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Le chic et l’élégance

Le 3 juillet 2025

Nuancier des mots

La 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française définit le chic comme une « élégance un peu hardie ». Les deux termes sont proches, mais il existe de l’un à l’autre quelques nuances comme le montrent les exemples suivants. En regardant un joueur de tennis, on dira peut-être « quelle élégance ! » ou « quel chic ! », mais les deux énoncés n’auront pas la même signification : l’élégance pourra renvoyer à son jeu, à son attitude (face à l’échec, à la réussite ou à l’arbitrage) comme à sa tenue. Chic a un champ d’application plus restreint et ne pourra renvoyer qu’à sa mise. De la même manière, en parlant d’un écrivain, on peut évoquer l’élégance, mais non le chic, de son écriture. On entend d’ailleurs facilement « ça fait chic » alors qu’on dira plus difficilement « ça fait élégant » : le chic est bien du côté du paraître, voire de l’artifice ou du procédé : une vendeuse pourra vanter un accessoire, une tenue très en vogue en la présentant comme « le grand chic cette année ». L’élégance semble plus proche de l’inné, -on parle d’élégance naturelle-, et elle se range donc du côté de la distinction. L’étymologie de ces deux mots est d’ailleurs proche : eligere, « choisir, trier », pour l’un, distinguere, « différencier », pour l’autre. La langue a su marquer grammaticalement la nuance entre les deux : élégant est un participe présent à valeur active, tandis que distingué est un participe passé passif. C’est parce qu’elle sait choisir que la personne élégante devient une personne distinguée.

Le chic et l’élégance se rencontrent cependant en ce qu’ils reposent sur des codes qu’il faut absolument connaître sous peine de ridicule et d’exclusion sociale. C’est un euphémisme de dire qu’aujourd’hui on ne lit plus guère Jules Claretie, mais cet ami de Renan, qui le reçut sous la Coupole, nous a laissé avec Monsieur le ministre, paru en 1881, un ouvrage particulièrement éclairant sur le chic et sur sa parenté avec l’élégance et le snobisme. On y lit ceci : « Elle répétait souvent […] que Mme Vaudrey serait tout à fait charmante si elle avait du chic. Malheureusement elle est provinciale ; pas dans le mouvement. Elle sent toujours le Dauphiné ! » Et plus loin : « Elle voulait paraître. […] Elle appartenait corps et âme, à cette machine à multiple engrenage, brillante, tapageuse, leste, haletante comme une locomotive, qui s’appelle le chic. Le chic, mot indéfini, indéfinissable, variable et subtil hygromètre à cheveu, comme une tyrannie parisienne qui broie plus d’existences mondaines que le roi de Dahomey ne faisait de victimes aux jours de grandes fêtes. Tout pour Blanche, dans la vie la plus fouettée, la plus surexcitée, la plus nerveusement affolée, se réduisait à ces deux termes inévitables : ce qui était chic et ce qui n’était pas chic. Et non seulement ce qui était la mode, le vêtement le chapeau, les gants, le costume, l’étoffe, le bijou, la robe qu’il fallait porter, mais le livre qu’il fallait lire, la pièce qu’il fallait écouter. »

À côté, l’élégance pourrait sembler moins artificielle, elle l’est peut-être ; moins contraignante, elle ne l’est pas. Une cinquantaine d’années avant Monsieur le ministre, alors que le mot chic n’est guère en usage, Balzac écrit dans Illusions perdues : « Le baron du Châtelet avait parlé la langue du monde à une femme du monde. Il s’était montré dans toute l’élégance d’une mise parisienne […]. Par hasard, madame de Bargeton se mit à la croisée pour réfléchir à sa position, et vit partir le vieux dandy. Quelques instants après, Lucien, brusquement éveillé, brusquement habillé, se produisit à ses regards dans son pantalon de nankin de l’an dernier, avec sa méchante petite redingote. Il était beau, mais ridiculement mis. » Angoulême, ville d’origine de Lucien de Rubempré, vaut bien le Dauphiné… Chez Claretie comme chez Balzac, le sens du chic et de l’élégance est l’apanage d’une classe parisienne fortunée. C’est encore Lucien qui le constate : « J’ai l’air du fils d’un apothicaire, d’un vrai courtaud de boutique ! se dit-il à lui-même avec rage en voyant passer les gracieux, les coquets, les élégants jeunes gens des familles du faubourg Saint-Germain qui tous avaient une manière à eux qui les rendait tous semblables par la finesse des contours, par la noblesse de la tenue, par l’air du visage ; et tous différents par le cadre que chacun s’était choisi pour se faire valoir. »

