Dire, ne pas dire

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Paul D. (France)

Le 5 novembre 2015

Courrier des internautes

Bonjour ! Une petite question qui est source d’énervement à la maison : Le conditionnel est-il un mode ou un temps qui fait partie de l’indicatif ?

Paul D. (France)

L’Académie répond :

La grammaire traditionnelle fait du conditionnel un mode, mais nombre de grammairiens en font aujourd’hui un temps de l’indicatif ou du subjonctif.

Le conditionnel passé 2e forme est un subjonctif plus-que-parfait que l’on emploie dans certaines circonstances. Les conditionnels présent et passé 1ère forme sont des futurs du passé : Il dit qu’il viendra, il a dit qu’il viendrait ; il dit qu’il aura fini demain,  il disait qu’il aurait fini le lendemain.

On les trouve aussi, avec l’indicatif imparfait et plus-que-parfait, dans des systèmes conditionnels.

C’est aussi parce que notre langue est héritière du latin, dans lequel il n’y a pas de conditionnel, mais de l’indicatif et du subjonctif dans les systèmes hypothétiques, que certains font des temps du conditionnel des temps de l’indicatif ou du subjonctif.

Divagation sur l’esprit des mots

Le 1 octobre 2015

Bloc-notes

Michael Edwards
Divagation sur l’esprit des mots

Si, depuis qu’un instinct clair mais néanmoins curieux nous y pousse, nous créons des mots en leur donnant un sens, les mots semblent parfois nous répondre, en offrant des sens supplémentaires. Vivant bien plus longtemps que nous, ils se présentent accompagnés d’une riche histoire, d’une mémoire souvent foisonnante. Nous y trouvons des sens qui échappent aux dictionnaires.

Exemple : univers, du latin universum, à l’origine neutre singulier de l’adjectif universus, « universel, général, intégral ». Universum laisse voir une pensée plus qu’intéressante. Lui-même dérivé de unus et du participe passé de vertere, « tourner, se tourner », il suppose que tout ce qui existe tourne pour se joindre, que tout se rassemble en un seul étant. Que la multiplicité cherche l’unité ; que le multiple est un, et l’un, multiple. Le mot donne un sens très lumineux et très fort à la totalité de ce qui est. Cependant, c’est une vision des choses, une perspective sur l’espace-temps qui ne va pas de soi, et que les Grecs ne partageaient pas : ils tenaient plutôt l’univers pour un système bien ordonné, un kosmos. Nous héritons le mot univers, qui nous induit peut-être, de façon subliminaire, à voir le monde à sa manière. Ceux qui ne considèrent pas l’univers comme une unité accueillant le multiple, comme une multiplicité s’accomplissant dans l’un (ni comme un cosmos dont les lois ne résultent pas simplement des hypothèses vérifiées des hommes), pourraient désirer un autre terme. La théorie qui domine aujourd’hui paraît même le contraire de la conception romaine. Le noyau primitif super condensé figurerait l’unité, que la multiplicité, constituée par les galaxies issues du big bang, fuirait avec une insouciante précipitation. L’expression l’univers en expansion est un oxymore.

Univers contient d’autres surprises, moins visibles et encore plus réjouissantes. On y aperçoit le vers, non pas en jouant sur les mots, mais en remontant de nouveau à l’origine. Vers aussi vient du participe passé de vertere, versus, qui, substantivé, signifie « ligne, sillon, ligne d’écriture, vers ». Le poète se tourne à la fin de son vers, comme le laboureur au bout de son sillon. Le poème réussi ressemble à un champ bien labouré. La poésie prendrait sa source à la fois dans le contact avec la terre (on pourrait ajouter : avec ce qui nous entoure au quotidien, avec le travail), et en même temps avec l’univers, avec l’immensité qui nous reçoit. Elle porterait à sonder à la fois l’ordinaire et le sublime, le vécu au jour le jour et les aspirations les plus élevées.

Dans univers on découvre également la préposition vers, puisqu’elle aussi vient de versus dans le sens de « tourné dans la direction de… ». Un poème ne serait pas tout à fait un monde clos, immobile, intemporel : il s’ouvrirait à l’ailleurs et à l’avenir. Il représenterait, non la fin, mais le commencement d’un voyage vers quelque chose. L’univers aussi aurait une direction à prendre, un but à atteindre.

