Dire, ne pas dire

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Audrey M.

Le 20 novembre 2012

Courrier des internautes

Avec des amis, nous nous sommes posé la question de savoir s'il fallait ou non mettre une majuscule au nom des notes de musique dans les phrases ?

Audrey M.

L’Académie répond

Les noms des notes sont des noms communs et ne prennent pas la majuscule. Une clé de fa, un do dièse, un mi bémol, etc.

Ces noms ont été trouvés par le moine italien Guy d'Arezzo qui a utilisé les premières syllabes d’un hymne latin à saint Jean Baptiste.

En voici le texte :

Ut queant laxis
resonare fibris
Mira gestorum
famuli tuorum
Solve polluti
labii reatum
Sancte Iohannes

Ce qui veut dire :

« Afin que les serviteurs
puissent chercher, avec des
voix libérées, le caractère
admirable de tes actions, ôte,
saint Jean, le péché de
leurs lèvres souillées. »

Si est composé des deux premières lettres de Sancte Iohannes.

Dans les pays de langue allemande, on utilise des lettres de A à H, ce qui permit à Bach de signer, par les notes BACH  (Si bémol, la, do, si) certaines de ses œuvres, en particulier L’Art de la fugue.

Domitille B.

Le 10 novembre 2012

Courrier des internautes

Doit-on dire crayon de papier, crayon à papier ou crayon de bois ? ou autre chose !

Domitille B.

L’Académie répond

Depuis que le crayon à mine a été mis au point par l'ingénieur normand Nicolas-Jacques Conté, il a reçu de nombreuses dénominations : crayon à mine, crayon de bois et crayon à papier. C'est cette expression qui est la plus employée, même si les autres sont correctes. En effet, naguère les élèves avaient une craie à ardoise et un crayon (lui-même diminutif de craie) à papier, (ce crayon pouvant bien sûr être en bois ou de bois).

Quand un mot insensé en vide beaucoup d’autres de leur sens

Le 8 novembre 2012

Bloc-notes

M. Marc Fumaroli
Un de nos fidèles lecteurs de cette rubrique : « Dire, ne pas dire », M. Henri Raynal, poète et auteur de plusieurs ouvrages de salubrité publique langagière, m’adresse par lettre toute une série d’observations tirées de son dernier ouvrage (Ils ont décidé que l’univers ne les concernait pas). Elles méritent d’être partagées avec l’ensemble d’entre nous, tous autant que nous sommes, amis de notre langue et anxieux des périls qui l’assaillent. M. Raynal fait remarquer que le plus dangereux de ces périls n’est pas l’invasion de l’anglais et des anglicismes, fort encombrante il est vrai, mais provient des locuteurs français eux-mêmes, qui se font complaisamment véhicules de mots employés à contresens, et se substituant d’autorité aux mots qui font sens. Il compare ces mots intrus, qui éliminent les mots légitimes et faussent la précision et donc la clarté de notre langue, à ces « virus » qui, introduits malignement dans un système informatique, ruinent son fonctionnement, ou encore à ces « algues tueuses » qui, une fois introduites dans un écosystème marin, y font un ménage par le vide.

Quelques exemples. Le mot produit : il tend à éliminer, dans sa vague généralité, les mots exacts article, œuvre, denrée, engin, appareil, équipement, et à désigner aussi bien un appartement mis en vente par une agence qu’un voyage organisé par un autre type d’agence, une formule de placement pour demandeur d’emploi, un disque compact dans un grand magasin ou une installation d’art contemporain dans une galerie ad hoc. Trop de choses très différentes désignées en vrac par un seul mot de la langue de bois commerciale.

Autre exemple, le participe passé dédié. Lorsqu’un « trader » nous explique qu’il a été « dédié en tant qu’assistant à un desk », il devrait dire affecté. Lorsqu’un magazine vante son « équipe de journalistes dédiés », il veut dire spécialisés, mais il préfère recourir à ce qualificatif vaguement noble, et vidé de son sens quasi synonyme de consacré. Du coup, consacré est éliminé de la langue, en compagnie de réservé, destiné, dévolu à ; ou bien conçu, étudié, utilisé pour ; ou encore spécialisé, approprié à.

