pas être dans le ton » ; ce verbe perdit brièvement un n dans la quatrième édition pour le retrouver dès la cinquième, sans doute car c’est dans cette cinquième édition que son homonyme fit son apparition. Ces variations font que, depuis plus d’un siècle et demi, des exégètes se demandent quel sens donner au détone de Verlaine dans « Nevermore », un des Poèmes saturniens :

« Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone. »

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