D’autres mots invitent à réfléchir ainsi, de façon libre et spéculative. Sens est particulièrement piquant. Deux origines : sensus, « signification » en latin, et sinno, « direction » en germanique, semblent s’être confondues en ancien français. Que cette confusion est judicieuse ! Elle nous souffle, si nous voulons bien l’écouter, qu’une signification à chercher est un chemin à suivre, que le sens d’une œuvre littéraire, artistique, philosophique, théologique, est moins une interprétation bien structurée, une paraphrase à contempler, qu’une direction indiquée. Le sens d’une œuvre serait le sens dans lequel elle s’engage.

Si nous voulons bien, en effet, car les allusions répandues par l’évolution des mots ne prouvent rien et sont, en elles-mêmes, sans signification. On ne peut pas conclure de quelqu’un, s’il est obsédé par la peur, que la peur s’assoit devant lui, s’il conspue un orateur, qu’il lui crache dessus, ou si un désastre le frappe, qu’il est né sous une mauvaise étoile. La notion du sens étymologique d’un mot nous fourvoie. Les mots nous suggèrent simplement, par les conversations qui se développent entre eux, par l’intelligence qu’ils semblent avoir de rapports insoupçonnés entre divers phénomènes, des pensées neuves, d’attirantes possibilités, des idées à poursuivre, ou à abandonner.

Sir Michael Edwards
de l’Académie française

Choisir au hasard

Le 1 octobre 2015

Emplois fautifs

Choisir consiste à sélectionner une ou plusieurs personnes, une ou plusieurs choses parmi d’autres plus nombreuses en fonction de critères particuliers. Cette action suppose donc que l’on examine sérieusement les qualités et les défauts des éléments, des candidats en présence. Il ne s’agit en rien d’un tirage au sort où seul le hasard décide : on évitera en conséquence d’accoler les termes choisir et hasard puisqu’ils sont contradictoires.

 

On dit

On ne dit pas

Prendre une personne, un livre au hasard

Choisir une personne, un livre au hasard

Tirez une carte au hasard

Choisissez une carte au hasard

 

Attardé au sens de retardataire

Le 1 octobre 2015

Extensions de sens abusives

Attardé peut être adjectif : il qualifie alors quelqu’un qui se trouve à une heure tardive en quelque endroit (Des passants attardés se hâtaient de rentrer) ou, figurément, ce qui est d’un autre temps, qui est démodé (Des conceptions attardées). Employé comme nom, il prend un sens différent et désigne une personne dont le développement intellectuel a été entravé. On se gardera donc bien de le confondre, en ce sens et dans la langue du sport, avec des mots ou expressions comme retardataire, qui a pris du retard, etc.

On dit

On ne dit pas

Le peloton des retardataires

Le retour des coureurs qui avaient été distancés

Le peloton des attardés

Le retour des attardés

 
 

Urgence au sens d’imminence

Le 1 octobre 2015

Extensions de sens abusives

Les mots urgence et urgent s’emploient pour évoquer ce qui requiert une action, une décision très rapide : on parlera par exemple de l’urgence d’une mesure, d’une intervention. On se gardera donc bien de les confondre avec les mots imminence et imminent, qui servent à évoquer ce qui menace de survenir très prochainement. On ne parlera donc pas, comme le faisait il y a peu une chaîne d’informations en continu, de « l’urgence du réchauffement climatique », mais bien de « l’imminence du réchauffement climatique ».

On dit

On ne dit pas

L’imminence d’une guerre, d’une crise

La catastrophe est imminente

L’urgence d’une guerre, d’une crise

La catastrophe est urgente

 

Isabelle-Cristina de S. (France)

Le 1 octobre 2015

Courrier des internautes

Auriez-vous la gentillesse de me dire si on dit « la communion de Tom » ou bien « la communion à Tom » ?

J’en profite pour vous féliciter. J’ai regardé l’émission sur Antenne 2 et vraiment j’ai apprécié ce que fait l’Académie. Il est vraiment dommage que l’Éducation nationale ne suive pas la même ligne ! Merci pour votre réponse... Je suis une banlieusarde, immigrée, mais amoureuse de la France (ma mère patrie adoptive) et je souhaite lui rendre honneur en appliquant correctement son langage.

Isabelle-Cristina de S. (France)

L’Académie répond :

Au nom de toute l’équipe de Dire, Ne pas dire et du Service du Dictionnaire, merci pour vos compliments. Nous essaierons de nous en montrer dignes. On dit La communion de Tom.

