Dire, ne pas dire

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« Dire, Ne pas dire » un an après

Le 3 janvier 2013

Bloc-notes

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Un an après le lancement de Dire, Ne pas dire il est légitime de s’interroger sur les effets de l’initiative que prit alors notre Académie de doter son site d’un outil permettant une relation plus ouverte, plus spontanée avec ceux des internautes qui se disaient sensibles au bon usage de notre langue et qui semblaient douter de notre réactivité face aux agressions dont elle était victime. À cette interrogation la réponse est claire, ces effets furent heureux. Chacun des cent cinquante articles  concernant les emplois fautifs, les extensions de sens abusives, les néologismes, les anglicismes, etc., qui y furent proposés et retenus chaque mois par notre Compagnie fut à l’origine d’une correspondance abondante et riche de suggestions rejoignant les nôtres. Si certains reprochèrent à l’Académie un retard dans l’adoption de mots récents, le plus souvent injustement car il s’agissait de mots déjà admis par la Commission du Dictionnaire, mais non encore publiés ou présents sur la Toile, et si d’autres l’accusèrent d’être trop passive, cette correspondance fut le plus souvent enthousiaste car elle répondait aux soucis de nos lecteurs, auxquels il était démontré que l’Académie ne restait pas indifférente aux entorses infligées couramment à la langue française. En somme un vrai dialogue s’établit entre notre Compagnie et un public passionnément attaché au bien parler.

Une étude statistique de la fréquentation de Dire, Ne pas dire nous confirme qu’à la curiosité que suscita l’annonce par les médias de son lancement a succédé une consultation régulière, attentive de ses pages. Une analyse précise de son audience au cours des dix premiers mois de son existence, du 1er novembre 2011 au 31 août 2012, met en évidence les éléments suivants : 45 395 visiteurs uniques nous ont fréquenté, qui furent responsables de 63 483 visites en consultant 199 387 pages (3,14 pages par visiteur) avec, ce qui est notable, une durée moyenne de visite de 2 minutes 49 secondes et un taux de rebond de 55 %. 72 % d’entre eux nous rendaient visite pour la première fois tandis que 28 % consultèrent plusieurs fois notre site. Il est intéressant de noter que, parmi les rubriques proposées, c’est celle des Emplois fautifs qui fut la plus consultée, suivie à égalité par Extensions de sens, Bonheurs et surprises et Néologismes et anglicismes. Les bloc-notes sont régulièrement lus. C’est donc, en moyenne, 4 500 internautes qui s’informent chaque mois des propositions de notre site Dire, Ne pas dire. Ils sont une fraction des 33 429 internautes qui, entre le 22 octobre et le 21 novembre derniers, ont rendu visite au site de l’Académie française. Une majorité d’entre eux est naturellement d’origine française (23 044) à laquelle s’ajoutent deux à trois mille francophones originaires en parts égales du Canada, de Suisse, de Belgique et d’Algérie. Il en vient aussi des États-Unis, d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne, environ huit cents pour chacun de ces pays. On remarque aussi que la correspondance entretenue avec Dire, Ne pas dire s’est modifiée au cours des mois. Si les internautes signalèrent au départ les fautes les plus grossières du langage parlé et se rassurèrent en voyant que l’Académie les réprouvait également, ils nous ont ensuite demandé si telle ou telle expression, lue ou entendue ici ou là, était correcte et d’en préciser, le cas échéant, les conditions d’emploi. Ils entretiennent avec le Service du Dictionnaire des échanges dont il nous paraît judicieux de publier chaque mois les plus instructifs. Il apparaît nettement que la création de Dire, Ne pas dire a favorisé cette relation avec le Dictionnaire de l’Académie française et le service si compétent de ce dictionnaire.

Peut-on prétendre encore que l’Académie française se cloître entre ses murs et reste indifférente aux mauvais traitements infligés à notre langue ? S’il se peut que certains le croient encore, je les invite à taper sur leur clavier « Académie française » et à choisir, parmi les diverses rubriques qui sont offertes, « Dire, Ne pas dire». Ils y retrouveront sans doute une part de leurs préoccupations concernant notre belle langue.

