Dire, ne pas dire

Glaner, glaneur, glanure

Le 5 mai 2014

Expressions, Bonheurs & surprises

« Ils étaient trois petits enfants
Qui s’en allaient glaner aux champs… »

Le verbe Glaner signifie « ramasser les épis de blé restés sur le champ après la moisson ». L’origine de ce verbe a longtemps fait débat. Jean Nicot écrit dans son Thresor de la langue françoise : « Aucuns estiment qu’il vient de ce mot latin, Glans, glandis, Parce que jadis le froment n’étant pas en usage, on vivoit de gland & que glaner est comme si on disoit Glander ou Glandéer, amasser du gland. » Mais il est aujourd’hui admis que ce verbe est issu d’un radical gaulois *glenn-, « cueillir ».

Le glanage est une activité très ancienne. Sa pratique suppose de la part de ceux qui possèdent les terres une forme d’assistance envers les plus démunis. Aussi fut-elle, dès les temps les plus anciens, règlementée. On lit ainsi dans le Lévitique (19, 9 et 10) : « Tu ne glaneras pas ta moisson. Tu ne grappilleras pas ta vigne. Tu les abandonneras au pauvre et à l’étranger. » Et dans le Deutéronome (24, 19) : « Lorsque tu feras la moisson dans ton champ, si tu oublies une gerbe, ne reviens pas la chercher. Elle sera pour l’étranger, l’orphelin et la veuve. »

Dans le haut Moyen Âge, la loi salique organisera, elle aussi, le glanage. On y lit : « Si quelqu’un a glané dans la moisson sur pied d’autrui, il sera condamné à 600 deniers. » Ce montant est important, il correspond en effet à l’amende dont on devait s’acquitter pour le meurtre d’une esclave dont on n’était pas propriétaire.

Des coutumes locales ont aussi régi cette activité, en précisant que le glanage devait s’effectuer en plein jour, qu’il était interdit pendant les fêtes religieuses ou le repos dominical, sous peine d’amende.

Le glanage sera de nouveau codifié par un édit d’Henri II, du 2 novembre 1554, qui s’ouvre par cette déclaration liminaire rappelant le Lévitique : « Combien que par les degrez de charité, l’homme ne puisse moins faire pour son prochain que de luy estre liberal de ce qui ne lui profite point et qui pourrait un peu profiter à autrui. » Le texte fait également obligation aux personnes valides, hommes ou femmes, de s’engager comme moissonneurs et leur interdit de glaner : « Ce que permettons, dit le texte, aux gens vieux, debilitez de membres, aux petits enfants ou aux autres personnes qui n’ont pouvoir ni force de scier. Les désobéissans et contrevenans à cette ordonnance, est-il écrit dans la conclusion, seront punis comme larrons. »

L’édit ne mentionne pas explicitement les glaneuses. Cet oubli sera rattrapé par Le Grand Vocabulaire françois (1770), où l’on peut lire : « Ce sont ordinairement des femmes qui vont glaner les champs. » Ce point est confirmé par l’iconographie. Il n’est que de songer aux célèbres Glaneuses de François Millet, mais aussi au Rappel des glaneuses, de Jules Breton, ou aux Glaneuses de Champbaudouin, d’Edmond Hédouin. C’est également une glaneuse qu’évoque Victor Hugo dans Booz endormi :

« Ce vieillard possédait des champs de blés et d’orge / […] Sa gerbe n’était point avare ni haineuse / Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuse : / Laissez tomber exprès des épis, disait-il. »

Rappelons que, comme de nombreux autres verbes liés à la cueillette ou au ramassage, les mots de la famille de glaner ont quitté les champs pour s’étendre à des termes abstraits ; c’est aussi le cas pour grappillage, qui a d’abord désigné le fait d’aller ramasser les grappes restées sur la vigne après la vendange. On glane des renseignements, on grappille quelques connaissances au fil de ses lectures, on recueille des informations.

Ainsi La Bruyère écrit : « L’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d’entre les modernes. » Et Voltaire : « Les anecdotes sont un champ réservé où l’on glane après la vaste moisson de l’histoire. » De même, si la glanure désigne d’abord ce que l’on glane dans les champs, elle désigne aussi des notes et documents courts, glanés sur divers sujets. Ceux-ci peuvent ensuite être mis en gerbe dans un ouvrage ; c’est ce que fit Littré en publiant en 1880 ses « Études et glanures pour faire suite à l’Histoire de la langue française ».

Notons pour conclure que cette activité, qui semblait sortie d’usage, se pratique de nouveau de nos jours, tant dans les champs que sur les marchés, et on rencontre maintenant le syntagme glaneur urbain. Agnès Varda en a fait naguère un film, Les Glaneurs et la Glaneuse, dans lequel on retrouve le sens concret et le sens figuré de glaneur.