La préposition à marque normalement l’appartenance après un verbe (cette maison est, appartient à notre ami). On l’emploie avec la même valeur devant un pronom, seule (un ami à nous) ou pour reprendre un possessif (c’est sa manière à lui). Mais on ne peut plus l’employer entre deux noms, comme on le faisait dans l’ancienne langue, sauf dans des locutions figées (une bête à Bon Dieu), par archaïsme ou dans un usage très familier. On dira : la voiture de Julie, les fleurs de ma mère.

Richard-Emmanuel R. (Belgique)

Le 1 octobre 2015

Courrier des internautes

Voilà plusieurs temps que je me pose une question. Fort de mon bilinguisme, je sais qu’en allemand, en présence d’un mot composé, celui-ci prend le genre du deuxième mot.

En français, c’est une tout autre affaire. Un porte-manteau, pas de soucis.

Mais j’entends souvent « le » multiprise, ou plus couramment « le » porte-monnaie.

Existe-t-il une règle régissant la détermination du genre de ces mots composés, ou bien est-ce au cas par cas ?

Richard-Emmanuel R. (Belgique)

L’Académie répond :

Les noms composés dont le premier élément est une forme verbale sont en règle générale du masculin (et l’élément verbal est invariable). Pour le pluriel du second élément, l’usage est mal fixé, mais le Conseil supérieur de la langue française a conseillé en 1990 de le faire varier dans tous les cas où cela est possible. Donc : un pince-affiche, des pince-affiches.

Le genre des autres noms composés est celui de l’élément qui porte l’essentiel du sens, et qui vient le plus souvent en tête dans les cas où l’on trouve nom + nom (un bracelet-montre, une montre-bracelet), mais bien sûr en second dans les cas où l’on trouve préposition ou adverbe + nom ou verbe (un sous-vêtement, une sous-station ; le non-être).

Densification personnelle

Le 7 septembre 2015

Emplois fautifs

Pour avoir égorgé leurs maris la nuit de leurs noces, les Danaïdes furent condamnées à remplir éternellement d’eau un tonneau sans fond. On peut parfois se demander si nombre d’experts en communication ne commirent pas le même crime, puisqu’ils semblent victimes de la même punition, obligés qu’ils sont de créer toujours de nouvelles tournures, qui sortent de l’usage presque aussi vite que le faisait l’eau du tonneau des filles de Danaos. On a ainsi appris, il y a peu, que tel personnage politique devait travailler sa densification personnelle. Il ne s’agissait pas pour lui de se livrer aux joies du culturisme et d’aller transpirer en soulevant de la fonte, mais d’améliorer son image afin d’être plus courtisé par des médias. On abandonnera sans regret à leurs ingénieux créateurs ce type de productions qui semblent amenées à disparaître aussi rapidement que s’enfuyait l’eau des Danaïdes.

 

Adversité

Le 7 septembre 2015

Extensions de sens abusives

Les noms adversaire et adversité ont la même origine, le latin advertere, « tourner vers ou contre », mais leurs sens différent grandement. Adversité désigne le sort contraire, la fortune adverse et, par extension, les malheurs provoqués par cette mauvaise fortune. L’adversaire est la personne opposée à une autre dans un procès, une lutte, une compétition. Il convient de ne pas confondre ces deux termes et de faire d’adversité une forme de singulier collectif qui désignerait l’ensemble des adversaires.

on dit

on ne dit pas

Nous n’avons pas pu mettre notre jeu en place, les adversaires étaient trop forts

Affronter des adversaires redoutables

Nous n’avons pas pu mettre notre jeu en place, l’adversité était trop forte

Affronter une adversité redoutable

 

L’Académie française, un village médiéval ?

Le 8 juillet 2015

Expressions, Bonheurs & surprises

Les noms de métier, avant d’être fixés par l’usage et par l’écriture, évoluaient rapidement et, si certains se sont maintenus sans grands changements jusqu’à nous, comme tailleur, sergent ou berger, d’autres sont plus difficiles à identifier. Ainsi, en ancien français, médecin se disait mire ou mierre. Et c’est d’ailleurs d’un texte médiéval intitulé Le Vilain mire, c’est-à-dire « Le Paysan médecin », que s’est inspiré Molière pour écrire Le Médecin malgré lui. Mais les patronymes, dont un grand nombre étaient des noms de métiers, sont, pour d’évidentes raisons administratives, beaucoup plus stables, et c’est grâce à eux que nous sont parvenues certaines formes aujourd’hui hors d’usage. Si l’on prend comme échantillon les membres de l’Académie française dont le patronyme, à l’origine, signalait une profession, cette Académie n’est plus, comme dans l’Antiquité, un jardin, mais un petit village médiéval au travail. Nous le verrons maintenant puisque, dans les lignes qui suivent, tous les noms en italique sont noms d’académiciens, dont certains sont quelque peu tombés dans l’oubli.

