Dire, ne pas dire

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Carole D. (France)

Le 5 septembre 2019

Courrier des internautes

Bonjour, quelle est la bonne façon d’écrire fut ici ?

Merci beaucoup d’avance !

Or, pour fructueuse et revendiquée qu’elle fût, cette relation de filiation n’en est pas moins marquée par l’ambivalence.

Carole D. (France)

L’Académie répond :

Le groupe pour + adjectif + que est suivi du subjonctif. Voyez le vers de Corneille, Le Cid (Acte I, Scène III) :

« Pour grands que soient les rois, ils sont ceux que nous sommes :

Ils peuvent se tromper comme les autres hommes. »

On écrira donc … pour fructueuse et revendiquée qu’elle fût…

Federer va jouer Nadal en demi-finale

Le 4 juillet 2019

Emplois fautifs

Le verbe jouer est transitif direct quand il a pour objet des noms de personnes et que ceux-ci sont des personnages de fiction ou des personnages réels incarnés sur scène ou à l’écran : Elle joue Toinette dans « Le Malade imaginaire » ; Henri Fonda a joué Théodore Roosevelt junior dans « Le Jour le plus long ». Jouer s’emploie aussi avec un nom de personne complément d’objet direct quand il a le sens de « tromper, abuser » : Il le joue depuis des mois, en lui faisant espérer cet emploi. Nous avons été joués par cet escroc. On se gardera d’employer cette construction directe quand jouer signifie « affronter un adversaire, jouer contre quelqu’un ». On ne dira donc pas Federer va jouer Nadal en demi-finale, mais Federer va jouer contre Nadal ou Federer va affronter Nadal ; la preuve en serait, si besoin était, que, contrairement aux cas évoqués plus haut, la transformation passive est ici impossible ; on ne dit en effet pas Nadal a été joué par Federer en demi-finale.

On dit

On ne dit pas

La France rencontre l’Italie en finale

Les Français sont opposés aux Anglais en quart de finale

La France joue l’Italie en finale

Les Français jouent les Anglais en quart de finale

Domfront ? Dame Oui ! Oui Da !

Le 4 juillet 2019

Expressions, Bonheurs & surprises

Certaines communes françaises ont un nom commençant par dom- ou dam-, comme Domfront ou Dampierre. Ces préfixes, dom- ou dam-, sont des formes d’ancien français, issues du latin dominus, « seigneur, maître », ou domina, « maîtresse », et qui, entre autres sens, signifiaient, en latin médiéval, « saint, vénérable ». Aujourd’hui, dans la toponymie, cohabitent des formes en Dam(p) et en Saint-. Ainsi ce n’est qu’en 1861 que Domfront absorba sa voisine nommée Saint-Front, placée comme elle sous le pieux patronage de Front de Passais, un ermite du vie siècle. Dans certains cas le nom du saint ou de la sainte qui a donné son nom à quelque commune (ou, plus rarement, à quelque patronyme) est facilement reconnaissable : Dampmartin (rappelons que dans tous ces toponymes dom(p) et dam(p) se prononcent comme dont et dans) est l’équivalent des très nombreuses communes appelées Saint-Martin ; Domprémy, aussi écrit Domrémy, un équivalent de Saint-Rémy. Mais, dans d’autres cas, le nom latin du saint a conservé, pour la commune ou la paroisse, la forme qu’il avait au Moyen Âge, tandis que le nom donné à la personne était francisé. Ainsi Dampmart, Dampleux et Danvou sont-ils des équivalents de saint Médard, de saint Loup et de saint Victor, tandis que Dombasle, la commune de Meurthe-et-Moselle signifie « saint Basile », et que Dompvitoux, située dans le département voisin de la Moselle, est le nom ancien de saint Vanne, qui fut un des premiers évêques de Verdun. Ces formes étaient aussi parfois, mais plus rarement, formées avec un nom féminin. Il existe ainsi des communes ayant pour nom Dampmarie, et sa variante Dame-Marie, ou Damville, et sa variante Donville (notons que la dame-jeanne, cette grosse bouteille, n’a pas sa place dans cette pieuse liste).

Ce féminin, dame, est aussi une interjection lancée pour donner plus de poids, parfois à une négation, dame non ! mais le plus souvent à une affirmation, dame oui ! Il s’agit d’une forme abrégée de Notre-Dame, une invocation à la vierge, que l’on prenait à témoin pour attester de la vérité de ses propos.

