Dire, ne pas dire

Recherche

Sous un tunnel ou Dans un tunnel ?

Le 4 mai 2018

Emplois fautifs

Nous avons emprunté à nos amis anglais le mot tunnel. Ceux-ci l’avaient tiré, après en avoir modifié la forme et ce qu’il désignait, du nom français tonnelle. Aujourd’hui, au sens propre, un tunnel est une voie de communication percée sous une montagne, comme le tunnel du mont Blanc, un cours d’eau, ou même une mer, comme le tunnel sous la Manche. Quand on emprunte ces voies de communication on est sous l’obstacle, mais à l’intérieur de l’ouvrage d’art, aussi ne dit-on pas entrer, circuler sous un tunnel, mais bien entrer, circuler dans un tunnel.

À date au sens d’À ce jour, pour l’instant

Le 4 mai 2018

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Les mots à date se rencontrent dans des groupes nominaux comme à date fixe, à date régulière, à date ancienne, etc., et ces emplois sont réguliers ; mais il faut bien se garder de faire d’à date une locution adverbiale à laquelle on donnerait le sens de « pour l’instant » ou d’« à ce jour ».

On dit

On ne dit pas

Pour l’instant les travaux ne sont pas terminés

À date les travaux ne sont pas terminés

Agenda au sens de Programme

Le 4 mai 2018

Extensions de sens abusives

Le nom agenda désigne un registre, un carnet comportant un calendrier et dans lequel on inscrit pour chaque jour ce que l’on se propose de faire.

On évitera d’ajouter à ce sens celui de programme, c’est-à-dire la suite d’actions qu’on s’impose d’accomplir dans un but donné, le plan que l’on a établi à l’avance ; en effet, employer agenda en ce sens est un anglicisme.

On dit

On ne dit pas

Quel est le programme du ministre pour la semaine ?

Quel est l’agenda du ministre pour la semaine ?

On s’envoie des mails

Le 4 mai 2018

Expressions, Bonheurs & surprises

Mais est-ce bien prudent ? Non, en français à tout le moins. On oublie trop souvent qu’avant que nos amis anglais nous proposent leur mail, nous en avions déjà un, et qui était beaucoup plus consistant. Le mail français (on se gardera bien d’omettre le i de mail pour ne pas confondre ces trois mots avec le titre d’un célèbre essai d’Alain Peyrefitte) doit son nom au latin malleus et, comme lui, il a d’abord désigné un marteau. Ce terme avait un diminutif, malleolus, dont Cuvier tira au xixe siècle, par analogie de forme, le nom malléole. Pour ce qui est de la prononciation de notre mail, on rappellera que les formes maillet et mailloche en sont dérivées et qu’il rime avec bail ; en ce qui concerne son pluriel, on suivra ce qu’écrivit Thomas Corneille dans une note ajoutée aux Remarques sur la langue française de Vaugelas, dont il fut l’éditeur : « Bal fait bals, & mail fait mails. C’est sans doute pour mettre de la différence entre les pluriels de bail & de mal, qui font baux & maux, car émail fait émaux ». Mais notre mail a vite eu d’autres significations. C’est un peu le parangon des extensions de sens par métonymie. À l’origine, on l’a vu, c’est un marteau. On sait, au moins depuis Charles Martel, que cet outil peut aussi être une arme. On appelait d’ailleurs jadis mail d’armes, ou simplement mail, une arme contondante en forme de marteau, et Montaigne nous apprend que le philosophe Anaxarque d’Abdère, qui était le maître de Pyrrhon, « fut couché en un vaisseau de pierre et assommé (tué) à coups de mail de fer ». Montaigne édulcore un peu le supplice du philosophe qui, s’il faut en croire Diogène Laërce dans ses Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, fut, sur l’ordre du satrape Nicocréon, placé dans un creuset pour y être broyé à l’aide d’un mail, ce qui ne l’empêcha pas de narguer encore son bourreau en lui disant : Ptisse ton Anaxarkhou thulakon, Anaxarkhon de ou ptisseis, « Broie donc le sac qui enveloppe Anaxarque, tu ne broieras pas Anaxarque ! » Au xviie siècle, on trouve au mail un emploi beaucoup plus pacifique ; il sert alors à pousser une balle, que l’on appelle boule de mail, dans un jeu qui tient à la fois du croquet et du golf. Par métonymie le nom mail en vient naturellement à désigner aussi ce jeu. Celui-ci fut fort en vogue à la Cour ; Saint-Simon en témoigne, qui écrit dans ses Mémoires : « Il (Louis XIV) s’amusait (…) à Marly très souvent, à voir jouer au mail, où il avait aussi été fort adroit. » C’est encore par métonymie que le mail va désigner l’espace, le terrain où l’on pratique ce sport.