Il était essentiel de pourvoir à la nourriture des habitants de ce village. L’élevage y tenait donc une place importante : pour s’occuper des moutons, un Pasteur et son diminutif Pastoret, (l’auteur de la devise Aux grands hommes la patrie reconnaissante, qui orne le fronton du Panthéon). Pour les bœufs, des bouviers, Boyer et Bouhier (qui l’un et l’autre combattirent l’élection de Montesquieu). Le miel était fourni par l’apiculteur, Abeille, les fruits et légumes par des marchands, entre autres Dumézil, qui vendait du grain venu peut-être d’un producteur de millet, Millot, qui fut, lui, couronné pour un Éloge de Montesquieu ; Fraguier, grand latiniste et helléniste, était marchand de fraises, Poirot-(Delpech) de fruits, et les carottes, navets et radis étaient vendus par un certain Racine. Pour délimiter les terrains des uns et des autres, on faisait appel à un géomètre, poète et auteur dramatique, Bornier. Pour bâtir les maisons, un maçon, Masson, (qui fut Secrétaire perpétuel de 1919 à 1923), un Charpentier, auteur du célèbre De l’Excellence de la langue françoise, et des menuisiers, aux noms moins transparents, Capus, qui fut dramaturge, et Boissier, qui fut en son temps professeur d’éloquence latine au Collège de France. Le bois leur était fourni par un bûcheron, poète et dramaturge, Coppée. Tous ces gens avaient besoin d’outils, fabriqués par les forgerons : les hommes politiques et ministres Favre, Faure et Dufaure, mais aussi Le Goffic que tuèrent les mondanités et obligations dues à son élection.

Pas de village, en effet, sans artisans. On retrouvait des fabricants de cuves, comme le père de la paléontologie Cuvier, de fagots (Faguet, qui fut membre de la commission de réforme de l’orthographe), de seaux (Seillière), de cribles (Crébillon), de serpes (Goyau, brièvement Secrétaire perpétuel), de roues (Royer, en son temps professeur de philosophie à l’École normale supérieure). Il fallait aussi vêtir et chausser tous ces gens. Pour cela on allait chez Lemercier, un ennemi irréductible de Victor Hugo, chez le foulon Batteux, qui se présenta contre d’Alembert aux fonctions de Secrétaire perpétuel, chez le fabricant de pelisses, Pellisson, qui écrivit la première Histoire de l’Académie française, de chaussures, Patin, un temps Secrétaire perpétuel, ou chez le cordonnier, Schumann, la voix de la France libre. Si ce village venait à être attaqué, des armes étaient nécessaires : si l’on comprend aisément que Fléchier, qui fut évêque, était fabricant de flèches, le fabricant d’arcs, Boegner, qui fut pasteur, est plus difficile à identifier. On pouvait demander l’aide d’un écuyer, Scudéry, qui fut quelque peu éclipsé par sa fille Madeleine, et d’un porteur de bouclier, le jurisconsulte et avocat Target. Pour les éventuels blessés, un médecin Lemierre, qui fut favorable aux idées de la Révolution, et un chirurgien Barbier pouvaient être mandés. Certains, avant de passer de vie à trépas réclamaient les secours d’un moine, Moinot, d’un Chapelain, chez qui se réunirent quelquefois les premiers académiciens, éventuellement accompagné d’un sacristain, Messmer. Un village idéal, plein d’harmonie, de tranquillité et de paix ? Rien n’est moins sûr. Pour rendre la justice, se trouvait un Prévost, un des rares suicidés de l’Académie française, assisté d’un greffier Scribe, le bien nommé polygraphe, car, qui sait ? peut-être s’y cachait-il un voleur, Robbe-(Grillet), nom dérivé de l’ancien français rober, « piller » qui est à l’origine de dérober et du nom anglais robber, « voleur ».

 

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