Le 12 décembre 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
La légende veut qu’en novembre 1823 un jeune Anglais, William Webb Ellis, qui participait à un match de football, ait pris le ballon à la main et traversé ainsi le terrain avant d’aller marquer dans le but adverse. Cela se passait au collège de Rugby, et cette petite ville allait donner son nom à un des sports les plus populaires de notre temps. Une grande partie du vocabulaire y afférent a été traduite en français depuis fort longtemps, comme en témoignent les termes pilier, talonneur, plaquage, en-avant, demi de mêlée, demi d’ouverture, essai, arrêt de volée, en-but. Quelques-uns sont entrés dans l’usage sous leur forme d’origine, ainsi drop ou maul. Mais d’autres mots, apparus bien plus récemment, peuvent sembler obscurs, tel offload, proprement « décharge », qui désigne une passe que réussit à faire un joueur après qu’il a été arrêté par un adversaire. Sans doute pourrait-on remplacer cette forme par la locution passe après contact, plus parlante pour les profanes, et qu’on employait encore il y a peu.
Le 7 novembre 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
L’Angleterre a inventé le football. Nous lui avons emprunté le nom en même temps que le jeu et, avec lui, une partie du vocabulaire y afférent. Avec le temps, ce vocabulaire a parfois été francisé. On a entendu ainsi coup de pied de coin pour corner. Si goal, abréviation de goal keeper, s’entend, il est fortement concurrencé aujourd’hui par gardien (de but), qui en est la traduction littérale, mais aussi par portier. On constate cependant que, si le nom goal sort par la porte avec la personne qu’il désigne, il revient par la fenêtre avec son sens de « but », puisque l’on peut lire maintenant dans des journaux français l’expression anglaise expected goal, proprement « but attendu », employée généralement au pluriel pour désigner les buts qu’aurait dû marquer une équipe au cours d’un match, en tenant compte de nombreux paramètres tels que le niveau du gardien, celui des attaquants, les positions respectives de ces derniers et des défenseurs, etc.
Le 7 novembre 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
En français, prospect, que l’on prononce [prospè] et qui est emprunté du latin prospectus, « action de regarder en avant ; vue, perspective », désigne l’étendue que l’on peut embrasser du regard à partir d’un point donné. Jusqu’à il y a peu, ce nom ne s’employait plus guère qu’en droit, dans la locution servitude de prospect, désignant l’interdiction faite au propriétaire d’un fonds assujetti à une servitude d’élever un bâtiment qui pourrait nuire à la vue que l’on a depuis un fonds dominant.
Le nom anglais prospect (dans lequel le c et le t se font entendre) a également ce sens, mais à celui-ci il s’en ajoute d’autres, dont l’un qui désigne, essentiellement dans le monde des sports collectifs, un jeune joueur prometteur, à qui l’on prédit un bel avenir. C’est ce nom qui commence à se lire dans des journaux français. Le mot espoir est depuis longtemps entré dans l’usage pour désigner ces jeunes sportifs et il serait dommage de s’en passer.
Signalons enfin qu’au Québec prospect désigne la personne sur laquelle on a des vues amoureuses.
Le 3 octobre 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
Le monde du sport est souvent anglophone et anglophile. Cela s’explique en partie par son histoire, mais on peut regretter que des anglicismes remplacent des formes françaises bien installées dans l’usage, comme cela arrive avec les expressions record personnel et meilleure performance de l’année, fort usitées il y a encore peu. C’est moins le cas aujourd’hui : sur les écrans qui retransmettent les championnats, y compris les championnats de France, s’affichent des P. B., abréviation de personal best, « record personnel » et des S. B., abréviation de season best, « meilleure performance de l’année ». Et, comme ce qui se lit finit toujours par se dire, on a pu entendre, il y a peu, un de nos meilleurs athlètes dire, à la veille d’une importante compétition, qu’il espérait taper sa P. B., « battre son record personnel », ce qu’il fit d’ailleurs fort joliment.