On peut noter cependant que, paradoxalement, si le chic est synonyme d’artifice, ce caractère artificiel disparaît totalement quand il est employé comme adjectif antéposé, dans la langue familière, pour qualifier une personne. Si un homme chic ou une femme chic sont ceux qui suivent les injonctions de la mode du temps, on dira, s’agissant d’une personne qui se conduit avec délicatesse et bonhommie, qui attire la sympathie, que c’est un chic type, une chic fille.

Voyons pour terminer une courte leçon d’étymologie qu’a donné Littré au sujet du mot chic ; il est emprunté de l’allemand du Sud Schick, « convenance, habileté, savoir-faire ». On a cependant parfois donné une autre origine à ce terme. Littré en rend compte dans son Dictionnaire de la langue française. Il y écrit : « On assure que chic est le nom d’un jeune élève de David, pour lequel le maître avait beaucoup d’affection, et qu’il citait à tout propos à ses autres élèves ; le nom de ce jeune homme mort à dix-huit ans s’écrivait Chicque ». Il conclut par ces mots : « Il faut toujours se défier des étymologies anecdotiques, et, jusqu’à preuve contraire, l’étymologie allemande, qui est au Dictionnaire, reste la plus vraisemblable. »

Les dossiers y afférents ou y afférant ?

Le 3 juillet 2025

Emplois fautifs

Afférent est un adjectif, surtout en usage dans la langue juridique et administrative, tiré du participe présent de l’ancien verbe afférir, qui est lui-même issu du latin populaire afferire, altération de afferre, « apporter ». On l’emploie aujourd’hui dans des locutions comme les dossiers afférents à cette affaire ou les dossiers y afférents. Ce dernier tour a de quoi étonner, puisqu’il associe à un adjectif variable, afférent, un pronom, y, normalement associé à un verbe. Il s’agit là d’un archaïsme. L’usage du tour y afférent s’est en effet établi à une époque où le participe présent variait comme l’adjectif, et où la répartition des formes -ent /-ant n’était pas fixée ; le verbe afférir et son participe présent afférant, invariable, ne s’emploient quasi plus aujourd’hui, tandis que la forme ancienne afférent, à mi-chemin entre l’adjectif et le verbe, est restée dans notre langue.

Notons enfin qu’il existe une deuxième forme afférent, employée en anatomie, en particulier pour qualifier un nerf qui conduit l’influx nerveux de la périphérie vers les centres nerveux. Cet afférent est la francisation du latin afferens, participe présent de affere, « apporter ».

Pourquoi y a-t-il un « s » à « vraisemblance » et deux à « ressemblance » ?

Le 3 juillet 2025

Emplois fautifs

Vraisemblance est un mot composé, constitué de deux éléments (vrai et semblance) aussi denses sémantiquement et autonomes syntaxiquement l’un que l’autre, puisque le nom semblance, s’il est très vieilli aujourd’hui, s’employait couramment autrefois au sens d’« apparence extérieure ». Ce n’est pas le cas pour ressemblance, qui comprend un préfixe, re, qui ne s’emploie jamais seul et qui n’a pas la densité sémantique d’un nom ou d’un adjectif. Vraisemblance s’est d’ailleurs écrit avec un trait d’union jusqu’à la fin du xviiiesiècle (vrai-semblance), ce qui ne pouvait être le cas de ressemblance. Le sentiment de composition est donc suffisamment fort dans vraisemblance pour que l’on n’ait pas senti le besoin de marquer la frontière entre les éléments en redoublant le s, alors qu’on l’a fait avec des dérivés comme ressemblance ou ressortir qui, pour éviter une erreur éventuelle de prononciation, ont été systématiquement écrits avec une consonne double depuis le xviiesiècle. Signalons cependant que certains composés en re- plus récents, comme resituer ou resucée, où le radical se fait fortement sentir, ne comptent, eux, qu’un seul s.

