Dire, ne pas dire

Recherche

Jean-Luc C. (Domfront)

Le 8 janvier 2024

Courrier des internautes

Comment doit-on prononcer le u dans le verbe aiguiser ?

Jean-Luc C. (Domfront)

L’Académie répond :

Monsieur,

La prononciation du verbe aiguiser a été source de nombreux débats. Dans son Dictionnaire critique de la langue française (1787), Féraud écrit que l’on doit prononcer [éghizé]. Un peu moins d’un siècle plus tard, Littré propose une autre prononciation dans son Dictionnaire de la langue française : « [è-güi-zé] et non, comme quelques-uns prononcent, [èghizer ». Encore un siècle, et Albert Dauzat écrira : « La prononciation classique de ce mot est [è-gu-i-zé] dans laquelle le radical aigu doit se faire entendre comme dans aiguille. La prononciation [é-ghi-zé], particulièrement répandue en région parisienne, est due à une erreur de lecture. » Sur ce point, l’Académie ne suit pas Littré, puisqu’elle considère que la prononciation de ce terme est régulière (contrairement à celle d’aiguille, par exemple, dont la prononciation est notée depuis la 5e édition). Nous emprunterons donc notre conclusion à l’Encyclopédie du bon français de Dupré : « L’on ne doit proscrire absolument ni l’une ni l’autre. » Notons enfin que le digramme ai- que l’on trouve au début du mot est aujourd’hui prononcé avec un son intermédiaire entre le é fermé et le è ouvert.

Un tutoriel : « des tutoriels » ou « des tutoriaux »

Le 7 décembre 2023

Emplois fautifs

Au Moyen Âge les mots en -el eurent un pluriel en -eux ou en -eus. On écrivait ainsi tieus quand nous écrivons tels. Nous avons conservé quelques traces de ce phénomène avec cieux et cheveux. La forme ancienne de ce dernier au singulier était en effet chevel et son pluriel cheveux. Mais comme ce nom s’employait beaucoup plus souvent au pluriel, on a refait, à partir de ce dernier, un singulier cheveu. Aujourd’hui les pluriels des mots en -el sont, de façon régulière, en -els. On dit donc un tutoriel, des tutoriels et non des tutoriaux, comme on l’entend parfois.

« Donne-moi-s-en » ou « Donne-m’en »

Le 7 décembre 2023

Emplois fautifs

Pour éviter le hiatus entre une forme verbale et un pronom, ou entre deux pronoms, le français ajoute entre eux, dans certains cas, des consonnes euphoniques ; ce peut être un t, comme dans mange-t-elle bien ? ou un s, comme dans manges-en deux. Dans d’autres cas, on élide le pronom. Ainsi, à la 2e personne du singulier de l’impératif, à la forme positive, on écrit va-t’en ou retourne-t’en. Sur ce même principe, on écrit donne-m’en. C’est cette forme qu’il faut employer, même si la tentation peut être forte d’utiliser, par analogie avec donne-nous-en, les formes donne-moi-s-en ou donnes-en-moi. Rappelons enfin que si le pronom en commande l’élision du pronom qui le précède, il n’en va pas de même avec la préposition homonyme en. On dit donc, par exemple, donne-moi en priorité …, retourne-toi en partant.

« Catwalk » pour « Passerelle, podium »

Le 7 décembre 2023

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Pour dire passerelle, l’anglais emploie un nom imagé, catwalk, qui évoque la démarche souple de quelque félin. Mais aujourd’hui, on le trouve aussi dans des textes français traitant de la mode pour désigner l’estrade surélevée sur laquelle défilent les mannequins. C’est le sens du français podium, que l’on préfèrera utiliser pour nommer ce type d’installation.

« Étonner » pour « Surprendre »

Le 7 décembre 2023

Extensions de sens abusives

Bien connaître une langue suppose que l’on perçoit les nuances de sens existant entre différents synonymes. Pour ce faire, le Dictionnaire de la langue française de Littré est d’une aide précieuse. S’agissant des deux verbes qui nous intéressent, on y apprend que surprendre, c’est « saisir à l’improviste » tandis qu’étonner, c’est « recevoir un coup qui frappe comme le tonnerre ». Une anecdote, probablement apocryphe, montre que notre grand lexicographe donna de sa personne pour nous aider à saisir cette subtile distinction. En effet, à sa femme qui, l’ayant découvert en galante compagnie, s’était écriée : « Mon ami, je suis surprise ! », il répondit : « Non madame, vous, vous êtes étonnée, c’est nous qui sommes surpris. »

Jean-Yves D. (La Rochelle)

Le 7 décembre 2023

Courrier des internautes

J’ai lu dans L’Équipe un article, consacré au joueur de rugby anglais Alex Mitchell, intitulé Ça fait la rue Mitchell. Je comprends d’autant moins ce titre qu’à aucun moment il n’y est question de rue. Pourriez-vous me dire ce qu’il en est ?