Le 3 octobre 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
Dans une lettre de décembre 1851, Victor Hugo expose à son épouse ce que sont ses conditions d’existence à Bruxelles, où il est en exil : « Je mène une vie de religieux. J’ai un lit grand comme la main. Deux chaises de paille. Une chambre sans feu. Ma dépense en bloc est de 3 francs cinq sous par jour, tout compris. » Moins d’un siècle plus tard, Mauriac écrit dans Le Mystère Frontenac : « Qu’est-ce que ça doit coûter ce qu’on voit sur les dessertes des grands restaurants : ces langoustes, ces pêches dans de l’ouate, ces gros citrons. Elle ne saurait jamais. Elle avait toujours eu à choisir entre le bouillon Boulant ou le Duval et Scossa... 3 fr. 50 tout compris. »
Cette participiale, tout compris, se rencontre à la fois sous la plume de nos plus grands prosateurs et dans la bouche de tout un chacun, mais il faut aujourd’hui veiller à la conserver, puisqu’elle commence à être concurrencée par tout inclus, calque de l’expression anglaise de même sens all inclusive.
Le 4 juillet 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
La locution anglaise job hopping désigne le fait de changer souvent d’emploi, de passer très vite d’une entreprise à une autre. Le bond que l’on retrouve dans l’onomatopée hop aurait pu inciter, s’il fallait chercher une image prise dans le monde animal pour traduire cette notion en français, à regarder du côté du kangourou ou de la puce, mais la langue n’a pas retenu ces animaux, pourtant réputés pour la qualité de leurs sauts. Sans doute est-ce parce qu’il s’agissait de travail que l’animal choisi a été un de ceux qui sont ordinairement présentés comme des modèles d’application et de constance au labeur, l’abeille, puisque l’on traduit joliment cette locution anglaise par butinage professionnel.
Le 4 juillet 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
Il importe, au poker, de ne pas montrer ses émotions puisque, si un joueur sait interpréter les réactions de ses adversaires, il lira dans leur jeu comme dans un livre ouvert. Dans ces parties de bluff, l’impassibilité est la clé du succès. Pour évoquer cette dernière, s’agissant donc du poker, mais aussi de toute situation où il convient de garder son sang-froid, nos amis anglais ont créé la locution poker face, proprement « visage de poker », qu’on entend parfois en français utilisée comme complément de verbes comme « avoir » ou « garder ». On rappellera à qui souhaite faire usage de ces tours composites que ces derniers ne disent guère plus qu’« être impassible, imperturbable ou indéchiffrable » ou « rester impassible, imperturbable ou indéchiffrable » et qu’il est donc préférable de recourir à ces formes françaises.
Le 6 juin 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
Nous avons signalé, il y a quelques années déjà, qu’il était préférable d’utiliser les verbes trafiquer ou vendre plutôt que l’anglicisme dealer. Mais ce n’est pas le seul sens de l’anglais to deal, qui peut aussi signifier « faire avec, composer, accepter, s’y prendre ». On ne dira donc pas Je ne sais pas dealer avec ce qui m’arrive, mais Je ne sais pas quoi faire avec ce qui m’arrive ou Je ne sais pas comment réagir devant ce qui m’arrive.
Le 6 juin 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
Le verbe anglais to relate est tiré du latin relatus, « rapport, récit », et il a les mêmes sens que le verbe français de même origine, relater, c’est-à-dire, « rapporter des faits, raconter ». Mais, à ces significations, le verbe anglais ajoute celles d’« établir un lien, une relation, se rapporter à », voire de « comprendre » ou, familièrement, d’« accrocher ». La distribution des sens d’une langue à l’autre a fait que ces derniers n’appartiennent pas au français ; aussi évitera-t-on de faire de relater un équivalent parfait de to relate, ce qu’il n’est pas, et on ne dira pas Je relate avec ce que tu dis, mais Je suis d’accord avec ce que tu dis.
Le 13 mai 2024
Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs
Au sujet de l’adjectif confortable, Charles Nodier a écrit dans son Examen critique des dictionnaires de la langue française : « Confortable est un anglicisme très intelligible et très nécessaire à notre langue, où il n’a pas d’équivalent ; ce mot exprime un état de commodité et de bien-être qui approche du plaisir, et auquel tous les hommes aspirent naturellement, sans que cette tendance puisse leur être imputée à mollesse et à relâchement de mœurs. » Tout cela est fort juste et il existe de nombreux autres mots qui, comme confortable, sont « très intelligibles et très nécessaires à notre langue ». Mais force est de reconnaître qu’il en est aussi d’autres qui, quand bien même ils seraient intelligibles, ne sont pas nécessaires à notre langue, comme les mots news et smile, qui voisinent dans l’expression des news qui rendent le smile, et qui auraient avantageusement pu être remplacés par « nouvelles » et « sourire ».
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