Dire, ne pas dire

Recherche

D. (France)

Le 5 mars 2015

Courrier des internautes

Après de nombreuses recherches, je ne trouve aucune solution au problème du « comme même » / « quand même » ; je reste certain que l’on utilise « quand même », mais j’ai besoin d’avoir votre avis, ainsi qu’une raison de son usage.

D. (France)

L’Académie répond :

La locution conjonctive de subordination est quand même ou quand bien même. Elle a une valeur hypothétique et signifie « même si ».

Je viendrai vous voir quand même vous ne le voudriez pas. Quand bien même il serait le seul candidat, je ne voterais pas pour lui.

On peut rencontrer comme même mais avec un sens et un emploi tout différents. Comme même sa famille ne pouvait le recevoir, il est resté chez lui.

Edwin S. (Allemagne)

Le 5 mars 2015

Courrier des internautes

Je suis natif de Normandie, mais expatrié en Allemagne depuis maintenant bien longtemps. Mon fils est né ici et il apprend le français comme langue étrangère dans son collège. Je suis parfois très surpris par les expressions, voire la grammaire qu’il doit apprendre... Je sais bien que j’ai quitté l’école il y a bien longtemps et que le français évolue mais j’ai parfois des doutes sur la qualité du français qu’on lui enseigne. C’est pourquoi je me permets de vous poser les questions suivantes :

Est-il maintenant devenu correct de poser une question de la façon suivante :

« Quand est-ce que tu viens ? » J’ai toujours appris à dire « Quand viens-tu ? »

Est-il correct de commencer une lettre amicale par une formule telle que « Moi, je m’appelle Pierre » ? On m’enseigna jadis que de commencer une lettre par « Moi, je » était le comble de l’arrogance…

Edwin S. (Allemagne)

L’Académie répond :

Il ne m’appartient pas de commenter les méthodes pédagogiques employées en Allemagne. Je pense que les auteurs de ces ouvrages ont insisté sur la communication. Il est de meilleure langue de dire Quand viens-tu ? que Quand est-ce que tu viens ? mais force est de constater que la deuxième forme est beaucoup plus employée. Il y a bien longtemps, quand j’étais écolier, cette forme était déjà, à l’oral, beaucoup plus fréquente et elle était concurrencée, non par Quand viens-tu ? mais par Tu viens quand ?

Moi, je n’est pas très heureux ; les auteurs ont sans doute voulu souligner l’apposition entre les deux interlocuteurs : Moi, je… toi, tu.

Il risque de gagner

Le 5 février 2015

Emplois fautifs

Le verbe risquer signifie « s’exposer à un danger éventuel ou à une situation désagréable ». On ne peut donc l’employer qu’avec des termes appartenant à ces mêmes champs lexicaux. On dira très bien Il risque de se blesser, de perdre, il risque un accident, ou, si ce verbe est employé de manière impersonnelle, Il risque de pleuvoir. Mais on ne dira pas Elle risque de gagner ni Nous risquons d’avoir beau temps. De la même façon, avoir des chances ne peut s’employer qu’avec des termes ayant une connotation positive. On dira donc Il a des chances de réussir mais non le blessé a des chances de ne pas passer la nuit.

on dit

on ne dit pas

Elle peut réussir son examen, elle a des chances de réussir son examen

Il risque de finir dernier

Elle risque de réussir son examen
 

Il a des chances de finir dernier

 
 

Le pitaine des Ricains

Le 5 février 2015

Emplois fautifs

On lisait dans un ouvrage du XIXe siècle qui évoquait l’aphérèse : « […] au lieu de prouver la vigueur de l’esprit, elle prouve plutôt sa paresse et son ignorance ; elle consiste à supprimer une lettre ou une syllabe au commencement d’un mot ». Ce procédé appartient surtout à la langue populaire qui a ainsi fait, à partir de noms Nicolas, Antoinette, Elise ou Sébastien, les formes Colas, Toinette, Lise ou Bastien. Si quelques mots se sont imposés dans la langue, comme bus, gnon (tiré d’oignon) ou tudieu (tiré de vertu Dieu), il convient cependant de ne pas abuser de ce procédé, pas plus que du procédé inverse, l’apocope, comme nous l’avons déjà signalé.