Enfin, métonymie toujours, mail désigne de nos jours une promenade publique où l’on jouait jadis au mail. C’est essentiellement le sens qu’a conservé ce nom aujourd’hui, sens immortalisé par Anatole France dans le premier volume de son Histoire contemporaine, intitulé précisément L’Orme du mail.

Et ce mail a laissé aussi des traces en Angleterre, puisque c’est de lui qu’est issu le nom mell, qui n'est plus guère en usage et qui désigne un gros marteau. D’autre part, le jeu de mail évoqué plus haut a été populaire dans de nombreux pays d’Europe. Nos amis Italiens le nommaient pallamaglio, nom composé de palla, « balle », et maglio, « marteau, maillet », une forme tirée, elle aussi, du latin malleus. Nous leur empruntâmes ce nom pour en faire le pallemaille. De là, le jeu passa en Angleterre, où il fut appelé pall-mall. Par un système de métonymie semblable à celui que l’on a vu pour le nom mail, pall-mall désigna une large allée où l’on pratiquait ce jeu, et enfin sa forme abrégée mall désigna et désigne encore une avenue importante servant de lieu de promenade.

Quant au mail de nos amis anglais, il offre lui aussi un bel exemple de métonymie. Ce mot, tiré du germanique malha, « coffre », est un cousin étymologique de notre malle. Le nom malle-poste date de 1793, mais moins de dix ans plus tard le français adoptait aussi son équivalent anglais, mail-coach, qu’il employait pour désigner la malle-poste, mais également une berline à quatre chevaux. Ce mail-coach, dans lequel coach est tiré de l’ancien français coche, cher à Montaigne, était parfois abrégé en mail. Et la boucle de ces noms allait être bouclée par Anatole France, qui, trois ans avant d’écrire L’Orme du mail, évoquait ce moyen de transport dans Le Lys rouge : « Elle (Thérèse, le personnage principal), devait faire, à deux heures, une promenade en mail, avec son père, son mari, la princesse Seniavine, madame Berthier d’Eyzelles, la femme du député, et madame Raymond, la femme de l’académicien. »

Laurence D. (France)

Le 4 mai 2018

Courrier des internautes

Bonjour,

Peut-on utiliser « bien que » avec un adjectif ou doit-on systématiquement mettre une subordonnée après ?

Exemple : « Bien que fatigué, il... » ou « Bien qu’il soit fatigué, il... ».

Merci beaucoup !

Laurence D. (France)

L’Académie répond :

Madame,

La locution conjonction de subordination bien que introduit une proposition concessive au subjonctif ou au participe : Bien qu’il soit malade, il viendra ; Bien qu’étant malade, il viendra. On trouve également un adjectif avec l’ellipse du verbe : Bien que belle, elle n’est pas vaniteuse.

Cordialement.

Madeleyn N. (France)

Le 4 mai 2018

Courrier des internautes

Bonjour,

Je cherche l’origine de l’expression « un repas de brebis ». Je sais que c’est un repas sans boire mais d’où vient cette expression ? Je n’ai pas trouvé de référence sur le site de l’Académie française ni ailleurs.