Encore d’autres ? Gérer, employé à tout bout de champ et éliminant maîtriser, administrer, surmonter, mener à bien, etc.

Opportunité : au sens exact, c’est le caractère de ce qui vient à propos, celui par exemple d’un moment propice, saisi à temps ou manqué. Vidé de ce sens et employé à bouche que veux-tu, il est réduit au sens d’occasion commerciale, de solde, de possibilité, d’offre, et met au rancart tous ces mots.

Évident, mot cartésien par excellence – qualifiant l’acquiescement sans réserve de la raison à une conclusion qui s’impose, s’est dégradé en facile, ou, à la forme négative, en difficile, compliqué, autant d’appréciations fort vagues.

Récupérer : on ne va plus chercher ses enfants à l’école, on va les récupérer. On ne recueille plus un naufragé, on le récupère. On ne va plus retrouver l’autoroute, mais la récupérer. Hommes, bêtes et choses sont ramassés à égalité par le même râteau, qui se substitue à tout un riche vocabulaire.

Structure : mot fourre-tout, mot à prétention savante, tend à remplacer bâtiment, service, administration, organisme, agence, groupe, institution, compagnie, entreprise, équipement, installation, charpente, échafaudage.

À travers : cette locution adverbiale a quasi phagocyté par, avec, au moyen de, grâce à, à l’aide de, par l’entremise de, à la faveur de, à l’occasion de, par l’intermédiaire de. On dira : « Ces informations nous sont parvenues à travers les insurgés », « J’ai connu Jean à travers Fabienne », ou même on écrira : « À la bataille de Crécy les chevaliers s’affrontèrent à travers leurs lances. »

Ce phénomène de rétrécissement de la langue par impropriétés grotesques mais tueuses n’avait pas assez été remarqué ni diagnostiqué. Merci, Monsieur Henri Raynal !

 

Marc Fumaroli
de l’Académie française

Adjectifs au lieu de groupes prépositionnels

Le 8 novembre 2012

Emplois fautifs

On ne doit pas procéder à des extensions d’emploi d’adjectifs, qui sont fautives, pour remplacer des tours prépositionnels corrects. Porcin signifie « relatif au porc, qui évoque le porc ». On pourra parler d’yeux porcins, mais on dira un éleveur de porcs et non un éleveur porcin. On dira aussi à juste titre variole équine ou pied équin pour désigner, chez l’homme une malformation du pied, mais on dira un éleveur de chevaux.

Carte électorale s’emploie pour désigner le découpage d’un territoire en circonscriptions et les résultats dans celles-ci. C’est d’ailleurs avec ce dernier sens que l’expression est utilisée par Stendhal dans Lucien Leuwen. Elle ne devrait pas se substituer à carte d’électeur.

 

Depuis

Le 8 novembre 2012

Emplois fautifs

La préposition Depuis a d’abord été utilisée pour introduire un complément circonstanciel de temps : Il est absent depuis lundi dernier. Son emploi s’est étendu à des compléments circonstanciels de lieu se rapportant à un verbe de mouvement : Depuis Lyon, nous avons roulé sous la pluie, et à des constructions corrélatives, généralement avec la préposition Jusqu’à : La France s’étend depuis les Alpes jusqu’à l’Océan. En dehors de ces cas, c’est la préposition De qui marque l’origine et non Depuis.

