Dire, ne pas dire

Beau, Joli

Le 19 juin 2025

Nuancier des mots

Les adjectifs et noms beau et joli sont synonymes mais le premier est en quelque sorte le superlatif du second. Littré écrivait d’ailleurs : « Le joli n’est qu’un diminutif du beau ; il n’en a ni la grandeur, ni la régularité, ni la généralité, ni l’idéal. » Il illustrait son propos avec ces exemples : « La chaîne des Pyrénées vue du haut du pic du Midi est un beau spectacle ; un joli paysage est quelque chose de bien plus restreint. » Et il concluait ainsi : « Enfin le joli n’a point un type idéal de perfection auquel les lettres et les arts cherchent à se conformer. »

La grandeur du beau, son caractère imposant suscitent l’admiration, mais aussi, parfois, une forme de crainte respectueuse. La première édition de notre Dictionnaire notait d’ailleurs que « Le beau est au dessus du joli. On n’aime pas tousjours le beau, on aime quelquefois mieux le joli. » C’est encore peu ou prou ce qu’écrivait trois siècles plus tard Paul Dupré dans son Encyclopédie du bon français dans l’usage contemporain : « La nuance essentielle est qu’on garde un sentiment de supériorité vis-à-vis du joli, tandis qu’on a un sentiment d’infériorité vis-à-vis du beau. Il en résulte que l’on se sent parfois plus à l’aise devant le joli que devant le beau. »

Le beau semble parfois le privilège de la maturité. Littré écrit d’ailleurs : « Un vieillard peut avoir une belle tête ; mais il n’a jamais un joli visage », tandis que, dans la chanson de Serge Reggiani Votre fille a vingt ans, on entend : « On la trouvait jolie, et voici qu’elle est belle. » On retiendra cependant que, pour Victor Hugo, la grandeur semble surpasser la beauté, comme en témoigne ce vers de Booz endormi : « Car le jeune homme est beau mais le vieillard est grand. »

Ces deux adjectifs, beau et joli, peuvent aussi qualifier ce qui est digne d’être pris en considération, ce qui n’est pas à dédaigner. On pourra donc dire autant une belle somme qu’une jolie somme, voire, pour utiliser un adjectif dont le sens n’est pas très éloigné, mais qui suppose certaine frivolité, une somme coquette.

Beau et joli sont synonymes quand ils sont employés par antiphrase : Vous avez fait un beau gâchis, un joli gâchis, voire du beau travail, du joli travail. Mais on constate que, dans ce contexte, la substantivation de beau n’est pas en usage et que, si l’on peut dire facilement vous avez fait du joli, on n’emploie pas vous avez fait du beau, remplacé par vous avez fait du propre.

Beau est également un terme de courtoisie et de respect, que l’on trouve dans les formes composées beau-père, belle-mère, beaux-parents, beau-fils, belle-fille. C’est aussi cette courtoisie et ce respect qui expliquent l’emploi de la locution le beau sexe pour désigner les femmes ; signalons à ce propos que, même si elle existe, la locution le joli sexe est beaucoup moins en usage.

La différence de poids de ces deux adjectifs est peut-être liée à leur étymologie. Beau est emprunté du latin bellus, qui est lui-même un dérivé de bonus, « bon ». Cette origine leste beau de sens moraux que n’a pas joli. On se souvient aussi que, chez les Grecs, l’alliance du beau et du bon chez un individu en faisait un type d’idéal, le kaloskagathos, proprement « celui qui est beau et bon ». On constate aussi que si les philosophes et les moralistes se sont attachés, au moins depuis l’Hippias majeur de Platon, à définir le beau, cette recherche n’a pas été menée pour le joli. Serait-ce lié à son origine ? Joli a une ascendance plus joyeuse : en ancien français se jolivier signifiait « faire la fête », et joli s’est d’abord rencontré sous la forme jolif, avec le sens de « festif ». Jolivier et jolif sont en effet tirés de l’ancien scandinave jöl, aussi à l’origine de jul, « Noël », en suédois et en norvégien, mais qui, autrefois, désignait les fêtes païennes de la lumière organisées quand les jours commençaient à rallonger. Ces fêtes anciennes célébraient, nous dit Littré, « le tour que fait le soleil retournant sur ses pas au solstice d’hiver ». Cette idée de tour et de retour explique que ce mot, jöl, soit à l’origine de l’anglais wheel, « roue », mais aussi de yuletide, nom que l’on donne parfois, en Angleterre, à la période de Noël. Toutes raisons qui expliquent qu’il y a dans joli une certaine légèreté qu’on ne trouve pas dans beau.