À cette famille, on aimerait bien ajouter une autre exclamation, da !, employée elle aussi pour donner plus de force à un propos et en particulier à une affirmation, mais l’étymologie ne le permet pas. De cette affirmation, le Dictionnaire de Nicot nous apprend qu’« elle est faite par Syncope ou contraction, de Deà, et affermit la diction où elle est adjoustée, comme non dà, ouy dà », tandis que celui de l’Académie française nous informe qu’elle « ne se met jamais qu’aprés une affirmation ou une negation : Ouy-da, si-da, nenni-da, vous le ferez da » et qu’elle « est du style familier & bas ». Littré complète ce tableau dans son Dictionnaire en nous en donnant l’origine : « La forme ancienne est dea, monosyllabe, une autre encore plus ancienne est diva. D’après Diez [un philologue allemand du xixe siècle, considéré comme le père de la linguistique romane], diva est composé des deux impératifs, di (dis) et va ». On trouvait au Moyen Âge ce rôle de renforcement dévolu au simple impératif va. On lit ainsi dans Le Roman de Renart : Lesse, va, tost les chiens aler (« Laisse, oui, laisse vite aller les chiens ») ; on l’a étoffé ensuite en y ajoutant l’impératif di, parfois en le répétant, ce que l’on peut lire, par exemple, dans Les Trouvères ribauds de Rutebeuf : Et tu, diva di, faz noienz (« Toi, ah oui vraiment, tu ne fais rien »). Da n’est plus guère en usage et Diva a aujourd’hui disparu. On pourra cependant constater avec amusement que ce dernier a été dans certains cas remplacé par l’exclamation familière presque homonyme, dis voir, que l’on emploie pour mettre son interlocuteur au défi de démentir les propos qui viennent d’être tenus. C’est ainsi qu’en use Jules Renard dans Poil de carotte, quand, dans le chapitre intitulé « Le Coffre-fort », un domestique nommé Pierre dit : « Je t’ai vu, je t’ai vu, Poil de Carotte, dis voir un peu que je ne t’ai pas vu. »

Audrey B. (France)

Le 4 juillet 2019

Courrier des internautes

On dit « un licencié ès lettres » mais peut-on dire « ès anglais » ?

Merci d’avance pour votre réponse.

Audrey B. (France)

L’Académie répond :

Ès est une ancienne préposition signifiant « en les ».

Elle doit être suivie d’un nom au pluriel : ès lettres, ès sciences. Avec un nom singulier, on emploie en : en anglais, en droit.

Hafidha L. (Tunisie)

Le 4 juillet 2019

Courrier des internautes

Bonjour,

S’il vous plaît, quand dit-on : « à raison de » et « en raison de » ?

Merci de votre réponse.

Hafidha L. (Tunisie)

L’Académie répond :

Madame,

Les locutions en raison de et à raison de sont équivalentes lorsqu’elles signifient À proportion de, à la mesure de. Par exemple, on paya cet ouvrier à raison de l’ouvrage qu’il avait fait. L’industrie de l’homme croît en raison de ses besoins.

Cependant, la locution en raison de a également un sens qui lui est propre et signifie alors vu, en considération de, eu égard à. Par exemple, En raison de son extrême jeunesse. En raison des circonstances. Elle ne peut pas être concurrencée dans ce sens par À raison de.

Siegfried N. (France)

Le 4 juillet 2019

Courrier des internautes

Mesdames et Messieurs les Académiciens,

On dit au camarade qui s’en va affronter quelque épreuve « Haut les cœurs ! »

L’orthographe correcte n’est-elle pas plutôt « Hauts les cœurs » ?

D’où vient d’ailleurs cette locution si singulière ?

Merci à vous,

Siegfried N. (France)

L’Académie répond :

Monsieur,

Ici, haut est employé adverbialement (et est donc invariable), comme dans haut les mains et non *hautes les mains.

C’est une traduction du latin d’église Sursum corda que l’on traduit aussi parfois par « Élevons nos cœurs ». Il s’agit d’une exhortation au courage.

Scènes de genre

Le 6 juin 2019

Bloc-notes

Au fil du temps, nombre de féminins ont pris leur indépendance et ne rejoindront pas les supposés conjoints. La fourrière, où sont enfermés les animaux abandonnés et les véhicules encombrant la voie publique, s’est radicalement séparée du fourrier, chargé du cantonnement des troupes. La cantonnière, bande d’étoffe garnissant l’encadrement d’une porte, d’une fenêtre, du cantonnier, préposé à l’entretien des routes. La chauffeuse, chaise basse pour s’asseoir au coin du feu, a divorcé du chauffeur, elle préfère rester à la maison ! Côté métiers, il serait inconvenant d’apparier l’entraîneur sportif et l’entraîneuse des trottoirs. Le féminin de « marin » est débordé : bateaux, voiliers, navires, gens de mer, bords de mer, la « marine » en peinture, la couleur bleu foncé, bref, pas la moindre place. Quant au féminin de « matelot », il reconduit illico aux fourneaux. La matelote, « composée de plusieurs sortes de poissons d’eau douce, cuits à l’étuvée avec du vin et des aromates ».