 

on dit

on ne dit pas

Vous allez bien ?

Bonjour, Bonsoir

Les Américains

Z’allez-bien ?

Jour, Soir

Les Ricains

 

Participer à, participer de

Le 5 février 2015

Emplois fautifs

Le verbe participer peut s’employer absolument. Il signifie alors « prendre part aux activités d’un groupe » et s’emploie beaucoup dans le domaine scolaire. On dira fréquemment d’un élève qu’il doit participer en cours. Mais il peut aussi avoir un complément introduit par une préposition. Le sens du verbe variera alors selon qu’il sera suivi de la préposition à ou de la préposition de. Participer à signifie « prendre part à une activité donnée », alors que participer de signifie « avoir une similitude de nature avec, relever de ». On se gardera bien de confondre ces différents sens.

 

on dit

on ne dit pas

Nos amis voudraient participer à la fête

Ce spectacle participe du cirque et du music-hall

Nos amis voudraient participer de la fête

Ce spectacle participe au cirque et au music-hall

 

Dealer

Le 5 février 2015

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

L’anglais deal peut désigner différents types de commerces ou d’arrangements, un trafic de substances illicites et, enfin, une donne aux cartes. Ce dernier sens, employé de manière métaphorique, se répandit dans le monde entier quand le président Roosevelt proposa à ses concitoyens une nouvelle organisation de la société, le New Deal. Si cette locution est entrée dans l’histoire, l’anglicisme dealer, verbe (prononcé ) et nom (prononcé -eur), n’est employé en français que pour évoquer la vente de drogue, et on peut donc lui substituer les formes trafiquer et trafiquant. Il est certes regrettable que les mots de cette famille, jadis neutres – comme en témoigne cet extrait de La Princesse de Clèves : « Le lendemain qu’elle fut arrivée, elle alla pour assortir des pierreries chez un Italien qui en trafiquait par tout le monde. Cet homme […] s’était tellement enrichi dans son trafic… » –, ne servent aujourd’hui qu’à désigner des commerces illégaux, mais force est de constater qu’ils conviennent parfaitement pour éviter cet anglicisme.

 

on dit

on ne dit pas

Un trafiquant de drogue

Vendre de la drogue

Un dealer

Dealer de la drogue

 

Accidentologie

Le 5 février 2015

Extensions de sens abusives

Le nom accidentologie est formé à l’aide d’accident et du très productif suffixe -logie, tiré du grec logos, désignant une étude, une science. L’accidentologie est l’étude, dans ses différents aspects, des accidents de la circulation. On ne doit donc pas donner à ce nom le sens restreint de « statistiques concernant les accidents ». On évitera également la tendance actuelle qui consiste à en faire un synonyme pompeux d’« accident ».

 

on dit

on ne dit pas

Il y a de nombreux accidents sur cette route

Les statistiques de cette région en matière d’accidents sont mauvaises

Il y a une forte accidentologie sur cette route

L’accidentologie de cette région est mauvaise

 

André A. (Montpellier)

Le 5 février 2015

Courrier des internautes

Je viens pour un « casse-tête ». J’avais écrit « Il prit l’une des cassoles qu’il avait fabriquées. » Certaines personnes m’ont dit qu’il ne fallait pas le « s »  à fabriquées. Mais selon moi, il en faut un. Nous avons cherché, qui dans le Bled, qui dans le Bescherelle, qui auprès de profs de français.

Et nous avons les deux réponses. Qu’en pensez-vous ? À quoi dois-je me référer ?

André A. (Montpellier)

L’Académie répond :

La langue classique laissait la liberté d’accorder avec un ou avec le complément. L’usage est resté hésitant. Il ne devrait pas l’être dans certains cas où le sens indique clairement quel est le sujet : Il répondait à un des juges qui l’interrogeaient marque bien qu’on envisage l’ensemble des juges qui procèdent à l’interrogatoire. Il répondait à un des juges qui l’interrogeait indique qu’il s’agit d’un seul des juges, de celui qui mène l’interrogatoire ; on peut dans ce cas mettre une virgule (ou faire une pause) après le mot juges.