Madeleyn N. (France)

L’Académie répond :

Madame,

Cette expression se rencontre d’abord dans l’expression « faire un dîner de brebis », dans le Dictionnaire d’Antoine Oudin, au xviie siècle.

Je pense qu’elle est tirée de l’observation du fait que, quand les brebis (mais cela aurait été valable pour d’autres animaux) paissent, elles ne boivent pas.

Cordialement.

La bataille idéologique

Le 6 avril 2018

Bloc-notes

La bataille idéologique à laquelle nous assistons est en partie importée, comme tant d’autres usages navrants, des États-Unis. Cette querelle délaisse la grammaire. Revenons à elle.

Un des arguments affichés pour que le masculin l’emporte sur le féminin, est que le masculin joue le rôle du neutre, absent de la langue française. Aucun traité de linguistique ni de grammaire ne relate cette absurdité, car il existe, chez nous, des mots dits « épicènes », qui ont les deux genres, neutres par conséquent. Par exemple, si vous ne vous souvenez pas du sexe des fils ou filles de votre voisine, vous lui demandez : « comment vont vos enfants ? » Il y a beaucoup de tels mots : secrétaire désigne aussi bien la secrétaire que le secrétaire. Citons aussi les pronoms : moi, toi, soi, je, tu. Jacqueline ou Pierre peuvent le dire de soi, de l’un ou de l’autre. Enfin, certains adjectifs : manteau rouge, écharpe rouge... Sont-ils des mots rares ? Pas que je sache. Parmi les espèces animales voici, en effet, la mésange et le rossignol, la pie et le rhinocéros. Dans le cas de la mésange mâle, le féminin l’emporte sur le masculin. Et dans le cas du hérisson femelle, le masculin l’emporte sur le féminin. Il n’est donc pas toujours vrai qu’en français le masculin l’emporte sur le féminin puisque dans le cas des espèces animales, dont la liste est innombrable, le féminin peut l’emporter sur le masculin.

Or, dans « emporter sur », se montre ou se cache une question de hauteur sociale, que l’on pourrait appeler l’imperium. Ici, les féministes ont raison de se battre et je me range à leur côté. Hélas, l’on dit la secrétaire, quand on désigne un poste subalterne ; mais si une femme porte le titre de secrétaire général, on dit le. C’est une décision machiste scandaleuse. À l’Académie, mes confrères disent : « Madame le secrétaire perpétuel », appellation qui froisse mon sens de la langue. Je dis, quant à moi : « Madame la secrétaire perpétuelle »

Certes, l’ambassadrice désigne parfois la femme de l’ambassadeur, mais, lorsqu’elle exerce elle-même cette fonction, il faudrait dire ambassadeur ! Or la reine Élisabeth règne en Grande-Bretagne, et nul Français ne dit Élisabeth le roi. Marie-Antoinette était la femme de Louis XVI, bien sûr, mais on ne dit pas Catherine de Médicis le Régent. Chose vraie pour les duchesses, les princesses, les tsarines, les impératrices, etc. Vraie encore pour la papesse Jeanne ! Nul n’a jamais dit Jeanne le pape !

Peut-être serait-il intéressant parfois d’utiliser l’accord selon le nombre ou la proximité. Un million de femmes et un homme sont-ils rassemblés ? Mieux vaudrait sans doute dire qu’elles sont rassemblées. Ou bien l’accord de proximité : si l’on dit Jeanne et Pierre, on accordera avec le masculin et si l’on dit Pierre et Jeanne, on accordera avec le féminin.

Je finis par les mots en « -eur ». Faut-il dire « auteure » ou « autrice » ou « auteuse », etc. ? La question ne vaut pas, car les mots en « -eur » sont divisés statistiquement en deux parties, l’une féminine, l’autre masculine : « la douceur » et « le malheur », « l’horreur » et « l’honneur ». Par conséquent, « Madame Jacqueline Unetelle, auteur de ce livre » peut se dire sans malice. Cette simplicité se voit sur l’exemple suivant : depuis la féminisation croissante de la profession médicale, le terme doctoresse tend à disparaître. Peu à peu, s’impose dans l’usage « Madame Unetelle, docteur généraliste ». Chose normale pour un mot en « -eur ». La décision arbitraire de distinguer, parmi ces mots, les termes de fonction de tous les autres, manifeste une subtile hypocrisie, car elle permet d’imposer l’imperium insupportable de tantôt.