Chicanons. Supposons qu’une femme veuille exercer le métier de plombier, elle se heurte à la plombière(s) : « entremets glacé à base de crème anglaise au lait d’amandes, additionné de fruits confits parfumés au kirsch », selon notre Dictionnaire, qui précise que le « s » provient de Plombières, station thermale des Vosges où cette glace a été inventée et servie à Napoléon III.

Les genres se font des scènes. Au regard du moissonneur, la moissonneuse n’est qu’une machine, la moissonneuse-batteuse. Les grands glaciers ignorent la modeste glacière. Le poudrier de nos sacs à main renie la poudrière et la poudre à canon. Enfin si l’Église catholique tarde à accepter les femmes, c’est encore un problème de grammaire : quel féminin trouver à curé, si la curée est une « pâture constituée par les bas morceaux de l’animal de chasse qu’on abandonne aux chiens après la prise » ? Et à aumônier, si l’aumônière est « une petite bourse complétant une robe de mariage ou de première communion » ?

Tout ça pour dire qu’il ne faut pas se presser, féminiser à outrance, tout abréger en langage enfançon… genre, j’te fais un p’tit coucou, bisous, bye.

Florence Delay
de l’Académie française

Salop ou Salaud ?

Le 6 juin 2019

Emplois fautifs

Étymologiquement, salope n’est pas le féminin de salaud. Celui-ci est dérivé de sale, alors que celui-là est composé à l’aide de sale et de hoppe, forme dialectale de huppe, un oiseau qui traîne la triste réputation d’être particulièrement malpropre (dans L’Iris de Suse, de Giono, le narrateur, parlant d’une huppe, dit qu’il l’a « surprise en train de gabouiller [patauger], dans des gadoues malodorantes »). Salope signifie donc d’abord « très sale », et on lisait dans l’édition de 1835 de notre Dictionnaire : « Cet enfant, cette petite fille est salope, est bien salope ». Ce sens s’est peu à peu modifié et salope est aujourd’hui un terme d’injure employé pour désigner une personne très vile et digne du plus profond mépris. Il est ainsi devenu un équivalent de salaud, qui a évolué de la même façon. Si la forme salaude existe, dans l’usage c’est bien salope qui sert de féminin à salaud. Il en va de même avec le dérivé salauderie, tombé en désuétude au profit de saloperie.

À l’inverse, de salope a été tiré un masculin, salop, que l’on rencontre en particulier chez des auteurs du xixe siècle, comme Flaubert, Maupassant ou Verlaine, mais qui reste d’un usage limité et souvent archaïsant. C’est bien, au masculin, salaud et, au féminin, salope qu’il faut employer, en précisant toutefois que le féminin salope peut avoir une forte connotation sexuelle.

Adventure game

Le 6 juin 2019

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Pauvre tour Eiffel ! Elle est considérée comme un des emblèmes de Paris, voire de la France. On pourrait dès lors supposer qu’elle s’exprime en français. Las, après avoir été ornée naguère d’un triste made for sharing, voici que pour fêter son 130e anniversaire, on invite les jeunes Franciliens et Parisiens à un grand adventure game en son sein. Parler de « jeu de piste » n’aurait-il pas été possible ? Espérons tout de même que les francophones auront également l’autorisation de participer à ces festivités.

Un roman par au lieu d’Un roman de

Le 6 juin 2019

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

En français, le complément d’agent est généralement introduit par la préposition par : La chèvre a été mangée par le loup. Il est, rarement, introduit par de – ainsi, dans Les Confessions, Rousseau écrit : « … Je posais mon livre au pied d’un arbre […] au bout de quinze jours, je le retrouvais pourri ou rongé des fourmis et des limaçons » – et, beaucoup plus rarement encore, par la préposition à, le plus souvent contractée avec un article défini – on lit dans Vagabondages, de Marcel Aymé : « On riait, on riait, on ne voyait pas du tout que le décor était mangé aux mites. » On dira donc un livre écrit par Balzac, un film réalisé par Renoir, un tableau peint par Picasso. En revanche, en l’absence de participes, le nom de l’auteur n’est pas un complément d’agent mais un complément du nom ; il est alors introduit par la préposition de : un livre de Balzac, un film de Renoir, un tableau de Picasso. On se gardera bien de remplacer cette préposition par par, notamment lorsque l’on traduit des textes de l’anglais vers le français et que l’on est tenté d’imiter la structure de l’anglais. On traduit a novel by Faulkner par « un roman de Faulkner » et non par « un roman par Faulkner ».

On dit

On ne dit pas

Un film de Chaplin

Un tableau de Hopper

Un film par Chaplin

Un tableau par Hopper

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