À l’article PLUS, la dernière édition complète du Dictionnaire de l’Académie française (1935) donnait l’exemple suivant :

L’astronomie est une des sciences qui fait le plus ou qui font le plus d’honneur à l’esprit humain, avec la mention : « le dernier est plus usité. »

En résumé, on dira qu’après un des… qui, le verbe qui suit se met généralement au pluriel, à moins qu’on ne veuille insister sur l’idée d’individualité (il faut alors que un corresponde à peu près à celui ou celle).

Dimitri C. (Houplin-Ancoisne)

Le 5 février 2015

Courrier des internautes

J’aimerais demander votre avis sur un mot traduit de la langue anglaise vers notre chère langue française au travers d’une célèbre série télévisée anglaise appelée « Doctor Who » (série de science-fiction avec voyage dans le temps et l’espace). En effet dans l’un des épisodes il est dit que le métier de l’actrice principale est « bisougram » qui, sauf erreur de ma part, n’existe pas dans notre langue. Dans la version anglaise originale le nom donné est « kissogram ». Le rôle de ce métier est simple : un expéditeur envoie une fille livrer un message qui embrasse le destinataire. Il semble que cela a été à la mode principalement dans les années 80. Que pensez-vous de cette traduction ? Le mot peut-il avoir ses chances d’apparaître dans la langue française ?

Dimitri C. (Houplin-Ancoisne)

L’Académie répond :

Il est tout à fait possible de construire un néologisme à partir de gramme, comme c’est le cas pour radiotélégramme, pictogramme ou le très récent municigramme. Cependant, l’entrée d’un tel mot dans les dictionnaires de langue française est tributaire de l’usage. Tout dépendra du succès futur du terme bisougramme.

“Ma maman” : ou la nostalgie du paradis perdu

Le 8 janvier 2015

Bloc-notes

sallenave.jpg

En 1950, la chanteuse Mick Michel, pseudonyme de Paulette Michey, née à Lyon en 1922, composait les paroles et la musique d’une chanson promise à un grand succès radiophonique : « Ma maman ». En voici le refrain :

Ma maman est une maman 
Comme toutes les mamans
Mais voilà c'est la mienne...

La chanteuse, qui a quitté la scène il y a quelques années seulement, savait-elle qu’elle inaugurait une nouvelle ère ? Celle où nul ne dit plus « ma mère » ou simplement « maman » pour parler de la femme qui l’a mis au monde ou l’a adopté, mais à quelque âge qu’il parvienne, toujours et sans exception « ma maman ». Ainsi on peut entendre, au lendemain d’une épreuve sportive qu’il a remportée, un grand gaillard déclarer : « Je voudrais remercier ma maman », ou à la télévision quelque rocker dans la soixantaine, le visage buriné et les cheveux gris noués en catogan sur son col de cuir, montrer de la main une vieille dame souriante assise au premier rang avec ces mots : « Je vous présente ma maman. »

Cet usage s’est répandu dans les dernières décennies au point de faire entièrement disparaître « ma mère » et même « maman ». Pourtant l’un et l’autre sont parfaitement corrects et justes du point de vue de la langue lorsqu’on veut désigner la femme qui vous a mis au monde (ou adopté). Leur distinction n’est pas seulement un code social : ce qui les sépare, c’est le degré de familiarité où l’on est avec son interlocuteur. Lorsqu’on s’adresse à un tiers, pour désigner celle à qui on doit le jour, on dira « ma mère » ; si l’on use du mot de « maman », on le fait alors entrer dans l’intimité familiale, on le convie à y participer, on le désigne lui-même comme un familier.

On le sent bien dans la chaude intimité de ces deux syllabes, proches du balbutiement, dans la répétition des labiales : « maman » est un mot du langage enfantin. C’est du reste presque le même, à quelques détails près, dans de très nombreuses langues. Sous la forme mammè, la « nourrice », en grec, mamma, en latin et plus tard en italien, espagnol, portugais, catalan. On y reconnaît le radical ma- présent dans mater, et qui est peut-être une onomatopée désignant (décrivant) la succion : « mamma » est la nourrice, celle qui donne le sein. Ou celle qui a élevé l’enfant. On comprend donc pourquoi, lui faisant ses adieux pour partir à la guerre, Louis XV écrit à Mme de Ventadour, qui l’a élevé : « Adieu Maman Ventadour, je vous embrasse du fond du cœur. » Le mot « maman » ne comporte plus ce genre d’extension ; et il y a longtemps qu’a disparu un de ses emplois populaires ou familiers où le mot suivi du nom de famille désignait chez Diderot, dans les romans de Marivaux ou de Balzac une « brave femme », concierge ou aubergiste – on imagine bien qu’il ne s’agit jamais d’une duchesse.