La grammaire révèle des solutions dont la facilité relative évite les batailles idéologiques d’autant plus féroces qu’elles soulèvent des tempêtes dans un verre d’eau.

Michel Serres
de l’Académie française

 

Ballade, Balade

Le 6 avril 2018

Emplois fautifs

Voici deux autres homonymes dont les orthographes sont souvent confondues. Mais on sera indulgent avec qui emploie une forme pour l’autre, puisque le nom le plus ancien, ballade, s’est souvent écrit comme le plus récent, balade. Ballade est emprunté de l’ancien provençal ballada, un dérivé de ballar, « danser », qui est à l’origine des noms bal et ballet mais aussi de l’ancienne forme baller, « danser, bouger », qu’on ne rencontre plus aujourd’hui que dans l’expression « les bras ballants ». Le nom ballade se lit dans un des plus fameux poèmes de Villon, d’abord édité sous le nom d’Épitaphe en forme de ballade, que feit Villon pour luy & pour ses compaignons, s’attendant a estre pendu avec eulx, et connu désormais comme La Ballade des pendus. De l’orthographe ancienne, balade, on a tiré le verbe balader, qui a d’abord signifié « chanter des ballades ». Mais, comme ceux qui les chantaient, poètes, troubadours, vagabonds, se déplaçaient de ville en ville à la recherche de publics nouveaux, ce verbe a pris le sens de « voyager, errer, flâner ». Et c’est de ce verbe qu’a été tiré, au xixe siècle cette fois, balade, qui désigne familièrement une promenade.

 

On écrit

On n’écrit pas

Les « Odes et Ballades » de Hugo

Chanter une ballade

Une balade à travers champs

Les « Odes et Balades » de Hugo

Chanter une balade

Une ballade à travers champs

Pédagogique au sens de pédagogue

Le 6 avril 2018

Emplois fautifs

Pédagogue et pédagogique nous viennent, par l’intermédiaire du latin, de mots grecs construits à l’aide du verbe agein, « mener, conduire », et du nom pais, paidos, « enfant ». En effet, avant d’être un enseignant, le pédagogue fut un esclave chargé d’accompagner les enfants à l’école. Mais pédagogue et pédagogique n’ont pas la même nature et ne sont pas interchangeables.

Pédagogique, qui est un adjectif, se rapporte surtout aux choses : méthode pédagogique, formation pédagogique, les écrits pédagogiques de Montaigne, de Rousseau, etc. Pédagogue est un nom qui désigne une personne s’intéressant à la pédagogie ou qui fait preuve de pédagogie dans son enseignement ; il s’emploie comme attribut, Piaget fut un grand pédagogue, ou en apposition, un professeur bon pédagogue. On évitera donc de dire soyez pédagogique quand c’est pédagogue qu’il faudrait employer.

Dû à au sens d’En raison de

Le 6 avril 2018

Extensions de sens abusives

Le participe passé se rencontre de plus en plus, de manière erronée, dans l’étrange et fautive locution prépositive dû à que l’on emploie en lieu et place d’« en raison de », « à cause de ». On peut bien sûr trouver des formes en français où le verbe devoir, à toutes les formes, est suivi de la préposition à et d’un complément de cause : il doit sa réussite à son travail, des accidents dus à l’imprudence. Mais l’emploi de dû à en tête de phrase, qui s’explique peut-être par l’anglais due to, « en raison de », est une grossière erreur qu’il convient de proscrire à toute force.

 

On dit

On ne dit pas

En raison des travaux, il est arrivé en retard     

Il a échoué à cause de son manque de travail

Dû aux travaux sur la route, il est arrivé en retard

Dû à son manque de travail, il a échoué

Pages