 

Yves Pouliquen
de l’Académie française

Candidater

Le 3 janvier 2013

Emplois fautifs

Les noms terminés en -at sont assez fréquents en français. Ils désignent le plus souvent un titre ou une dignité, essentiellement dans les domaines historique, religieux ou administratif : consulat, pontificat, notariat. Ces noms en -at peuvent aussi désigner des personnes : certains appartiennent à la langue populaire ou familière (bougnat, loufiat, malfrat, galapiat), mais ceux, les plus nombreux, qui appartiennent à la langue courante sont des formes empruntées à d’anciens participes passés latins : légat, avocat, castrat, lauréat ou candidat. Candidatus signifie, proprement, « vêtu de blanc », car à Rome les candidats aux élections revêtaient une toge blanche. On évitera donc de faire dériver de ce nom un verbe actif. On n’*avocate pas, on ne *lauréate pas, on se gardera de *candidater. On utilisera des formes comme postuler, être candidat (à), briguer, poser sa candidature.

On dit

On ne dit pas

Postuler un emploi de comptable
 

Être candidat à la députation

Poser sa candidature pour un poste de jardinier

Candidater pour un emploi de comptable


Candidater à la députation

Candidater pour un poste de jardinier

 

En termes de

Le 3 janvier 2013

Emplois fautifs

La locution En termes de signifie « dans le vocabulaire de » : en termes de diplomatie, en termes de sport, en termes de marine, de droit, etc., et on ne doit pas lui donner d’autres significations. En termes de, au sens de « en matière de, quant à, pour ce qui est de, du point de vue de », est un anglicisme à proscrire.

 

On dit

On ne dit pas

En matière d’efficacité

Quant à la consommation

Pour ce qui est du confort

En termes d’efficacité

En termes de consommation

En termes de confort

 

Checker, check-list, to-do-list

Le 3 janvier 2013

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Check-list signifie « liste des vérifications à effectuer ». Ce mot anglais a longtemps été cantonné au vocabulaire de l’aviation, mais il s’est depuis peu répandu dans tous les domaines de la vie courante. On a ensuite créé le verbe Checker, qui s’est substitué abusivement à « contrôler » ou « vérifier ». Depuis peu est apparue la To-do-list, la « liste des choses à faire », ce qui est proprement le sens d’agenda.

 

On dit

On ne dit pas

Contrôler ce qui doit l’être

Vérifier les points importants

Consulter ses courriels

Noter sur son agenda, son carnet, une liste de tâches

Contrôler la check-list

Checker les points importants

Checker ses mails

Noter sur sa to do list

 

Déduit

Le 3 janvier 2013

Expressions, Bonheurs & surprises

La vie a longtemps été perçue comme un chemin d’obligations dont on ne devait pas dévier. C’est pourquoi les mots désignant le loisir et le plaisir appartiennent souvent au champ lexical de l’écart par rapport à la route droite, du pas de côté. Nombre de ces mots sont formés avec les préfixes séparatifs di(s)- ou dé- et des radicaux marquant un mouvement. C’est ce que l’on a dans les verbes distraire et divertir. C’est aussi ce que l’on avait dans l’ancien français desporter et desport, l’ancêtre du mot sport. On trouve dans un fabliau ces paroles d’un sacristain à la femme qu’il veut débaucher :

            Que se g’ai de vos le deport

            Ge ne quier rien plus ne demant,

            Foi que doi Diex omnipotent

« Si vous me donnez du plaisir, je ne réclame ni ne demande rien de plus, par la foi que je dois à Dieu tout-puissant ».

Le verbe déduire, dont le participe passé a donné la forme archaïque le Déduit, « les plaisirs », appartient à cette même série. On trouve dans les textes du Moyen Âge trois grands types de déduits : Le déduit d’écu et de lance, pour les tournois, le déduit de chasse et le déduit de femmes ou, simplement, déduit, qui désigne les plaisirs amoureux. Froissard écrit dans ses Chroniques : « S’ils furent cette nuit ensemble [Charles VI et Isabelle] en grant deduit, ce pouvez-vous bien croire. »