Débunker

Le 3 juillet 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

On pouvait lire il y a peu, dans un grand journal du soir : « Si la perspicacité de certains internautes a permis de débunker ce kangourou virtuel, il a lancé un véritable débat. » Nous oublierons le kangourou pour nous pencher sur cet anglicisme, débunker. C’est une transcription du verbe anglo-américain to debunk, qui signifie familièrement « tourner en ridicule », mais aussi « démystifier ». L’histoire de ce verbe n’est pas sans intérêt. C’est un dérivé de bunk, « foutaises », lui-même abréviation de bunkum, de même sens. Quant à ce dernier, il s’agit d’une altération de Buncombe, nom d’un comté de Caroline du Nord devant sa célébrité à son représentant, Felix Walker (1753-1828), qui prit longuement la parole au Congrès pour mettre en avant sa circonscription. Son discours, très long et plein d’incongruités, exaspéra tellement ses collègues que buncombe, plus tard transformé en bunkum, devint le nom de toute harangue politique sans intérêt puis, plus largement, de tout propos oiseux. Aujourd’hui l’anglicisme débunker, s’emploie avec le sens de « mettre au jour une supercherie », « dénoncer une supercherie », « tourner en ridicule », « démystifier », expressions et verbe que le français pourrait utiliser.

Il faut sauver le nom « semaine »

Le 3 juillet 2025

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

1 000 ans ! Encore un quart de siècle et ce sera l’âge du nom semaine. Il a pour lui d’entrer dans le titre d’un roman de Jules Verne, Cinq Semaines en ballon, et d’Aragon, La Semaine sainte. La semaine des quatre jeudis fut naguère l’inaccessible Graal de générations d’écoliers. La semaine de quarante heures fut l’une des revendications majeures du Front populaire, suivie, bien plus tard, par la semaine de trente-cinq heures. Autant d’expressions qui ont donné à ce terme une assise temporelle, culturelle et historique qui devrait lui assurer une forme de pérennité. Le voici pourtant menacé. On parle depuis quelques années déjà de la fashion week, qui pourrait sans doute être remplacée, en pays francophone, par une « semaine de la mode », et voici qu’arrive maintenant l’étonnante France music week. Gageons qu’une « semaine de la musique » aurait été aussi compréhensible et sans doute préférable puisque, au nombre des temps forts de cette semaine, figurent des « sessions de création sur la thématique de la francophonie à la Cité internationale de la langue française ». Notons de surcroît qu’il existe déjà une semaine de la poésie, une semaine de la critique au festival de Cannes, et enfin une semaine de la langue française et de la francophonie qu’il serait bien malséant d’angliciser…

Prendre la clef des champs

Le 3 juillet 2025

Expressions, Bonheurs & surprises

L’expression prendre la clef des champs, « s’en aller, s’enfuir, s’évader », remonte au xve siècle. Dès cette époque, le nom champ désignait non seulement un espace destiné à l’agriculture (le champ du paysan) ou à l’activité militaire (le champ de bataille), mais aussi un espace ouvert − ni ville ni forêt − dans lequel on pouvait se promener, et cette liberté d’aller et venir symbolisait la détente ou l’évasion : rendre les champs à quelqu’un signifiait « lui donner sa liberté, le laisser partir » ; et avoir champ et voie, « être libre, pouvoir partir ». La clef des champs s’utilisait encore de façon autonome pour « la possibilité de sortir, d’être libre » : on désirait, demandait, ou on avait la clef des champs. La 1re édition de notre Dictionnaire (1694) enregistre encore deux de ces locutions : « On dit proverbialement & figurément Avoir la clef des champs, pour dire, “Estre en liberté d’aller où l’on veut”, & l’on dit, Donner la clef des champs à un homme, pour dire, “Le mettre en liberté”, ce qui s’applique aussi quelquefois aux animaux. » Il y a d’autres expressions rattachées à l’idée de liberté et au centre desquelles on trouve champ ou un nom de sa famille : avoir le champ libre signifie « avoir une totale liberté d’action », on peut aussi laisser le champ libre à quelqu’un, c’est-à-dire « ne point s’opposer à ses prétentions, ne point se mettre en concurrence avec lui », et on peut également, par extension et figurément, laisser le champ libre (on a dit aussi donner un champ libre) à son imagination, à sa colère. Nous avons emprunté campos dare ou habere, qui signifiait « donner ou avoir la permission d’aller jouer aux champs », de l’argot latin des écoliers. Francisée pour partie, l’expression a donné, dès le xve siècle, donner (ou avoir) campos ou campo, au sens de « donner ou avoir congé ». La 9e édition de notre Dictionnaire enregistre encore le terme campo ou campos, donné comme familier, avec le sens, légèrement différent, de « repos, relâche que l’on accorde ou que l’on s’accorde » (Les écoliers ont campos aujourd’hui).