Mais en règle absolue, et même s’il arrive que le mot subsiste dans le langage de l’adulte, « maman » est la trace et la survivance d’un état antérieur, celui de l’enfance. Si Proust, ou plutôt Marcel, le narrateur de la Recherche du temps perdu, continue de dire « maman » à propos de sa mère, c’est que l’habitude s’en est installée dès les premières pages, avec le récit de ses premières années, et de sa difficile entrée dans le sommeil : « Ma seule consolation, quand je montais me coucher, était que maman viendrait m’embrasser quand je serais dans mon lit. » C’est un enfant qui parle, et dont l’adulte ici restitue le langage : et chaque fois qu’on lira « maman », c’est l’enfant qu’on entendra.

C’est donc ce mot de « maman » que s’autorisent naturellement les membres d’une fratrie pour parler entre eux de leur mère. Ils peuvent dire, ils disent parfois (ou disaient autrefois) « notre mère », mais bien plus souvent ils parlent de « maman », souvenir du temps où l’un des enfants confiait à l’autre ou aux autres que « maman était très fâchée ». Et, lorsque ladite mère étant devenue âgée, l’un demande à l’autre : « Es-tu passé voir maman ? », il y a là une trace assurément d’enfance, mais nulle puérilité, ou infantilisme chez celui qui parle.

Ce qui, par parenthèses, ne nous autorise nullement à demander à celui qui revient de l’hôpital : « Et alors, comment va votre maman? » Rien ne nous oblige (surcode aux connotations sociales très marquées) à dire « madame votre mère » – sauf dans des cas très rares. « Votre mère », comme « ta mère », est très convenable, et se tient à bonne distance entre respect et familiarité. Le malheur, c’est qu’aujourd’hui, il n’est plus compris, et qu’on pense manifester plus de sympathie pour le fils, et plus de compassion pour sa mère, en appelant celle-ci « ta (ou “votre”) maman ».

Mais venons-en enfin à ce piteux et si fréquent « ma maman ». (Et aussi, évidemment « mon papa ». Ce qui donne le savoureux échange suivant : « Dites-moi, vous êtes prix de Rome, est-ce vos parents qui vous ont transmis le goût des arts? – Ah non, pas du tout, mon papa était banquier et ma maman professeur de maths. »)

Malgré les apparences, « ma maman » n’est pas l’équivalent à la première personne de la deuxième (« ta maman » ou « votre maman ») et de la troisième (« sa maman »). Le possessif « ma » n’est pas nécessaire : quand vous dites « maman », il est clair que vous parlez de la vôtre. Alors d’où vient ce possessif parasite ? Non seulement du langage enfantin, comme le mot maman lui-même, mais du langage de la première enfance. C’est ce que dit un enfant qui commence à parler, et il le dira en gros jusqu’au début de l’école primaire : « Je veux ma maman », ou « je vais le dire à mon papa ». Ce redoublement traduit un sentiment d’insécurité, et une demande intense de protection. Puis vient un peu d’assurance, et on dit « maman », et ensuite « ma mère » : autant d’étapes par lesquelles on instaure progressivement une distance avec ses parents, ce qui ne signifie pas forcément qu’on les aime moins, mais tout simplement qu’on a grandi.

En somme, dire « ma maman » pour parler de sa propre mère signale une stagnation ou un retour à l’état de puérilité. Infantilisme, peur panique de la solitude, impossibilité de se situer par rapport au passé, négation du temps et de la finitude ? Tout cela se dit avec clarté (et cette clarté serre le cœur) dans le pathétique « ma maman » sorti d’une bouche adulte. Nombreuses sont en effet les raisons historiques, politiques, sociales, qui poussent l’homme moderne, par-delà son apparente arrogance, à la recherche d’un paradis où « ma maman » me tend éternellement les bras.

On est si petit et le monde est si grand ! comme le chantait Paulette Michey, alias Mick Michel.

 

Danièle Sallenave
de l’Académie française

Pages