Il est des fleurs, il est des plantes, il est des mots, plus rares, qui semblent s’épanouir et fleurir par hasard, sans que l’on sache encore leur origine ou leur famille. On les admire, on les hume, on s’en délecte avec un respect mêlé de craintes. Des sans-papiers, mon Dieu, devrait-on s’en méfier ? Ce sont des apparitions. Des mirages. Des rêves. Eh bien, oui ! le mot rêver, précisément, qui, dans son sens commun d’avoir une activité onirique, a supplanté songer à partir du xviiie siècle, d’où vient-il ? De quelle famille linguistique est-il issu ? On l’ignore. Les lexicologues s’impatientent. Ils débusquent des étymologies pour le moins douteuses. Ils braconnent du côté du gallo-romain. Leur butin est maigre. Oserais-je dire (cela est peu scientifique, mais tant pis !) que je m’en réjouis ?
J’aime ces mots venus de nulle part. J’aime ce rêve qui anime, qui hante notre inconscient, et qui est lui-même un mot rêvé, impalpable, un fantôme, une chimère – quel symbole ! Oui, il faut s’émerveiller des mots, des ombres portées du passé qu’ils véhiculent par leur musique, leur orthographe, leurs racines, mais qui parfois cadenassent leurs secrets jusqu’au silence… ou jusqu’au rêve.
Frédéric Vitoux
de l’Académie française