De la mer des Caraïbes à « La Tempête » de Shakespeare - Voyages d’un mot

Le 3 décembre 2012

Bloc-notes

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C’est le marin Rodrigo de Triana qui, dans la nuit du 11 au 12 octobre 1492, vit la terre en premier. Sauvés. L’île de l’archipel des Bahamas sur laquelle ils débarquèrent au matin, Christophe Colomb la baptisa aussitôt San Salvador. Des Indiens nus et pacifiques vinrent à leur rencontre. À ce que croit comprendre Christophe Colomb (les uns parlant le castillan et les autres l’arawak, comment se pourraient-ils comprendre ?), les pacifiques ont grand peur des guerriers d’une terre ou d’une île voisine, qui ont des têtes de chien, mangent des êtres humains, et qu’ils appellent Caniba ou Canibal. Ils parlent des Cariba (qui donneront leur nom à la mer des Caraïbes), mais Colomb entend Caniba. Can, en espagnol, signifie « chien » (d’où les têtes de chien), et kan (même prononciation) signifie « khan ». Or on sait que Colomb a « découvert » l’Amérique par hasard : il est en fait à la recherche des Indes miraculeuses de Marco Polo, et se croit quasi arrivé. Dans son Journal de bord transcrit et abrégé par le père Las Casas (l’original ayant disparu), on peut lire le 11 décembre de la même année : « Je répète donc, dit l’Amiral, que Caniba n’est pas autre chose que le peuple du Grand Khan, qui doit être voisin de celui-ci. Ils ont des vaisseaux, viennent capturer ceux-ci et, comme ceux qui sont pris ne reviennent pas, les autres croient qu’ils ont été mangés. Chaque jour, dit l’Amiral, nous comprenons mieux ces Indiens, et eux de même, bien que plusieurs fois ils aient entendu une chose pour une autre […] » !

Notre Dictionnaire rappelle ainsi l’étymologie du mot cannibale : n. xvie siècle, canibale. Emprunté de l’espagnol canibal, lui-même de l’arawak caniba, « hardi », servant à désigner les Caraïbes antillais.

Michel de Montaigne n’avait pas trente ans quand il se rendit à Rouen, à la suite de l’armée royale qui reprit la ville aux huguenots. C’est là qu’en compagnie du roi Charles IX, qui avait douze ans, il fit la rencontre de trois Indiens du Brésil qui furent interrogés sur leurs premières impressions : entrée des traducteurs. Il parla à l’un d’eux fort longtemps, pas assez à son gré, déplorant la bêtise du truchement. Il en apprit beaucoup plus auprès de Villegagnon. Cet ancien marin avait été envoyé vers l’actuel Brésil par Coligny avec six cents colons pour « prendre terre », terre qu’il nomma « la France antarctique » et où il passa plusieurs années. Montaigne se fie à lui : « Cet homme que j’avoy, estoit homme simple et grossier, qui est une condition propre à rendre veritable tesmoignage ; car les fines gens remarquent bien plus curieusement et plus de choses, mais ils les glosent. » De plus, Villegagnon ne manque pas de lui faire rencontrer plusieurs matelots et marchands qu’il a connus pendant son voyage. De cette véritable enquête et de sa réflexion naît le magnifique essai intitulé « Des Cannibales » (Essais, livre I, chapitre XXXI), chef d’ceuvre de tolérance. Le mot est donc entré en France au xvie siècle, et par la grande porte. Sous la plume de Montaigne il prend un autre sens :

« Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. »

La traduction anglaise des Essais de Montaigne parut en 1603. William Shakespeare s’en inspire à plusieurs reprises dans sa dernière pièce, La Tempête. Le duc magicien Prospero, victime d’une trahison, a été abandonné au large sur un esquif avec sa fille Miranda. Père et fille ont survécu. Les vents les ont conduits jusqu’à une île où Prospero utilise ses pouvoirs magiques pour se faire obéir des esprits qui la peuplent. C’est lui qui suscite la tempête, ayant chargé l’esprit de l’air qu’il tient à son service, le gracieux Ariel, de provoquer le naufrage d’un vaisseau qui compte parmi ses passagers ceux qui l’ont trahi.

La société rêvée qu’imagine le bon Gonzalo, un des naufragés, emprunte maints traits à la société dite sauvage des « Cannibales ». Mais le plus étonnant est le nom donné par Shakespeare à l’esprit de la terre, habitant légitime de cette île, être difforme et maudit que Prospero a réduit à l’esclavage. S’inspirant du mot « cannibale », le poète anglais l’a nommé Caliban.

Dans un essai qui provoqua de vives discussions, Caliban parle, paru en 1928, notre confrère Jean Guéhenno exposait son expérience d’enfant du peuple devenu agrégé et faisait de Caliban le mal-aimé le symbole du peuple. Dans un autre essai paru à Cuba en 1971, l’écrivain Roberto Fernàndez Retamar réhabilite à son tour celui qui, à ses yeux, incarne les habitants spoliés et colonisés de « notre » Amérique. Son livre, traduit en français aux éditions Maspero, a pour titre Caliban Cannibale, titre qui résume notre histoire.

 

Florence Delay
de l’Académie française

Des fois

Le 3 décembre 2012

Emplois fautifs

Aux adverbes de temps Parfois et Quelquefois, on ne doit pas substituer la locution adverbiale Des fois. On ne doit pas non plus employer la locution conjonctive Des fois que pour Au cas où.