L’ancien provençal est à l’origine de Prendre la poudre d’escampette, « prendre la fuite sans se faire remarquer, déguerpir », escampette étant le diminutif d’un ancien escampe, « fuite », déverbal d’escamper, que notre Dictionnaire donne encore à la forme pronominale s’escamper, « s’esquiver, se retirer furtivement », qui, lui, remonte à l’ancien provençal escampar, de même sens (où l’on reconnaît le latin campus qui a donné champ). Quant à la poudre, c’est l’ancien terme qui désigne la poussière (celle que soulève une course rapide sur un chemin de terre).

Notons que le latin campus, à l’origine de champ, signifie la plaine, le terrain plat, et non le « champ cultivé », appelé ager, nom qui a donné agriculture. Dès l’ancien français, champ a plusieurs sens très différents. Il désigne d’abord un espace rural, par opposition à ville : on retrouve ce sens dans l’adjectif champêtre et dans la forme vieillie et régionale champi, qui désignait « un enfant bâtard » (littéralement, « conçu ou trouvé dans les champs »). Ce terme doit en grande partie sa survie au roman de George Sand François le Champi. Champart, emprunté du latin médiéval campartum, composé de campus, « champ », et de pars, « partie », est un mot du droit féodal désignant, comme son nom l’indique, la part du produit du champ due par le paysan tenancier au seigneur possédant la terre. À cette famille appartient aussi le nom champignon, anciennement champigneul, qui signifie proprement « produit de la campagne ».

Champ désigna ensuite le lieu où se déroulent des activités militaires. Au xve siècle déjà, on trouve la locution champ de bataille ; quant à champion, qui désigne celui qui livrait en champ clos un combat judiciaire pour son compte ou pour celui d’autrui, il est tiré, comme l’allemand Kampf, « combat », du germanique kamp, « champ de bataille », un emprunt, là encore, du latin campus. Mais très vite, c’est camp (variante normande et picarde de champ) qui se charge de ces sens militaires. L’expression lever le camp, au sens de « partir », existe depuis le xviie siècle (c’est vers 1830 qu’apparaît le tour populaire foutre le camp). Camper signifiait à l’origine « établir des troupes dans un camp » ; il y a encore quelque chose de militaire dans l’attitude de celui qui campe son chapeau sur sa tête ou se campe dans un fauteuil avec une fermeté presque insolente. Campagne, autre dérivé du latin campus, voit, comme champ, ses emplois se partager entre le monde rural (une maison de campagne) et le monde militaire (les campagnes napoléoniennes). On a vu que de campus étaient tirés les formes camp et champs. Nous avons un phénomène semblable avec son dérivé campania, « plaine ; campagne », qui est aussi à l’origine de champagne. En effet, ce nom, avant d’être celui d’une région de l’est de la France puis du vin qu’on y produit, désignait une vaste étendue, et particulièrement, une plaine crayeuse.

Revenons pour conclure au sens de « vaste étendue » que nous avons vu au début pour le mot champ. C’est bien sûr à celui-ci que se rattachent les Champs-Élysées, au sujet desquels la deuxième édition de notre Dictionnaire écrivait joliment : « On appelle, Les champs Elysées, les champs Elysiens, des lieux souterrains & agreables où les Poëtes feignent qu’estoient receuës les ames des Heros, des personnes vertueuses. »