Jean-Yves D. (La Rochelle)

L’Académie répond :

Monsieur,

Ce titre est inspiré de l’expression, aujourd’hui désuète Ça fait la rue Michel, qui était employée autrefois dans l’argot des cochers parisiens. Il existe en effet dans le 3e arrondissement de Paris une rue Michel-le-Comte (nommée avant 1806 rue Michel-Lepeletier). On trouvait jadis dans ce quartier les rédactions de plusieurs journaux et donc de nombreux conducteurs de fiacres qui attendaient que tel ou tel journaliste ait besoin de leurs services.

Quand ils avaient touché le prix exact de la course, ils employaient l’expression « ça fait la rue Michel-le-Comte », devenue au fil du temps « ça fait la rue Michel » en lieu et place de « Ça fait le compte, le compte y est ».

Il a déjà couru 19-83

Le 2 novembre 2023

Emplois fautifs

Le sport et la vitesse sont liés. Sera vainqueur qui courra ou nagera le plus vite ; une course d’élan plus rapide donnera des sauts plus longs et les engins de lancer iront d’autant plus loin qu’ils quitteront plus rapidement la main qui les propulse.

Mais ce qui vaut pour le geste sportif ne vaut pas obligatoirement pour le commentaire, qui ne doit pas s’affranchir des règles grammaticales. On dira donc de tel sprinteur qu’il a déjà couru (le 200 mètres) en 19 secondes 83 centièmes, voire « en 19-83 », mais non qu’il a déjà « couru 19-83 ».

 

on dit

on ne dit pas

Il a couru le 1 000 mètres en 2 minutes 44 secondes

Il a couru 2-44.

Vers-z-une heure de l’après-midi

Le 2 novembre 2023

Emplois fautifs

La liaison et l’élision permettent d’éviter nombre d’hiatus et assurent de la fluidité à la phrase. Omettre ces liaisons lui donnerait un caractère par trop heurté ; c’est donc une faute dont il faut se garder. Mais il convient aussi d’éviter l’erreur inverse, qui consiste à faire des liaisons quand l’usage n’en veut pas. On rappellera donc que dans les mots terminés par -rt et par -rs, ce s et ce t ne se lient pas au mot qui les suit. La liaison peut être faite avec le t de l’adverbe fort (mais non avec celui de l’adjectif). On dira donc ver(s) une heure de l’après-midi et non ver-z-une heure de l’après-midi, ou encore Où dor(t) Albert ? et non Où dort-t-Albert ?

Ajoutons cependant que, dans les mots terminés par une double consonne dont la dernière est un s, la liaison se fait généralement au pluriel, et marque ainsi celui-ci ; on dira donc un ver(s) admirable mais des vers-z-admirables.

 

on dit

on ne dit pas

Je par(s) en voyage

Son frère est for(t) en allemand

Il s’est mal comporté enver(s) elle

Je par-z-en voyage

Son frère est fort-t-en allemand

Il s’est mal comporté envers-z-elle

« Rookie » au sens de « Nouvelle recrue, débutant, novice, bleu »

Le 2 novembre 2023

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Rookie est un mot de l’anglais des États-Unis qui désigne un sportif effectuant sa première année dans un club professionnel nord-américain. Ce nom est une altération de l’anglais recruit, qui est lui-même un emprunt du français « recrue » (ce dernier serait un faux ami pour traduire rookie, puisqu’une nouvelle recrue peut avoir une longue expérience dans ce même championnat).

À rookie on préfèrera donc des termes comme nouveau, débutant, voire bleu.

« Roots » au sens de « Sommaire, rudimentaire »

Le 2 novembre 2023

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le nom anglais root, « racine » s’emploie parfois au pluriel comme adjectif en français au sens de « rudimentaire ». Ce mot s’est d’abord rencontré dans le domaine musical pour parler d’une musique, en particulier le reggae, qui restait fidèle à ses racines et ne cherchait pas à plaire par l’ajout de fioritures. Par extension, roots a ensuite qualifié des objets assez rudimentaires, strictement utilitaires et sans aucune prétention esthétique. Il a aussi été utilisé pour décrire un mode de vie sans confort, au plus proche de la nature, voire spartiate, comme celui qui fut vanté par Thoreau, dans Walden. Enfin roots s’est aussi employé pour qualifier qui faisait fi de toute convention sociale dans ses rapports à autrui. On pourra alors dire que cette personne est « nature », « brute de décoffrage » ou « rude ». Dans tous les cas vus ci-dessus, le français dispose de termes ou de locutions qui ont un sens équivalent à ceux de roots.

Pages