 

On dit

On ne dit pas

Quelquefois, il reste des semaines sans venir nous voir

Parfois il neige jusqu’en mai

Au cas où il y aurait un problème, n’hésitez pas à me prévenir

Des fois, il reste des semaines sans venir nous voir

Des fois, il neige jusqu’en mai

Des fois qu’il y aurait un problème, n’hésitez pas à me prévenir

Rappelons que l’exclamation populaire Des fois peut s’employer pour marquer avec véhémence son désaccord, son indignation : Non, mais des fois !

Deadline

Le 3 décembre 2012

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

À l’origine, ce mot a un sens très fort. Deadline, « ligne de mort », désigne la limite au-delà de laquelle un prisonnier ne peut s’aventurer sans courir le risque d’être abattu par les gardiens. Par extension, il désigne aujourd’hui, en anglais, la date avant laquelle un travail doit obligatoirement être achevé. Le français dispose de nombreux moyens pour marquer cette limite temporelle.

 

On dit

On ne dit pas

C’est vendredi le dernier délai

La date butoir pour la remise de cet article a été fixée au 15 mars

C’est vendredi la deadline

La deadline pour la remise de cet article a été fixée au 15 mars

 

On peut aussi user de tours plus familiers comme Dernier carat : Les travaux doivent être finis à Noël, dernier carat.

Guide-âne

Le 3 décembre 2012

Expressions, Bonheurs & surprises

L’âne souffre depuis toujours d’une mauvaise réputation, comme en témoignent des expressions telles que Pont aux ânes ou Bonnet d’âne. Il en va de même pour Guide-âne. Ce mot, qui désigne un petit ouvrage contenant des instructions élémentaires, propres à guider les débutants s’est vite spécialisé dans le domaine de la liturgie pour désigner un « petit livre qui contient l’ordre des fêtes et celui des offices relatifs à chaque fête » (Dictionnaire de l’Académie française, 5e édition).

Guide-âne désigne aussi aujourd’hui un papier réglé que l’on place sous une feuille blanche et dont les lignes, en transparence, permettent d’écrire droit ; mais le sens général est resté celui de vade-mecum, d’aide-mémoire qui vient au secours de ceux qui maîtrisent mal telle ou telle activité. Honoré de Balzac, perspicace observateur de l’âme humaine, fit d’ailleurs paraître en 1841-1842 un Guide-âne à l’usage des animaux qui veulent parvenir aux honneurs, petit manuel de l’arriviste en quelque sorte.

Didier P., Langon

Le 3 décembre 2012

Courrier des internautes

L'Académie pourrait-elle lancer un RÉEL débat interne sur l'utilité des ABRÉVIATIONS pour designer une personne ou un groupe de personnes ?

Les pratiques des médias et de la rue ne doivent pas forcément être entérinées si elles mettent en cause des valeurs républicaines partagées, je l'espère, par l'Académie elle-même. Des valeurs de RESPECT, d'ÉGALITÉ.

Pouvez-vous entendre S.D.F. à chaque coin de phrase, par les médias, la rue et les politiques sans réagir???

L'utilisation d'abréviations a et a toujours eu une forte connotation bien-pensante, pour ne pas dire totalitaire.

L'Académie, dernier rempart dans le respect des personnes, doit s'attacher à des valeurs et défendre au quotidien une approche essentielle de reconnaissance et de respect. L'Académie doit INTERDIRE de son Dictionnaire et donc de la langue, toute abréviation se rapportant à des personnes.

Nous utiliserons tous les médias possible pour changer ces mentalités de nivellement par le bas. Le respect de la personne ne se discute pas en République. Quand on commence à stigmatiser  officiellement des personnes par des abréviations, on revient à des périodes de honte de l'humanité.

Bien cordialement, les Sans Abri, SANS DOMICILE, sans maison, sans foyer, les sans définition fixe.

Didier P., Langon

L’Académie répond

Vous avez raison de condamner l’abus des abréviations, dans la mesure où cet abus relève de la paresse intellectuelle ou d’un style négligé. Néanmoins, on ne saurait voir dans leur emploi une quelconque volonté de stigmatiser. Les sigles et les acronymes sont d’ailleurs vieux comme l’écriture. Ils remontent à la plus haute antiquité. Aujourd’hui encore Rome a conservé un peu partout les lettres S.P.Q.R. (Senatus populusque romanus), et INRI (Iesus Nazarenus, Rex Iudaeorum) est présent dans bien des églises pour désigner Jésus-Christ.

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