 

On dit

On ne dit pas

De la tour, vous voyez tout le village

Il l’a salué de sa fenêtre

Des images retransmises de Londres

Depuis la tour, vous voyez tout le village

Il l’a salué depuis sa fenêtre

Des images retransmises depuis Londres

 

Briefer, débriefer

Le 8 novembre 2012

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Les formes anglaises sont issues de l’ancien français Bref, « lettre, message », qui subsiste encore aujourd’hui dans le vocabulaire religieux. Ces deux anglicismes, limités jusqu’à il y a peu, aux mondes diplomatique et militaire, ont gagné ensuite le vocabulaire de l’aviation, du sport, de l’entreprise et sont maintenant entrés dans la langue courante. Il existe en français un grand nombre de verbes et d’expressions qui permettent de se passer aisément de ces anglicismes, ainsi que de leurs dérivés Briefing et Débriefing.

 

On dit

On ne dit pas

Informer ses collaborateurs

Une réunion préparatoire

Faire le bilan d’un match

Une réunion bilan

Briefer ses collaborateurs

Un briefing

Débriefer un match

Une séance de débriefing

 

Jadis et naguère

Le 8 novembre 2012

Expressions, Bonheurs & surprises

Le sens de ces adverbes s’explique par la manière dont ils sont composés. On retrouve dans Jadis « ja », la forme ancienne de Déjà, et dis, « jours », que l’on retrouve dans dimanche, lundi, mardi, etc. Jadis, « il y a déjà des jours et des jours », renvoie à un temps très lointain.

Ainsi, François Villon a évoqué dans la Ballade des dames du temps jadis, que Georges Brassens mettra plus tard en musique, des reines de France qui avaient vécu quelques siècles avant lui.

Naguère, « il n’y a guère (de temps) », indique une époque beaucoup plus proche de la nôtre. On évitera donc de l’employer au sens d’« autrefois, anciennement ».

Dans le recueil de Verlaine Jadis et naguère, paru en 1884, se trouvent des poèmes mêlant ces deux époques, et le fameux et atemporel Art poétique.

 

Cédric D.

Le 8 novembre 2012

Courrier des internautes

Je souhaiterais savoir quel est la prononciation du verbe voir au subjonctif présent et si il est possible de prononcer "voye".

Cédric D.

L’Académie répond

La prononciation de voient est la même à l’indicatif et au subjonctif. On n’y fait pas entendre le son y. Littré signale que dans Le Dépit amoureux, Molière fait du subjonctif voient un mot de deux syllabes. Il ajoute « Ceci est une ancienne prononciation qu’on entend encore fort souvent. Aujourd’hui voient est d’une seule syllabe ».

C’est l’analogie avec les formes voyions et voyiez qui a contribué au maintien de cette prononciation fautive. Mais aujourd’hui, tous les grammairiens sont d’accord avec Littré et veulent la prononciation voi. Il en va de même pour voie.

Défendons nos valeurs !

Le 4 octobre 2012

Bloc-notes

 

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« Défendons nos valeurs ! », « Revenons à nos valeurs ! », « les valeurs de la démocratie et de l’école », « les valeurs chrétiennes de l’Europe » – dans le discours, le recours aux valeurs devient d’autant plus commun que les difficultés de la société conduisent à des crises que l’on ne peut plus dénier. Dans ces emplois, la valeur prend le rang de la règle fondamentale, de la loi morale, du bien et du mal, bref d’une instance normative, indépendante des errances du moment, à laquelle, dans le désarroi général, on pourrait toujours avoir recours.

Il s’agit d’un contresens sur le sens du mot. Car une valeur dépend toujours d’une évaluation, et donc d’un évaluateur. Même la valeur d’un guerrier ou d’un héros, au sens ancien, suppose, pour se manifester, la comparaison avec un autre, moins valeureux. Dans la plupart de ses emplois modernes, la valeur tire son sens d’une valorisation, d’une appréciation : la valeur d’une action en Bourse dépend du nombre d’acheteurs réels ou potentiels rapporté au nombre de vendeurs potentiels ou réels – ce qui reproduit le mécanisme de la valeur des produits sur tout marché. Ce modèle économique, en fait financier, de la valeur ne se développe dans de nouveaux domaines (l’art, les œuvres de l’esprit, mais aussi le travail salarié, les systèmes de protection, la santé, l’éducation, l’image de marque dans l’opinion publique, etc.) qu’à la mesure de l’interprétation de ces domaines selon le système du marché, selon les lois de l’offre et de la demande, selon le qu’en dira-t-on électronique. Notre époque tend à généraliser cette interprétation et l’extension du marché, même aux domaines jusqu’alors non inclus dans l’économie et dans l’échange (le travail non salarié, les relations familiales, etc.), en recule les limites.

Dès lors, les croyances, les opinions et même les idéologies peuvent, par analogie, devenir des valeurs : de fait, il y a un marché des croyances et des opinions que soutient la demande de certains groupes, qui les imposent comme le signe et le résultat de leur propagande ou de leurs pressions. Chaque groupe social vante ses valeurs, combat, pétitionne, manifeste, influence et manœuvre pour elles.

Mais cette logique, bien connue et quotidiennement constatée, définit – et l’on peut se référer ici à Nietzsche – le nihilisme, l’époque où « les plus hautes valeurs se dévalorisent ». Elles ne se dévalorisent pourtant pas parce qu’elles manquent de soutien, puisque le marché des valeurs n’a jamais été plus concurrentiel qu’aujourd’hui. Elles se dévalorisent au contraire parce que nous savons tous que ce qui s’imposera, au terme d’une lutte confuse et arbitraire n’offre que la valeur qu’un groupe social, simplement plus nombreux ou mieux organisé que les autres, aura réussi à imposer. La victoire d’une valeur, quand elle apparaît comme ce qu’elle est, à savoir l’effet d’une force politique et idéologique, signifie donc qu’elle n’a aucune validité en elle-même, mais qu’elle résulte du succès, un temps heureux, de ses évaluateurs. Elle triomphe, mais jamais par elle-même. Elle triomphe, mais, pour cela même, ne vaut rien d’autre que ce que veulent ses soutiens.

On comprend donc que l’affirmation frénétique de nos valeurs confirme le nihilisme autant et même mieux que leur défaite. Dans les deux cas, il ne s’agit que des sous-produits de la volonté de puissance. On comprend que certains aient pu stigmatiser la qualification de valeur comme « le plus grand blasphème » que l’on puisse jamais porter contre une chose. Ni, par exemple, Dieu, ni la liberté, ni la famille, ni même la démocratie ne méritent qu’on les ravale au rang sans honneur de valeurs, ce résidu de la volonté de puissance et de son arbitraire. Mais alors, que sont-elles ? Des réalités, que nul ne peut ni ne doit défendre, mais qui, au contraire, défendent, par leur inébranlable force, interne et irréfutable, ceux qui les honorent. Rien de réel ni de significatif ne s’abaisse au rang d’une valeur. Tout cela nous offre une réalité, qui nous soutient et nous fait nous en réclamer.

Les discours politiques et idéologiques devraient le savoir. Et, puisqu’ils ne le savent pas, le dictionnaire doit le rappeler.

 

Jean-Luc Marion
de l’Académie française

Derrière

Le 4 octobre 2012

Emplois fautifs

Derrière, qu’on l’emploie comme préposition ou comme adverbe, introduit une précision quant au lieu, jamais une indication d’ordre chronologique.

 

On dit

On ne dit pas

Nous écouterons ce candidat puis, ensuite, et après cela, la réponse de son adversaire

 

Et après le plat, à la suite du plat, prendrez-vous un dessert ?

 

Je suis pressé de terminer, j’ai autre chose à faire ensuite, après, par la suite

 

Qu’arrivera-t-il ensuite, après cela ?

Nous écouterons ce candidat et, derrière, la réponse de son adversaire

 

Et derrière le plat, prendrez-vous un dessert ?

 

Je suis pressé de terminer, j’ai autre chose à faire derrière

 

Qu’arrivera-t-il derrière ?

 

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